Intervention de Mathieu Hanotin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 21 juin 2022 à 16h30
Incidents survenus au stade de france le 28 mai 2022 — Audition de M. Mathieu Hanotin maire de saint-denis président de plaine commune

Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, président de Plaine Commune :

Il me semble important, lors de ce retour d'expérience sur des événements que nous n'avions jamais connus durant les plus de vingt ans d'existence du Stade de France, de faire entendre la voix de la collectivité qui accueille chaque semaine des événements d'ampleur - ce vendredi a ainsi lieu la finale du Top 14.

Le plus simple est de reprendre le fil chronologique des événements.

Tout a commencé par la décision du Président de la République d'accueillir la finale de la Ligue des champions à Saint-Denis. Une fois cette proposition retenue par l'UEFA, très rapidement, plus d'une vingtaine de réunions préparatoires ont eu lieu. La ville de Saint-Denis a été associée à toutes ces réunions ; je me suis rendu à certaines d'entre elles, tout comme ma directrice générale des services, Mme Anne-Sophie Dournes, mon directeur de cabinet, M. David Lebon, et mon directeur de l'événementiel, M. Azdine Ayad.

Dès le début, la difficulté de la gestion des supporters lors de cet événement a été pointée, en raison de la présence de supporters anglais. Le point de référence retenu était celui de la finale à Madrid, lors de laquelle les choses s'étaient bien passées malgré un afflux important de supporters sans billets.

Lors de ces réunions, la ville de Saint-Denis a toujours défendu la position selon laquelle il fallait anticiper afin d'éviter que la foule des supporters ne soit livrée à elle-même, sans occupation, sur l'espace public. Dès le début, nous avons défendu la création de « fan zones » et avancé l'idée qu'il fallait considérer l'ensemble du continuum entre le métro et le stade.

Un certain nombre de désaccords se sont fait jour avec la préfecture de police, par exemple au sujet de l'interdiction de la vente d'alcool aux abords du stade, imposée par la préfecture à partir de 18 heures. Cela peut sembler un détail, mais il s'agit en réalité d'un problème de fond qui concerne la doctrine retenue.

Nous appartenons à un pays frappé par un attentat le 13 novembre 2015. Au Stade de France, un décès a eu lieu, celui de M. Manuel Dias - je lui rends hommage. Nous avons tous été choqués par cet événement, que nous commémorons tous les ans. Sept ans plus tard, la matrice de l'organisation des grands événements est toujours en premier lieu, et parfois en unique lieu, le prisme sécuritaire et la lutte contre le terrorisme.

Or le public étranger n'a pas le même rapport avec ces événements dramatiques que le public français. La peur des attentats nous fait oublier la dimension festive qu'il peut y avoir autour d'un événement comme celui de la finale de la Ligue des champions.

Ma vision est que l'organisation des « fan zones », l'autorisation de consommer de l'alcool jusqu'au début du match, ainsi que les animations musicales et sportives autour du stade, sont des éléments de contrôle social permettant de ramener au plus tôt la population aux abords du stade, afin de fluidifier les parcours et de permettre à un maximum de personnes de rentrer progressivement dans l'enceinte.

Pour la ville de Saint-Denis, la finale de la Ligue des champions a commencé deux semaines avant le soir du match, lorsque le trophée a été présenté le soir de la finale de la Coupe de France, pendant lequel tout s'est extrêmement bien passé.

Trois jours avant la finale de la Ligue des champions, un village a été organisé devant la mairie. Les supporters espagnols et anglais sont venus se prendre en photo devant une coupe géante. L'atmosphère était extrêmement festive, et durant ces trois jours, le mélange des publics, entre les supporters et les habitants de Saint-Denis, n'a posé aucun problème.

Cette fête a pris de l'ampleur le jour du match, car des supporters de plus en plus nombreux sont arrivés. Dans le parc de la Légion d'honneur, nous avons ouvert une « fan zone » destinée aux supporters du Real Madrid possédant des billets, où ces derniers devaient attendre le moment de se rendre au stade, vers 17 heures ou 18 heures. Cet espace a été placé sous la responsabilité de l'UEFA et du Real Madrid, la police municipale sécurisant les alentours de la « fan zone ». Il n'y a eu aucune difficulté.

