Intervention de Joe Blott

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 21 juin 2022 à 16h30
Incidents survenus au stade de france le 28 mai 2022 — Audition de Mm. Ronan Evain directeur général de l'association football supporters europe fse joe blott président de spirit of shankly ted morris président de liverpool disabled supporters association pierre barthélemy membre de l'association fse et emilio dumas socio du real madrid

Joe Blott, président de Spirit of Shankly :

Je vous remercie de votre accueil et de vos mots à l'endroit des supporters anglais. Nous sommes venus ici pour que justice soit faite. Participer à cette audition nous permet d'expliquer ce qu'ont enduré les supporters de Liverpool au Stade de France. C'est la première fois qu'une institution daigne nous écouter ; nous vous en remercions.

L'association Spirit of Shankly, que je préside depuis trois ans, est une organisation démocratique, fondée en 2008, qui vise simplement à porter la voix de ses membres, tous supporters de Liverpool. Nous comptons plus de 250 000 followers sur les réseaux sociaux et organisons plusieurs réunions chaque semaine avec le club. Nous sommes tous des bénévoles.

Notre Committee Members est composé de quinze personnes, parmi lesquelles des juristes, un membre du Parlement, des musiciens, des comptables, des syndicalistes et bien d'autres personnes encore. Le football réunit depuis toujours des personnes d'horizons divers.

Nous ne sommes pas ici pour crier vengeance : nous voulons seulement faire éclater la vérité afin de permettre aux autorités françaises d'améliorer les choses pour qu'une telle situation ne se reproduise plus jamais.

Les Britanniques ne sont pas les seuls concernés : Liverpool est un club mondial et les événements du Stade de France ont fait les choux gras de la presse aux États-Unis, en Australie et dans de nombreux autres pays.

Le jour de la finale, nous avons vite compris que la police s'était fait une certaine idée de qui nous étions. Certains quartiers n'étaient pas accessibles aux fans de Liverpool, qui avaient pourtant dépensé des milliers d'euros pour voir la magnifique ville de Paris, du simple fait qu'ils portaient un maillot de football.

De même,les policiers qui entouraient la « fan zone » installée cours de Vincennes étaient en nombre et très équipés. La police de Liverpool avait pourtant souligné, dans son rapport d'avant-match, que les supporters de Liverpool se tenaient extrêmement bien : au cours des dix dernières années, nous n'avons jamais été impliqués dans le moindre incident ou désordre en Europe. Le rapport indiquait aussi que les supporters suivraient les consignes des forces de l'ordre. Si la police est stricte, mais juste, il n'y a jamais de problème.

Les fans de Liverpool ont voyagé en Espagne, au Portugal et en Italie au cours de la compétition et pas une seule personne n'a été arrêtée, mise en garde à vue ou renvoyée d'un stade. Nos 25 000 supporters ont toujours eu un comportement exemplaire, comme le rappelle également le rapport de M. Cadot.

Pour quelles raisons les recommandations de la police de Liverpool ont-elles été ignorées par les autorités françaises ? Tout simplement parce que ces dernières en sont restées aux années 1980 et voient toujours les supporters de Liverpool comme des hooligans. Trente-trois ans après les événements de Hillsborough, les mêmes préjugés et idées préconçues ont poussé les forces de police françaises à ignorer les recommandations de nos forces de police.

Dans son rapport, le ministre de l'intérieur écrit que les fans de Liverpool constituaient un risque pour la société française. Sur quelles bases peut-il faire une telle déclaration ? Le ministre et la police se cachent derrière des préjugés blessants pour masquer leur propre échec. Le rapport de M. Cadot montre un problème de compréhension latent à l'encontre des fans de football depuis Hillsborough.

Le 15 avril 1989, 97 fans de Liverpool ont trouvé la mort à cause d'un échec institutionnel imputable aux seules forces de l'ordre britanniques. Cela a été prouvé d'un point de vue juridique et c'est la stricte vérité. Entendre les autorités françaises répéter le même genre de mensonge, trente-trois ans plus tard, prétendant que les fans sont arrivés en retard, qu'ils avaient de faux billets ou qu'ils étaient en état d'ébriété a causé énormément de chagrin et de peine aux fans du monde entier.

