Nous tenons aujourd'hui notre dernière audition plénière consacrée à la thématique de la pornographie et aux dérives de son industrie. Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et moi-même avons mené pendant six mois des travaux sur cette thématique.
Nous accueillons Laure Beccuau, procureure de la République au Parquet de Paris, et Hélène Collet, vice-procureure de la République au Parquet de Paris. Je vous remercie, Madame la Procureure, d'avoir accepté de venir échanger avec nous cet après-midi. Nous savons que vous avez un emploi du temps chargé et nous connaissons vos contraintes - certaines affaires en cours sont évidemment couvertes par le secret de l'instruction. C'est d'ailleurs pour cette raison que notre audition de cet après-midi ne fait pas l'objet d'une captation audiovisuelle.
Nous avons eu au cours de nos travaux trois principaux axes de réflexion.
Tout d'abord, les conditions de production de contenus pornographiques. Un travail d'investigation mené, pendant plus de deux ans, par les enquêteurs de la section de recherches de Paris de la Gendarmerie nationale a permis de recueillir les témoignages d'une cinquantaine de victimes de pratiques de recrutement sordides et de viols, d'agressions sexuelles et de traite des êtres humains, sous couvert de tournages pornographiques. Pouvez-vous nous dire à quel stade en est aujourd'hui la procédure judiciaire et quelle pourrait être la date approximative de tenue du procès ?
Estimez-vous disposer des qualifications juridiques et pénales adéquates pour poursuivre les faits en question ? Des évolutions législatives ou réglementaires seraient-elles nécessaires afin d'améliorer les poursuites face à de telles situations ? Quel pourrait être le raisonnement du Parquet dans de telles affaires ?
Au-delà de ces affaires terribles, nous nous interrogeons plus globalement sur les liens qu'entretiennent proxénétisme, prostitution, traite des êtres humains et pornographie. La pornographie, qui implique des actes sexuels tarifés, peut-elle juridiquement être assimilée à de la prostitution filmée et les producteurs à des proxénètes ? Cette analyse a été développée devant nous par Elvire Arrighi, commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH).
Constatez-vous dans des affaires de proxénétisme des liens entre le monde de la prostitution et celui de la pornographie ? Estimez-vous possible, en l'état actuel du droit, de poursuivre pour traite d'êtres humains ou proxénétisme les producteurs de films pornographiques, y compris les producteurs dits mainstream ? Quelles éventuelles évolutions législatives seraient-elles nécessaires ou souhaitables pour le faire ?
La définition actuelle de la prostitution est établie par une jurisprudence de 1996 de la Cour de cassation. Un arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2022 a rejeté la possibilité d'étendre cette définition, et avec elle celle du proxénétisme, pour y inclure le caming, qui consiste, pour des cam girls ou cam boys, à proposer, moyennant rémunération, une diffusion d'images ou de vidéos à contenu sexuel, le client pouvant donner à distance des instructions spécifiques sur la nature du comportement ou de l'acte sexuel à accomplir. La Cour a estimé que ces pratiques, qui n'impliquent aucun contact physique entre la personne qui s'y livre et celle qui les sollicite, ne peuvent être assimilées à des actes de prostitution, dont la définition n'a pas été étendue en ce sens par le législateur. Dans le cas de la pornographie, il y a bien contact physique. Une réflexion différente pourrait donc être envisagée.
Notre deuxième axe de réflexion concerne la nature des contenus pornographiques. Ces derniers semblent de plus en plus extrêmes et dégradants. En outre, certaines vidéos sont manifestement illégales lorsqu'elles contiennent de la pédopornographie, des viols filmés, de l'incitation à la haine ou d'autres contenus pénalement réprimés.
Or, au-delà de la lutte efficace contre la pédopornographie, il semble aujourd'hui difficile d'obtenir le retrait de contenus pornographiques pouvant relever de poursuites pénales. Pharos ne dispose d'ailleurs pas d'une catégorie statistique permettant de comptabiliser les demandes de retrait reçues de la même façon qu'il traite les demandes relatives à la pédopornographie.
Avez-vous eu à traiter de plaintes en la matière au tribunal judiciaire de Paris et, plus spécifiquement, au sein du pôle cyber du tribunal ? Quelles suites leur ont-elles été données le cas échéant ?
Enfin, notre troisième axe de travail porte sur l'accès aux contenus pornographiques. Nous nous sommes intéressés la semaine dernière aux solutions techniques permettant d'assurer le respect de l'article 227-24 du code pénal, qui interdit la diffusion de tout contenu pornographique susceptible d'être vu par un mineur et qui prévoit, depuis la loi du 30 juillet 2020, que les sites pornographiques ne peuvent plus se contenter d'une simple réponse à la question : « Avez-vous plus de 18 ans ? ».
La cour d'appel de Paris a confirmé en mai dernier la décision du tribunal judiciaire de Paris rejetant la demande de blocage de sites pornographiques adressée par deux associations de protection de l'enfance aux opérateurs télécoms français. Le tribunal judiciaire de Paris a également été saisi de demandes de blocage par le président de l'Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique). Une audience est prévue le 6 septembre prochain, la décision ayant dû être reportée en raison d'un défaut de respect des délais d'assignation par l'Arcom.
Pourrez-vous nous dire quelle analyse vous faites de cette question ? Comment l'article 227-24 du code pénal pourrait-il s'appliquer efficacement et permettre l'interdiction effective faite à tout mineur d'accéder à des contenus pornographiques ?