De haute lutte, et trop tardivement de mon point de vue, nous avons réussi à négocier l'ouverture de cette « fan zone » le soir pour le public dionysien et les supporters espagnols sans billets, qui étaient entre 500 et 600 personnes. Nous n'avons eu quasiment aucun problème à constater à cet endroit.

J'étais présent au village, puis à la « fan zone ». Nous avons ensuite pris le chemin du stade vers 18 heures, et à ce moment nous nous sommes rendu compte que quelque chose avait changé dans la ville. La tension était palpable : il y avait plus de monde que lors d'autres matchs, des rues dont nous avions au préalable demandé la fermeture, sans succès, ont été fermées d'urgence, car elles étaient envahies de monde. En approchant du stade, nous nous sommes rendu compte qu'il y avait du monde absolument partout, et que des points de pression pouvaient se former.

Je me suis alors rendu dans la zone du club UEFA afin d'accueillir Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques. C'est à ce moment-là, vers 18 heures 30, que les choses ont commencé à déraper. Le véhicule de la ministre n'a pas pu prendre le chemin prévu et a dû emprunter une entrée technique. Les vigiles commençaient à être débordés, la foule poussant dans tous les sens. Nous n'avions jamais connu une telle situation au Stade de France.

J'ai accueilli des maires de grandes villes de France en compagnie de la ministre, et nous avons eu un temps de travail d'environ quarante-cinq minutes. Nous nous sommes alors rendus dans le stade, et en voyant la couronne du stade, nous nous sommes tout de suite rendu compte qu'il y avait des soucis. Nous n'étions pas du côté des portes anglaises, mais nous avons vu des bousculades et des bagarres autour de certaines portes. Des gens essayaient de rentrer, et certaines personnes manifestement sans billets étaient déjà rentrées dans la couronne du Stade de France.

Pour essayer de comprendre après coup les événements, j'ai pris l'habitude d'utiliser la métaphore de l'accident d'avion. Il n'y a jamais une seule raison qui explique un accident d'avion, mais toujours une multitude de petits incidents, sur lesquels viennent se greffer soit une mauvaise décision soit un aléa, qui vient rompre un système prévu pour être robuste.

L'aléa, dans cette affaire, c'est la grève du RER B et le basculement mécanique d'un flux de population complètement inhabituel sur le RER D. Cela vous a sûrement été précisé lors des précédentes auditions : nous sommes passés d'une fréquentation habituelle de 6 000 à 7 000 personnes dans le RER D à environ 37 000 personnes cette fois-ci, ces chiffres étant inversés pour le RER B.

Si une erreur a été commise, par la préfecture de police ou par d'autres, cela a été de ne pas rediriger le flux piéton sur l'avenue Francis de Pressensé, pour rejoindre le trajet habituel depuis le RER B, et de laisser la foule s'engouffrer dans le tunnel du RER D. Tout le monde peut faire une erreur, surtout lorsque la communication est mauvaise.

À partir de ce moment, les choses se sont enchaînées. Une fois que la pression s'est fait sentir sur la rampe, le préfet a pris une bonne décision en levant le barrage, car les risques étaient très importants à cet endroit, et un accident grave aurait pu se produire.

Les choses ont alors dégénéré. La levée du barrage a accentué la pression sur l'ensemble des portes, des gens ayant attendu longtemps s'inquiétant de ne pas avoir de place et se mettant à courir pour rentrer.

De très calme vers 17 heures, le Stade de France est devenu un endroit très agité. Alors que, lors d'événements de ce type, beaucoup de monde se réunit toute l'après-midi autour du stade, chantant et faisant la fête, l'interdiction de la consommation d'alcool a conduit les gens à faire la fête ailleurs, à retarder leur arrivée et à provoquer encore davantage de tensions, notamment autour des portes X, Y, Z et A.

Selon les stadiers, que nous connaissons bien car ils sont souvent originaires de Saint-Denis, plus d'un billet sur cinq était un faux billet. Cette proportion extrêmement importante était concentrée sur un faible nombre de portes.

