Intervention de René-Paul Savary

Commission des affaires sociales — Réunion du 21 juin 2022 à 15h05
Point d'étape sur l'unification du recouvrement – examen du rapport d'information de la mecss

Photo de René-Paul SavaryRené-Paul Savary :

rapporteur. – Il nous faut désormais regarder vers l’avenir. Or la prochaine étape du projet d’unification se révèle à la fois la plus importante et la plus risquée : je veux parler du transfert du recouvrement des cotisations du régime de retraite complémentaire des salariés du privé, géré par l’Agirc-Arrco, qui représente une collecte de quelque 80 milliards d’euros chaque année.

Il s’agit d’un régime tout à fait particulier, et ce à deux égards.

D’une part, il repose assez largement sur des taux de cotisation spécifiques ; ainsi, 20 % des salariés bénéficient d’un taux supérieur au taux standard, tandis que 17 % des entreprises appliquent une répartition plus favorable aux salariés entre parts salariale et patronale au profit de 5 millions de salariés.

D’autre part, le régime fonctionne selon un système par points et est fondé, à ce titre, sur le recalcul systématique des cotisations déclarées, salarié par salarié, « à la maille individuelle » et au fil de l’eau. Le montant des régularisations qui en découle s’élève à environ 850 millions d’euros par an. La fiabilité des données individuelles est d’autant plus indispensable à l’Agirc-Arrco que le premier euro cotisé y ouvre des droits, et ce jusqu’à 8 fois le plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), soit 329 088 euros. Les enjeux ne sont pas les mêmes que dans un régime par annuités tel que le régime général, où une erreur déclarative n’a qu’une influence limitée sur les droits acquis. De fait, quatre trimestres y sont validés dès lors que l’assuré justifie d’une rémunération d’au moins 600 fois le SMIC horaire brut. Une éventuelle anomalie affecte donc surtout le montant du salaire porté au compte, mais de façon très relative : celui-ci n’est pris en compte que dans la limite du PASS, soit 41 136 euros, et seules les 25 meilleures années sont retenues pour le calcul de la pension.

Initialement prévu pour 2022, mais reporté d’un an en raison des conséquences de la crise sanitaire pour les entreprises, le transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco aux Urssaf vise un triple objectif : amélioration de la performance du recouvrement, notamment par l’extension des contrôles Urssaf aux cotisations de retraite complémentaire ; réalisation d’économies de gestion ; simplification des démarches des entreprises, qui disposeraient d’un interlocuteur unique pour la quasi-totalité des cotisations dont elles sont redevables.

Après bien des difficultés liées à un fort déficit de coopération entre l’Agirc-Arrco et les Urssaf, nous avons établi que les taux de recouvrement des Urssaf étaient effectivement légèrement supérieurs à ceux de l’Agirc-Arrco. Pour autant, les avantages allégués du transfert nous semblent largement surestimés.

Tout d’abord, les économies potentielles sont extrêmement faibles : seuls 7,6 % des effectifs chargés du recouvrement à l’Agirc-Arrco seraient transférés, tandis que les autres seraient réaffectés en interne.

Ensuite, les entreprises ne devraient bénéficier d’aucune simplification majeure : la coexistence de deux flux de paiement ne suscite en effet aucune difficulté ; en l’espèce, la véritable simplification, c’était l’unification des déclarations sociales.

Par ailleurs, le transfert devra se traduire par l’ajout à la DSN des données agrégées relatives à la retraite complémentaire, c’est-à-dire des données calculées à l’échelle de l’entreprise à partir de la masse salariale, car le système d’information des Urssaf repose très largement sur ce type de données, tandis que l’Agirc-Arrco, dans une démarche de simplification, reconstitue elle-même les données agrégées à partir des données individuelles depuis 2017. Les démarches incombant aux employeurs en seraient donc alourdies.

Enfin, et surtout, le projet emporte un certain nombre de risques de grande ampleur : en premier lieu, tandis que l’Agirc-Arrco fiabilise les données déclarées à la maille individuelle en recalculant systématiquement et au fil de l’eau les cotisations de ses assurés, les contrôles des Urssaf reposent traditionnellement sur la maille agrégée à l’échelle de l’entreprise. Des contrôles de cohérence sont certes menés de plus en plus fréquemment, mais essentiellement au travers de campagnes ciblées diligentées a posteriori.

L’Urssaf Caisse nationale a donc développé une nouvelle « cinématique » déclarative, actuellement expérimentée par deux Urssaf régionales, qui permettra de contrôler les données DSN au fil de l’eau via une série d’échanges avec le déclarant en vue de la correction par ce dernier des anomalies détectées. En cas d’inaction de sa part, la loi prévoit que le collecteur pourra émettre une DSN de substitution régularisant les données déclarées et adressée à l’ensemble des destinataires de la DSN. De fait, à ce jour, en cas de non-correction par l’employeur, les Urssaf ou l’Agirc-Arrco modifient les données erronées dans leurs propres fichiers, mais ces corrections restent cantonnées au régime concerné. D’où des discordances entre données de retraite de base et données de retraite complémentaire pour les assurés.

Au terme du transfert, l’Agirc-Arrco conserverait la charge de la fiabilisation des données relatives à la retraite complémentaire, qui servira de base au reversement par les Urssaf des cotisations dues. Du reste, une phase pilote est menée avec les éditeurs de logiciels depuis janvier dernier afin de tester les modalités de contrôle retenues dans le cadre du transfert.

