rapporteure. – Le sujet qui nous occupe cet après-midi peut paraître technique, voire austère, mais ses enjeux sont lourds en termes d’organisation de la protection sociale, de ressources humaines et d’accès au droit pour les assurés.
Le projet d’unification du recouvrement des cotisations sociales remonte à la fondation de la sécurité sociale elle-même. À partir de 1952, les Urssaf se sont progressivement substituées aux caisses primaires de sécurité sociale et aux caisses d’allocations familiales pour assurer la collecte des cotisations du régime général, les autres régimes sociaux gérant eux-mêmes le recouvrement de leurs cotisations. Cette situation induisait une grande complexité pour les cotisants et une relative inefficience de la collecte.
Compte tenu de la performance des Urssaf et des prérogatives spécifiques dont elles disposent, notamment la capacité de diligenter des contrôles sur pièces et sur place, le projet de leur confier le recouvrement de l’ensemble des cotisations et contributions sociales a progressivement émergé.
C’est ainsi que plusieurs transferts de recouvrement ont été mis en œuvre au cours de la dernière décennie, à commencer par celui des contributions d’assurance chômage, assuré successivement par les Assédic et par Pôle emploi, puis confié aux Urssaf en 2011.
Nous avons constaté au cours de nos travaux que cette réforme ne s’était pas traduite par une amélioration notable de la performance du recouvrement ni par la réalisation d’économies de gestion substantielles. Sur plus de 1 300 salariés affectés au recouvrement, seuls 13 ont été transférés aux Urssaf, tandis que Pôle emploi a repositionné les autres sur des activités en lien avec son cœur de métier, notamment l’accompagnement des demandeurs d’emploi. L’intégration des contributions d’assurance chômage aux contrôles Urssaf a cependant permis de dégager 100 millions d’euros de recettes annuelles supplémentaires, ce qui reste relativement maigre au regard du produit du recouvrement, de l’ordre de 39 milliards d’euros en 2019.
Du reste, l’Unédic ne dispose plus des statistiques détaillées relatives à sa population cotisante, pourtant nécessaires au pilotage du régime, et a récemment subi les conséquences en termes de conditions d’accès à l’emprunt de la non-certification des comptes des Urssaf par la Cour des comptes.
D’autres transferts ont également été effectués à la fin de la dernière décennie. Le transfert de l’activité de recouvrement du régime social des indépendants (RSI), intervenu en 2018 à l’occasion de sa suppression, a permis d’améliorer sensiblement la performance du recouvrement, mais aussi la qualité de service, comme l’a démontré l’action des Urssaf auprès des travailleurs indépendants pendant la crise sanitaire.
Bien que 2 000 salariés du RSI aient été accueillis par les Urssaf, il découlerait de la réforme une économie nette de frais de gestion de 110 millions d’euros sur la période 2018-2022 et une économie nette pérenne de 110 millions d’euros à compter de 2023.
Malgré certains dysfonctionnements désormais réglés, le transfert du recouvrement des cotisations des artistes-auteurs, voté en 2017 et effectif depuis 2019, a permis de remédier aux défaillances de l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa) et de la Maison des artistes (MDA), qui ne disposaient pas des moyens de recouvrer effectivement les cotisations de retraite de la plupart des artistes, les privant ainsi de droits à pension.
Mené en parallèle d’une réforme en profondeur des règles de fonctionnement du régime visant à les rapprocher de celles qui sont applicables aux travailleurs indépendants, le projet a permis de multiplier par six le nombre d’affiliés, non sans susciter des difficultés pour les cotisants.
Des problèmes persistent toutefois en termes de coopération entre les organismes chargés de l’affiliation au régime et l’Urssaf Limousin, qui a affilié indûment près de 5 000 cotisants en dépit du rejet de leur demande par l’Agessa et la MDA.
Notons qu’aucune convention régissant les relations entre ces deux organismes et l’Urssaf Caisse nationale n’a encore été signée à ce jour.