Le système a manqué de robustesse : il n'y avait pas de système d'évacuation des personnes munies de faux billets. L'embouteillage était total, la pression augmentant, des personnes bloquées dans les tourniquets ne pouvant plus faire marche arrière. Diverses forces de l'ordre et de sécurité se sont concentrées autour de ces portes, des supporters pouvant grimper ailleurs aux grilles, comme les images que nous avons tous vues le montrent.

Le dispositif policier ainsi désorganisé, la situation est devenue très chaotique. Dans ce chaos, les phénomènes de délinquance ont été extrêmement nombreux, tant avant le match qu'après lui.

Je l'ai écrit dans la note transmise au préfet Cadot : le dispositif policier était préparé pour gérer des mouvements de foule ou la présence de hooligans, mais il n'était pas préparé pour gérer un tel afflux massif de délinquants de droit commun - je tiens d'ailleurs à préciser qu'il ne s'agit pas nécessairement de Dionysiens : des personnes sont venues de toute l'Île-de-France pour commettre des actes de délinquance, attirées par l'appât du gain. Il y a manifestement eu un fantasme autour de ce match, et une rumeur selon laquelle tous ceux qui se rendaient au stade étaient richissimes a probablement attiré de multiples délinquants. Certains ont évoqué des razzias ; la police municipale a constaté que de très nombreux supporters étrangers ont été victimes d'actes de délinquance.

Si je devais tirer des leçons de cette affaire, je dirais que l'approche des grands événements de ce type ne doit pas uniquement être sécuritaire. Si l'on veut accueillir le public dans de bonnes conditions, la sécurité doit être au service de l'événement et non l'inverse. Le pilotage de l'événement ne doit pas seulement dépendre du ministère de l'intérieur ou de la préfecture de police, qui défend une vision de mise en sécurité, conformément à son rôle. Il faut une approche beaucoup plus large. Le continuum d'animation tout au long du parcours jusqu'au stade permet aussi un contrôle social et une mise en sécurité de l'espace public. Une clarification de la chaîne hiérarchique d'organisation et de pilotage est nécessaire.

Notre vision de ces événements ne doit pas être uniquement sécuritaire. Nous devons les vivre comme ils sont, sans privilégier une approche prohibitive. Il vaut mieux gérer les choses en amont plutôt que de les subir.

La préfecture ne nous a donné l'autorisation de construire les « fan zones » que dix jours avant la finale. Nous avons été inutilement placés en tension, ce qui a fait que nous n'avons pas pu nous poser certaines questions, comme celle de positionner dans la rue des médiateurs parlant plusieurs langues pour mieux guider les supporters. La police municipale a bien tenu un point de proximité où les trois langues étaient parlées, mais nous devons davantage anticiper : il est nécessaire de renforcer le dispositif humain à la sortie des transports.

La systématisation des zones d'accueil des supporters possédant des billets est une autre question. Si les choses ont été plus simples pour les supporters espagnols que pour les Anglais, c'est parce que les premiers étaient plus proches du stade et n'ont pas connu de problèmes de transport. Nous aurions pu envisager qu'en plus de la « fan zone » du cours de Vincennes, un espace d'accueil pour les supporters anglais possédant des billets soit créé, par exemple dans le complexe sportif Nelson Mandela, afin de lisser les arrivées tout au long de l'après-midi, de diluer les flux et de les sécuriser. Il s'agit d'une piste de réflexion intéressante.

Renforcer l'attrait autour du Stade de France doit faire partie intégrante de l'événement. Nous devons pleinement intégrer les commerçants ambulants et sédentaires, leur faciliter la vie plutôt que de leur imposer des tracasseries administratives. La préfecture de police a ainsi refusé, pour la finale du Top 14, que les commerces soient ouverts jusqu'à 2 heures du matin.

Le ministre de l'intérieur a annoncé l'ouverture d'une enquête de police, ce qui est une bonne chose. Or cette question ne concerne pas seulement l'image de Saint-Denis, mais celle de la France entière ; il pourrait donc être intéressant que le Sénat recommande que ce travail ne repose pas uniquement sur les enquêteurs locaux, surtout si cette enquête devait avoir des ramifications internationales. La police municipale est évidemment prête à y contribuer ; nous avons d'ailleurs mis à disposition les images de vidéosurveillance dont nous disposions. Il y a des heures et des heures à visionner.

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