Néanmoins, le processus déclaratif proposé est encore trop récent pour permettre à l’Agirc-Arrco de disposer du recul nécessaire pour juger de son adéquation. De plus, la répartition des compétences en matière de contrôle et de relation avec les cotisants n’est pas encore clarifiée : l’Agirc-Arrco craint d’être privée, à terme, du contrôle de l’assiette et de la quotité de travail pour ne plus conserver que celui de la bonne application des taux spécifiques à ses cotisations. Au surplus, elle devrait perdre son rôle de « point de contact » pour les entreprises au profit des Urssaf, qui se tourneraient vers elle pour toute question relative aux cotisations de retraite complémentaire.

S’ajoute à ces problématiques l’alignement des dates d’appel des cotisations sur celles des Urssaf, qui se traduirait par une anticipation de dix ou vingt jours et pèserait à hauteur de 6 milliards d’euros sur la trésorerie des entreprises. Ce n’est évidemment pas le moindre des enjeux en période de reprise, après une crise d’une telle ampleur.

Enfin, la phase pilote est jugée encore trop peu représentative de la diversité des cas particuliers à la fois par l’Agirc-Arrco et par la Cour des comptes, ce qui ne contribue pas à rasséréner les acteurs du transfert.

Dès lors, nous préconisons de demander au Gouvernement de reporter par décret la date de mise en œuvre du transfert à 2024, comme la loi le lui permet, dans l’attente, a minima, de progrès en termes de fiabilisation des données individuelles de la part des Urssaf, afin d’atteindre un niveau de garantie suffisant. Nous souhaiterions que la Cour des comptes se prononce sur l’atteinte de cet objectif avant qu’une décision ne soit prise pour la suite. Dans le cas où le Gouvernement le refuserait, nous suggérons de modifier les textes à l’occasion de l’examen du PLFSS pour 2023 de façon à repousser la date du transfert.

Enfin, nous préconisons d’inclure dans ce moratoire les transferts programmés de l’activité de recouvrement de la Caisse des dépôts et consignations et de la Caisse d’assurance vieillesse invalidité et maladie des cultes (Cavimac). La Caisse des dépôts collecte en effet les cotisations dues à divers organismes, notamment la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (Ircantec), la Retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP) et le Fonds pour l’emploi hospitalier. En l’espèce, ses taux de recouvrement sont supérieurs à ceux des Urssaf et les perspectives d’économies sont extrêmement maigres. Surtout, elle procède, comme l’Agirc-Arrco, au recalcul systématique et à la maille individuelle des cotisations dues à l’Ircantec, régime par points, et développe des capacités de fiabilisation des données individuelles en ce qui concerne les cotisations dues à la CNRACL et au RAFP. À cet égard, elle se trouve donc confrontée aux mêmes risques que l’Agirc-Arrco.

La Cavimac, quant à elle, gère le régime des cultes. Intégrée au régime général, elle procède à l’affiliation des ministres du culte et recouvre leurs cotisations sociales, calculées selon des règles spécifiques, pour les reverser aux Urssaf. Le projet actuel prévoit que la gestion du recouvrement lui soit toujours déléguée, seule la responsabilité juridique étant in fine transférée aux Urssaf. À nos yeux, ce transfert – qui n’en est pas un – illustre par l’absurde la volonté d’« unifier pour unifier » qui inspire le Gouvernement.

Nous ne nous opposons pas, en revanche, à ce que les Urssaf prennent en charge à compter de 2023 le recouvrement des cotisations de retraite des professionnels libéraux affiliés à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (Cipav), cette caisse étant confrontée à des difficultés extrêmement lourdes depuis de nombreuses années, et celui des cotisations de retraite des clercs et employés de notaire. Bien que ce dernier ne présente pas d’intérêt notable en matière de performance, de simplification ou d’économies, leur caisse de retraite et de prévoyance, la CRPCEN, n’y a pas formulé d’objection et travaille dans ce sens en parfaite coopération avec les Urssaf.

Quel que soit l’avenir de l’unification du recouvrement social, nous tenons à rappeler que l’attachement des Urssaf à la maille agrégée ne doit pas faire obstacle à leur progression en matière de fiabilisation des données individuelles. En effet, la DSN sert désormais de base au calcul à la fois de l’impôt sur le revenu et d’un certain nombre de prestations sociales, notamment les aides personnelles au logement (APL) et la prime d’activité.

Or, celles-ci étant recalculées tous les trois mois sur la base des revenus des douze derniers mois glissants, une anomalie non détectée en DSN peut conduire au versement d’un indu ou à la diminution, voire à l’interruption du versement, ce qui serait absolument dramatique pour les bénéficiaires. Ces erreurs peuvent également produire des conséquences sur les droits à pension, dans la mesure où le répertoire de gestion des carrières unique (RGCU), qui doit servir, à terme, au calcul des pensions des assurés de l’ensemble des régimes de retraite, est alimenté, entre autres, par les flux DSN. Nous attendons donc de la part des Urssaf les avancées nécessaires, qui constituent un préalable indispensable à l’instauration du versement à la source des prestations sociales porté par le Président de la République durant la campagne.

Il convient enfin que les éditeurs de logiciels de paie participent à l’effort collectif de fiabilisation. En effet, la DSN est directement issue de la paie et les anomalies qu’elle peut contenir semblent très largement liées à des erreurs de paramétrage des logiciels de paie. Certains d’entre eux incluent des contrôles embarqués, mais uniquement dans le cadre de versions premium. Au regard de l’ampleur des conséquences d’une erreur déclarative sur les droits des salariés, nous considérons qu’un niveau minimal de fiabilité doit être assuré dès l’édition de la DSN et suggérons à cet effet que les logiciels fassent à l’avenir l’objet d’une labellisation publique visant à garantir le respect de standards techniques.

Telles sont les grandes perspectives que nous vous proposons de tracer pour les prochaines années, en gardant toujours pour objectif le paiement à bon droit des cotisations et prestations sociales. Il en va de la sécurité des droits des assurés, donc du consentement à la cotisation.

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