Intervention de Bernard Doroszczuk

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 17 mai 2022 à 14h35
Audition de l'autorité de sûreté nucléaire sur son rapport annuel pour 2021

Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire :

Je me doutais bien que la corrosion sous contrainte serait parmi les premiers sujets abordés. Sur ce point, je tiens à fournir à la représentation nationale l'information la plus complète dont nous disposons à ce jour.

Ce phénomène a été découvert de manière inattendue sur des réacteurs d'EDF. Il est, je le répète, sérieux, dans la mesure où il concerne des parties de tuyauterie directement connectées au circuit primaire principal : en l'absence d'organe de coupure, une rupture de canalisation pourrait entraîner une brèche dans ce circuit. Il est sérieux aussi parce qu'il concerne potentiellement l'ensemble du parc nucléaire d'EDF.

La corrosion a été découverte à Civaux 1 à l'occasion de contrôles menés en 2021 sur le circuit d'injection de sécurité. Ces contrôles n'avaient pas pour objectif de détecter de tels phénomènes, mais des fissures de fatigue thermique. L'événement était donc totalement inattendu. De fait, la qualité de l'acier utilisé pour construire ces tronçons de canalisation permettait de ne pas envisager ce type de corrosion.

À ce stade, EDF a mis à l'arrêt ou prolongé l'arrêt de douze réacteurs pour expertise approfondie et, le cas échéant, réparation : les quatre réacteurs du palier N4 - les deux de Civaux et les deux de Chooz -, cinq des vingt réacteurs du palier 1 300 mégawatts - Penly 1, Cattenom 3, Flamanville 1 et 2 et Golfech 1 - et trois des trente-deux réacteurs du palier 900 mégawatts - Bugey 3 et 4 et Chinon B3.

Ces réacteurs ne sont donc qu'une partie de la trentaine de réacteurs aujourd'hui à l'arrêt, pour diverses raisons : maintenance normale, rechargement ou visite décennale.

EDF a priorisé les mises à l'arrêt, au regard notamment de la relecture de relevés de contrôles par ultrasons réalisés, à l'origine, pour détecter des fissures de fatigue thermique.

Les réacteurs du palier N4, le plus récent, sont à ce jour les plus affectés, ce qui a justifié leur mise à l'arrêt immédiate. Les réacteurs de 1 300 mégawatts sont moins affectés, mais tous feront l'objet d'investigations. Pour le moment, les réacteurs de 900 mégawatts, les plus nombreux, semblent peu voire pas affectés.

Le périmètre des circuits concernés et les causes du phénomène ne sont pas encore totalement précisés. D'autres pièces pourraient-elles être concernées ? Les investigations se poursuivent. Le circuit d'injection de sécurité est affecté sur de nombreux réacteurs ; pour certains, le circuit de refroidissement à l'arrêt est également touché. Des investigations doivent être réalisées sur d'autres parties des circuits auxiliaires, notamment le circuit chimique. Une ligne d'extension du pressuriseur doit aussi être investiguée.

À ce stade, les contrôles réalisés ne permettent pas de caractériser la taille des fissurations. Il faut pour cela découper le tuyau, ce qui implique nécessairement la mise à l'arrêt du réacteur et des réparations. EDF travaille à développer un moyen de contrôle par ultrasons ; disponible à partir du second semestre de cette année, il sera déployé progressivement sur les réacteurs.

Pour l'heure, EDF a expertisé 35 soudures et prévoit d'en expertiser plus de 105 autres d'ici à la fin du mois de juin. Les opérations de contrôle et, le cas échéant, de réparation sont dosantes ; elles imposent des protections spécifiques contre les rayonnements ionisants, ce qui rend les chantiers plus complexes.

Les analyses menées paraissent suggérer une cause prépondérante, liée à la géométrie des lignes de tuyauterie, différente entre le palier de 900 mégawatts, conforme au design initial de Westinghouse, et les paliers supérieurs, conformes à un design francisé. Si cette hypothèse était confirmée, elle pourrait expliquer pourquoi les réacteurs les plus anciens ne sont pas affectés, ou le sont peu. À ce stade, ce phénomène ne peut donc pas être considéré comme relevant du vieillissement.

La géométrie des lignes sur les réacteurs de 1 300 mégawatts et du palier N4 favorise un phénomène de stratification thermique du fluide, source de contraintes thermomécaniques supplémentaires dans certaines zones. La réalisation des soudures apparaît aujourd'hui comme une cause de second ordre.

Nous sommes totalement mobilisés sur ce sujet d'importance, en liaison étroite avec EDF et avec l'appui de l'IRSN. Par plusieurs courriers, rendus publics, nous avons demandé à EDF d'approfondir son analyse. Les calculs mécaniques réalisés à ce stade permettent de justifier la tenue des tuyauteries, mais avec peu de marge. Les premiers constats semblent démontrer que la propagation de la fissuration se limiterait à quelques millimètres, du fait de la compression du métal, mais cette hypothèse reste à confirmer.

La justification du caractère acceptable des conséquences d'une rupture de deux lignes du circuit d'injection de sécurité sur un réacteur de 1 300 mégawatts, qui en comporte quatre, en situation incidentelle a été produite par EDF ; elle est en cours d'expertise par l'IRSN et l'ASN. Elle tendrait à démontrer qu'EDF serait en mesure de replier le réacteur dans un état sûr.

En outre, EDF a mis en place des dispositions spécifiques de conduite et de détection de fuites avant rupture, pour pouvoir replier les réacteurs en cas de détection de fuite.

L'ASN a pris acte des mesures immédiates de précaution prises par EDF, mais demandé un ensemble de justifications complémentaires et une proposition de stratégie de contrôle, priorisée, des circuits potentiellement affectés sur l'ensemble du parc. EDF nous a remis cette stratégie vendredi dernier ; elle est en cours d'expertise. Elle pourra être ajustée sur la base des résultats des expertises en cours ou qui seront menées d'ici à la fin de juin. Elle pourra également être enrichie sur la base des visites décennales menées cette année, qui pourraient conduire à la mise à l'arrêt de réacteurs supplémentaires.

Quelques réacteurs mis à l'arrêt pourront être réparés d'ici à la fin de l'année, si le planning est tenu par EDF. Après contrôles, ils pourront être progressivement remis en service.

En tout état de cause, l'ensemble des circuits affectés par la corrosion sous contrainte devront être réparés, selon un calendrier qui reste à définir.

Vous avez aussi insisté sur la nécessité d'anticiper. En effet, il faut s'interroger sur les parties d'installation où des anomalies pourraient survenir, pour les découvrir avant qu'elles n'endommagent les installations.

Il est très important d'anticiper et de se poser les bonnes questions. Il faut pister les anomalies susceptibles de se développer avant qu'elles ne causent des dommages. C'est le sens des réexamens de sûreté que nous effectuons tous les dix ans. Le contrôle de conformité est extrêmement approfondi. L'exploitant investigue dans la quasi-totalité de son installation, notamment là où il n'a pas tellement l'habitude de regarder dans le cadre des programmes de maintenance. Cela permet de détecter d'éventuels écarts, qui devront être corrigés. Cette pratique est désormais bien établie en France.

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