Intervention de Ted Morris

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 21 juin 2022 à 16h30
Incidents survenus au stade de france le 28 mai 2022 — Audition de Mm. Ronan Evain directeur général de l'association football supporters europe fse joe blott président de spirit of shankly ted morris président de liverpool disabled supporters association pierre barthélemy membre de l'association fse et emilio dumas socio du real madrid

Ted Morris, président de Liverpool Disabled Supporters Association :

Je suis un utilisateur de fauteuil roulant et je dépends de l'assistante ma femme pour me déplacer. Je tiens à vous remercier de me permettre de partager avec vous les témoignages de nos supporters en situation de handicap.

Ma femme et moi nous rendons régulièrement à Paris depuis vingt-sept ans. Nous adorons la ville et avons toujours trouvé les Parisiens très accueillants. Depuis le 28 mai, mon avis a changé : je ne veux plus me rendre à Paris si l'on continue d'y accueillir les touristes de cette façon ! Il est très important de porter ici la voix des supporters en situation de handicap, surtout après avoir lu et entendu autant de mensonges de la part des personnes au pouvoir.

Ce jour-là, ma femme et moi nous sommes rendus à la station La Plaine Saint-Denis vers 15 heures. Nous avons été surpris par l'absence de policiers à l'extérieur de la gare. Je me déplace très souvent en Europe avec le club de Liverpool et je sais d'expérience que l'on trouve généralement des agents de police dès l'abord des gares. Nous nous sommes déplacés vers le stade et avons attendu dans un restaurant jusqu'à 18 heures. La situation dans la zone de contrôle préliminaire était déjà très chaotique : de jeunes stadiers, inexpérimentés, essayaient de contrôler les billets de nombreux supporters, alors que des habitants des environs tentaient de les déborder pour pénétrer dans le stade.

Très inquiets, ma femme et moi avons retrouvé Lee Lomax aux abords du stade. Cet observateur de la police de Merseyside est un officier exceptionnel, qui nous accompagne très régulièrement dans nos déplacements européens. Il redoutait que des problèmes très graves ne surviennent en voyant les nombreux supporters déjà victimes de pickpockets.

Nous nous sommes dirigés vers l'entrée réservée aux personnes en situation de handicap, à savoir la porte C. Des supporters en fauteuil roulant y faisaient la queue depuis une heure. Un supporter avait pu accéder au stade, mais le billet de son accompagnant n'avait pas été reconnu. Or aucune procédure n'était prévue pour gérer ce cas de figure et la file semblait bloquée. Un stadier a ensuite renversé un fauteuil avant de tomber lui-même sur la personne en situation de handicap...

Devant une telle situation, nous avons contacté notre responsable de liaison du club qui a pu faire accéder tous les utilisateurs de fauteuils roulant au stade. Malheureusement, d'autres supporters occupaient déjà les places réservées à nos accompagnants, lesquels ont dû rester debout pendant toute la durée du match.

Les toilettes pour handicapés n'avaient pas de lumière et un stadier m'a simplement suggéré d'utiliser la lampe de mon téléphone portable... Ce n'est pas vraiment pas l'accueil que nous attendions pour un tel événement !

J'ai ensuite commencé à recevoir des messages m'informant que des supporters en situation de handicap, dont des enfants, étaient victimes de gaz lacrymogènes ou écrasés contre les grilles, à l'extérieur. La situation était très critique et tous semblaient paniqués, terrifiés. Certains craignaient même pour leur vie. Heureusement, des supporters de Liverpool, également victimes des gaz, leur sont venus en aide et les ont dirigés vers des endroits plus sûrs. Selon moi, c'est grâce à l'action de ces supporters qu'une catastrophe majeure a pu être évitée. Aucune personne en responsabilité, aucun dépositaire de l'autorité n'est venu en aide aux supporters handicapés. Tout cela est extrêmement triste.

J'aimerais maintenant vous faire part de quelques témoignages.

« H » est un garçon de 14 ans souffrant d'une maladie congénitale rare, appelée syndrome de Williams. Heureux d'être au stade avec son père, il a été victime des gaz lacrymogènes et a ressenti des sensations de brûlure dans la gorge. Terrifié, ce petit garçon pensait que ce qui arrivait avait un rapport avec la guerre en Ukraine !

« D », qui est non voyant, écrit qu'il a eu peur pour sa vie. Bloqué contre la porte, les stadiers l'ont poussé et l'homme à côté de lui est tombé par terre, se serrant la poitrine et cherchant à respirer. Un autre jeune garçon a crié, demandant de l'aide pour son père, coincé dans le tourniquet. Après le match, sur le chemin de la gare, des membres de gangs les ont poursuivis et leur ont jeté des bouteilles. Tout cela avant d'être de nouveau aspergés de gaz lacrymogène ! Heureusement, encore une fois, des supporters de Liverpool leur sont venus en aide et les ont mis à l'abri.

« R » est une femme handicapée venue assister au match avec son père âgé. Elle a été attaquée de façon violente par un gang qui a essayé de lui voler ses affaires. Je ne veux pas vous donner tous les détails particulièrement effrayants, mais vous les trouverez dans le rapport que nous faisons des événements. Ce sont encore les supporters de Liverpool qui lui sont venus en aide.

« M » est une femme en fauteuil roulant, également piégée à l'extérieur de la porte Y. Ses cris ont été ignorés par les autorités. Elle a été secourue par les seuls supporters de Liverpool.

« C », également en fauteuil roulant, a été soulevée par les supporters de Liverpool par dessus les portiques, les stadiers ayant refusé de lui ouvrir. Une fois à l'extérieur, elle a été aspergée de gaz lacrymogène en se dirigeant vers la gare.

Une personne non voyante a été séparée de son accompagnant dont elle était complètement dépendante. Elle a été traumatisée par cet incident.

