Intervention de Olivier Gupta

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 17 mai 2022 à 14h35
Audition de l'autorité de sûreté nucléaire sur son rapport annuel pour 2021

Olivier Gupta, directeur général de l'Autorité de sûreté nucléaire :

Nous sommes à un moment de basculement, avec la fin de l'ère post-Fukushima et l'entrée dans une ère de relance du nucléaire.

Au cours de la dernière décennie, marquée par les conséquences de l'accident de Fukushima et les difficultés de l'industrie nucléaire française, l'ASN s'est beaucoup mobilisée sur le retour d'expérience de cet accident, le traitement d'anomalies, ainsi que la prévention et le traitement des fraudes, avec un nouveau dispositif de contrôle.

Aujourd'hui, le premier sujet de préoccupation dans le domaine de l'énergie est la sécurité d'approvisionnement à court et long termes. L'exploitation des centrales est appelée à se poursuivre aussi longtemps que possible et un nouveau programme nucléaire est annoncé.

Pour l'ASN, l'enjeu consiste à se préparer à contrôler de nouveaux projets d'installations, puis de nouveaux chantiers, en nombre inédit : la piscine d'entreposage centralisée de combustibles usés, Cigéo, plusieurs réacteurs EPR 2 et probablement une grande variété de petits réacteurs modulaires.

Un autre enjeu actuel est de mener avec les exploitants des discussions techniques sur la durée de fonctionnement des centrales existantes, pour disposer d'une visibilité sur les échéances de leur arrêt et assurer que les décisions nécessaires, notamment en termes de remplacement des moyens de production, soient prises avec suffisamment d'anticipation.

Sommes-nous prêts à faire face à ces enjeux en termes de personnel et de compétences ? À l'évidence, nous aurons besoin de personnels plus expérimentés, aptes à traiter des sujets plus complexes. Nous devons aussi gagner en expérience en matière de contrôle des organisations. Par exemple, pour le projet Flamanville 3, c'est là que le bât a blessé. Il nous faut donc rééquilibrer notre pyramide de postes vers des profils expérimentés. C'est l'un des éléments de l'avis que le collège de l'ASN vient de rendre sur les moyens de l'Autorité. Nous aurons besoin de votre soutien à cet égard.

Sommes-nous prêts en termes de méthodes de contrôle ? Ces dernières années, nous avons beaucoup travaillé à conforter notre approche, en mettant l'accent sur quelques principes fondamentaux dont nous ne dévions pas, indépendamment des cycles de grâce et de disgrâce du nucléaire et des prises de position sur l'excès ou le défaut de sûreté.

D'abord, la responsabilité première incombe à l'exploitant ; notre contrôle a pour objectif de vérifier qu'il assume correctement cette responsabilité. Par exemple, en matière de non-respect des délais de démantèlement et de reprise des déchets anciens, nous avons repensé notre contrôle en le faisant porter sur la manière dont les exploitants pilotent les projets : il s'agit de vérifier qu'ils sont en mesure d'identifier les dérives et de prendre de façon anticipée les mesures correctives. Bref, nous entendons contrôler sans déresponsabiliser.

Ensuite, nous tenons à ce que la réglementation reste générale, pour laisser une large place au dialogue technique. Ce principe nous permet d'être exigeants quand il le faut, sans empêcher les innovations, ce qui est particulièrement important dans la période qui s'ouvre.

Enfin, nous suivons une approche graduée : plus de contrôles là où il y a plus d'enjeux, et inversement. Dans cet esprit, nous avons allégé nos contrôles dans certains secteurs du nucléaire médical et renforcé nos contrôles dans d'autres domaines. La même approche s'applique en ce qui concerne les grandes installations nucléaires, avec un peu plus de difficultés à faire passer aux parties prenantes le message de la proportion aux enjeux, car, pour les centrales en particulier, tout sujet les concernant a tendance à être vu comme important.

Ces principes nous paraissent bien adaptés à la période qui s'ouvre. Ne pas en dévier est aussi gage de stabilité pour les industriels. Or la sûreté a besoin de cette stabilité : les atermoiements sont préjudiciables sur le plan industriel, mais aussi sur celui de la sûreté.

Le contexte international évolue profondément depuis plusieurs mois. D'une part, malgré sa relance en France, le nucléaire est en perte de vitesse en Europe ; son centre de gravité se déplace vers l'Asie. D'autre part, l'isolement des deux pays les plus en pointe en matière de développement nucléaire, la Chine et la Russie, n'est pas de bon augure pour le partage d'une vision commune.

Dans ces conditions, nous devons redoubler d'efforts pour faire prévaloir à l'échelle internationale une vision ambitieuse et partagée de la sûreté nucléaire. Ces dernières années, l'harmonisation a beaucoup progressé en Europe - nous avons récemment publié des analyses conjointes sur la sécurité des installations ukrainiennes.

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