Selon le rapport de M. Cadot, 30 000 à 40 000 fans de Liverpool sont venus en France sans billets. En quoi est-ce un problème ? Pourquoi faudrait-il limiter le nombre de supporters venant à Paris pour profiter de ce festival footballistique ? Les « fan zones » étaient justement là pour gérer ces foules. D'ailleurs, les chiffres de la police de Liverpool montrent que l'immense majorité des fans sans ticket s'y sont bien rendus.

Le préfet de police prétend que ces supporters sans billets étaient aux abords du Stade de France, ce qui est faux. Ils ne se sont pas non plus dirigés vers le centre de Paris durant le match. Les chiffres ne tiennent pas debout : s'il y avait 40 000 personnes sans billets en sus des 20 000 supporters de Liverpool avec des billets et des 15 000 supporters ayant acheté un ticket sur le site de l'UEFA, on arrive à 75 000 fans de Liverpool au stade, soit plus de 100 000 personnes si l'on compte aussi les supporters du Real Madrid. C'est totalement absurde !

De même, la manière dont M. Darmanin a décrit la production de faux billets à une échelle industrielle est ridicule. Le rapport de M. Cadot précise que 1 600 faux billets ont été détectés. Dès qu'un grand événement est organisé, on fait face à ce type de phénomène. C'est la raison pour laquelle on a recours aux QR codes et aux zones de triage aux abords des stades. Quand on se propose d'héberger un tel événement, il faut être à la hauteur et vérifier les tickets avant que les spectateurs n'entrent dans le périmètre du stade pour les protéger de toute forme de violence.

Passons à la sécurité. Bien sûr, nous le savons, il y a un risque terroriste en France. Nous connaissons les drames que votre pays a vécus ces dernières années, y compris au Stade de France en novembre 2015 à l'occasion d'un match de football opposant la France à l'Allemagne. Le ministre de l'intérieur avait communiqué sur ce point en précisant que le stade était sécurisé. Dans ce cas, comment le parvis a-t-il pu être envahi de la sorte par des bandes de pickpockets ?

Le préfet de police de Paris a regretté - c'est bien le moins ! - l'utilisation de gaz lacrymogènes contre les personnes fragiles, alors que leur utilisation n'était nécessaire contre absolument personne.

Le rapport de M. Cadot évoque la présence de 1 300 personnes dans l'enceinte du stade pour l'accueil et 6 800 personnels de police, gendarmerie et pompiers sur les différents sites, stade et fan zones. Et pourtant, je le répète, l'envahissement du périmètre du stade a été très facile. C'est vraiment un échec total.

Avant la fin du match, environ 200 policiers anti-émeutes se sont alignés face aux Anglais, contre aucun face aux supporters espagnols. Cela montre encore une fois que les autorités françaises ont été victimes de mauvais renseignements et de préjugés, car l'envahissement des terrains n'a jamais fait partie de la culture des supporters de Liverpool.

Pourquoi n'y avait-il pas de signalétique à la sortie du RER D ? Pourquoi les informations de la SNCF et de la RATP sur la fréquentation n'ont-elles pas été mieux prises en compte ? Pourquoi les stadiers ne sont-ils pas mieux formés ? Comment les autorités françaises ont-elles pu dispenser des informations aussi erronées ?

Certains supporters ont payé leur place jusqu'à 670 euros et ont craint pour leur vie. Dans le même temps, le ministre de l'intérieur fait porter la responsabilité sur les supporters de Liverpool, alors que certains ont eu un comportement héroïque pour sauver des vies ?

Trop de préjugés subsistent sur les supporters anglais. Les hooligans n'existent plus, mais la police française n'a pas su adapter sa tactique.

Je le répète, nous avons été exemplaires.

Nous suivons attentivement vos travaux et vos premières conclusions sont encourageantes et prometteuses. Cependant, nous attendons des excuses officielles de la France pour ce qui s'est passé et les accusations infondées qui ont été portées contre les citoyens britanniques. Il faut absolument qu'une enquête transparente et approfondie fasse la lumière sur ces événements si vous voulez pouvoir organiser des événements sportifs mondiaux à l'avenir.

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