« B » est un supporter souffrant de problèmes cardiaques et d'anxiété. Il s'est retrouvé écrasé contre les grilles en tentant de venir en aide à deux supporters en fauteuils roulant. Il a été attaqué et aspergé de gaz poivré. Il est aujourd'hui traumatisé.

« F » est un garçon de 8 ans, qui assistait au match avec son frère de 13 ans et son père. Il était très excité d'être à Paris. « F » est autiste et souffre également de dyspraxie et de dyspraxie orale. Il a été écrasé à l'extérieur du stade et séparé de son père et de son frère. Ce fut une expérience terrifiante pour ce jeune garçon handicapé. De nouveau réunis après le match, ils ont été attaqués par des habitants des environs et aspergés de gaz lacrymogène. « F » était terrifié à l'idée qu'il risquait de mourir. On ne peut qu'imaginer la terreur de cet enfant.

« S » est une jeune fille de 13 ans, en fauteuil roulant, qui a assisté au match avec sa mère, son père et son frère de 15 ans. Après la finale, cette famille a été retenue dans le passage souterrain par la police, parce qu'un groupe de supporters de Liverpool, dont ma femme et moi faisions partie, était attaqué par des bandes locales. Les gaz lacrymogènes ont été lancés et cette jeune fille a cru qu'il s'agissait de bombes. Elle était terrifiée et choquée. Ce qui devait être un voyage fantastique en famille à Paris s'est transformé en une expérience horrifique.

« N » est un jeune garçon souffrant de sclérose en plaques. Il a subi trois attaques de gaz lacrymogènes et a fait une rechute depuis cet incident. Il est très malade.

Il ne s'agit-là que de quelques-uns des très nombreux témoignages, près de 9 000, que nous avons reçus de la part de supporters handicapés. Vous trouverez dans le rapport des détails encore bien plus éloquents sur ce que les hommes, les femmes et les enfants handicapés ont subi. Nous avons été traités comme des animaux ! C'est une honte pour les autorités françaises, qui étaient en charge de notre sécurité. Jamais ma femme et moi n'avions été traités avec autant de mépris.

Quand nous avons voulu quitter le stade, à la quatre-vingt-sixième minute du match, pour des raisons de sécurité, on ne nous a pas laissé sortir en nous expliquant que des habitants essayaient encore de pénétrer à l'intérieur. Après une discussion très houleuse, nous avons été autorisés à sortir, mais il n'y avait aucune force de police jusqu'à la gare. En sortant du passage souterrain, avec d'autres supporters de Liverpool, nous avons été attaqués par des habitants. C'était terrifiant, sans doute davantage encore pour les personnes en fauteuil roulant. Nous nous sommes précipités vers la gare pour sauver notre peau, en espérant que la police nous protégerait.

Cette expérience a été terrifiante pour ma femme et moi. Nous nous sommes sentis complètement abandonnés. Arrivés à la gare, nous avons encore été aspergés de gaz lacrymogène. Je me rappelle le visage d'une jeune fille portant le maillot de Liverpool, complètement traumatisée à cause des gaz et des attaques des gangs. C'est l'une des scènes de détresse les plus touchantes que j'ai vue de ma vie.

Ma femme et moi avons ensuite entendu des explosions. Nous pensions qu'il s'agissait de bombes. C'était terrifiant, surtout que nous avions perdu tout contact avec nos filles. Nous ne savions pas si elles étaient en sécurité ou non.

Nous ne pardonnerons jamais aux autorités françaises. Elles sont responsables de ces événements. La faute n'en revient aucunement aux supporters du Real Madrid ou de Liverpool. J'ai écrit à lord Sebastian Coe, au Comité international olympique (CIO) et à d'autres institutions pour faire part de mes préoccupations quant aux prochains événements qui se dérouleront au Stade de France. Il faut que les autorités acceptent leur responsabilité. À défaut, je ne pense pas que les prochains jeux Olympiques et Paralympiques puissent se tenir à Paris.

Il faut que des mesures soient prises pour protéger les personnes en fauteuil roulant. J'espère que des enseignements seront tirés de cette triste soirée où de nombreuses vies ont été mises en danger. Si rien ne change, je déconseille aux personnes en fauteuil roulant de se rendre au Stade de France.

Pour conclure, j'aimerais dire au ministre de l'intérieur qu'il a humilié les habitants de Paris et qu'il est la honte du gouvernement français. Mon épouse et moi connaissons et aimons Paris et la France, mais je demande à M. Darmanin de retirer ses accusations sans fondement, qui ont encore ajouté à notre douleur et à notre traumatisme. S'il avait la décence de le faire, j'espère qu'il aurait aussi celle de démissionner.

Voilà trente-trois ans, les autorités ont menti sur les événements d'Hillsborough qui ont conduit à la mort de 97 personnes. Les agissements et le discours de M. Darmanin nous ont rappelé cette époque sombre. Pour cette seule raison, il devrait avoir honte.

J'aimerais remercier le Sénat français et MM. Lafon et Buffet pour la manière dont ils se sont comportés et pour avoir organisé ces auditions. Il faut avoir le courage de dire la vérité, même aux plus puissants. Je vous remercie d'avoir écouté la voix des supporters handicapés, des supporters en fauteuil roulant.

Le club de Liverpool a connu les mensonges de Hillsborough. Faire jaillir la vérité est extrêmement important pour nous. C'est même vital !

J'aimerais aussi remercier les journalistes français qui se sont rendus à Liverpool pour faire éclater la vérité. C'est extrêmement réconfortant pour nous. Mais tant que la vérité n'est pas révélée au grand jour, nous ne serons jamais satisfaits. « Vous ne marcherez jamais seul », comme le veut la devise de notre club !

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