Pour éviter ce type de situation à l’avenir, nous recommandons de définir impérativement un cadre conventionnel préalablement à tout transfert de recouvrement.
Voici le contexte dans lequel le Gouvernement a souhaité relancer le mouvement de centralisation du recouvrement au début du dernier quinquennat, avec l’objectif de constituer une agence unique chargée du recouvrement social, mais aussi fiscal. Si les ambitions gouvernementales ont été revues à la baisse du fait, notamment, des différences de statut entre les agents des deux sphères et des coûts qui découleraient d’un alignement par le haut, le projet de système universel de retraite, abandonné depuis lors, a justifié l’élaboration d’un calendrier d’unification du recouvrement social échelonné entre 2020 et 2023.
Dès 2018 ont ainsi été adoptés le transfert de la collecte de la contribution due au titre de la déclaration obligatoire d’emploi des travailleurs handicapés à compter de 2021 et celui du recouvrement des contributions légales de formation professionnelle dès 2022.
En parallèle a été instauré, à titre dérogatoire et à compter de 2022, un système de reversement des cotisations aux attributaires des Urssaf sur la base des sommes dues et non plus des sommes collectées. En contrepartie de cette mesure visant à assurer la prévisibilité des recettes des régimes concernés par l’unification du recouvrement, les Urssaf appliquent aux sommes reversées un taux forfaitaire pour frais de non-recouvrement et de gestion.
Cette accélération de la réforme a été favorisée par la généralisation de la déclaration sociale nominative (DSN), qui a remplacé la quasi-totalité des formalités déclaratives des employeurs du secteur privé en 2017 et du secteur public en 2022, en instaurant un standard de déclaration harmonisé. Tandis qu’ils devaient auparavant adresser une déclaration sociale spécifique à chaque organisme intéressé, les employeurs ne doivent plus établir qu’une seule déclaration, dont les données sont réparties entre ses destinataires en fonction de leurs besoins.
Bien que la DSN ait constitué à la fois une simplification majeure du processus déclaratif et un progrès considérable en termes de fiabilité, puisqu’elle est directement réalisée à partir du bulletin de paie, une proportion non négligeable d’erreurs est encore constatée. À titre d’exemple, la CNAF estime qu’environ 2 % des DSN alimentant ses bases de données contiennent une anomalie. L’enjeu majeur des transferts programmés réside donc dans la fiabilisation la plus poussée possible des données individuelles véhiculées par ces déclarations, afin de garantir le paiement à bon droit des cotisations et prestations sociales.
La bascule en DSN n’est d’ailleurs pas toujours un processus aisé. Ainsi, le transfert aux Urssaf du recouvrement des cotisations des marins, effectué en 2020, a déchargé les services de l’État et l’Établissement national des invalides de la marine (Enim) du calcul des cotisations dues, désormais assumé par les employeurs. La norme DSN n’étant pas adaptée aux spécificités du régime, le processus déclaratif est fortement complexifié et quantité d’anomalies en découlent. Nous proposons par conséquent de normaliser, à l’avenir, les modalités de calcul et de recouvrement des cotisations sociales de tout régime avant sa bascule en DSN.
La Caisse d’assurance maladie des industries électriques et gazières (Camieg) et la Caisse nationale de retraite des industries électriques et gazières (Cnieg), dont l’activité de recouvrement a été confiée aux Urssaf en 2020 et en 2022, ne font pas état de problématiques de ce type et ont pu procéder au transfert dans d’excellentes conditions, par exemple en adaptant les règles de calcul de leurs cotisations aux standards de recouvrement des Urssaf lorsque cela s’avérait nécessaire.
Pour autant, il n’en résulte aucune avancée particulière, dans la mesure où le taux de recouvrement atteignait déjà 100 % et où les frais facturés aux caisses sont supérieurs à ceux qu’elles supportaient auparavant.