Voici trois mois que nous travaillons sur le sujet et nous commençons à avoir un état des lieux. Je pense pour ma part que l'accès au porno sur Internet est la face émergée d'un énorme paquebot, qui est la question plus globale des réseaux sociaux, la part que prend cette activité extrêmement lucrative dans les activités humaines et ses conséquences sur les comportements humains.
Plus nous avançons dans nos travaux, plus je pense que la question de l'accès des mineurs aux vidéos pornos est le bon moyen d'accrocher l'opinion et l'intérêt sur le sujet, parce que, fort heureusement, cela choque tout le monde que les mineurs puissent regarder du porno. Mais quitte à passer pour une moraliste, cela me choque tout autant que des adultes passent des nuits entières à en regarder. Tout ce que vous dites sur les mineurs, qu'est-ce qui nous interdit de le dire sur les adultes ? Monsieur Choisel parlait tout à l'heure de l'accoutumance et de la différence entre la consommation moyenne et la consommation médiane, ainsi que du taux élevé de consommation chez une partie des mineurs et de son impact à la fois sur leurs représentations et sur leur rapport à la sexualité. Qu'est-ce qui nous autorise à penser que ceci n'aurait de sens que concernant les mineurs et les enfants ? Bien entendu, cela a un impact aussi sur les adultes, et de manière plus générale, c'est effectivement la face immergée de l'iceberg, un sujet beaucoup plus vaste.
Notre travail intègre la question de l'accès des mineurs à la pornographie mais ne s'arrête pas là. Nous étudions aussi les infractions pénales liées à la production des contenus, c'est-à-dire l'incitation à la haine raciale, au sexisme, à l'homophobie : tout cela est dans tous les contenus, que le consommateur soit adulte ou mineur. Nous travaillons aussi sur la légitimité de l'idée répandue selon laquelle l'accès à la pornographie fait partie des libertés individuelles que nos démocraties doivent garantir. Vraiment ? Je n'en suis plus totalement convaincue, puisque, par ailleurs, il heurte d'autres droits fondamentaux qui sont tout aussi importants.
Dès lors qu'on prend appui sur la question de l'accès des mineurs à la pornographie, nous avons un énorme chantier devant nous. On sait tous qu'il y a un enjeu éducatif sur l'éducation au numérique, mais il y a aussi un autre enjeu éducatif qui est celui de l'éducation à la sexualité. Un de nos auditionnés caractérisait ainsi la consommation de porno : un outil de réponse malsain à une curiosité saine.
L'école est un énorme sujet : elle n'assure pas l'éducation à la vie affective et sexuelle que la loi lui impose pourtant d'assurer. Les associations de protection de l'enfance et les associations féministes demandent que les cours d'éducation à la vie affective et sexuelle soit réellement tenus. Nous avons également besoin du soutien de l'Unaf et des associations familiales, parce qu'on ne peut pas valider l'idée que l'éducation à la sexualité relève de la liberté éducative. D'un certain point de vue, l'éducation à la sexualité est une nécessité républicaine et c'est à l'école de la prendre en charge, tant aujourd'hui la question est devenue un sujet pour l'école. C'est peut-être relativement récent, mais aujourd'hui les enseignants sont confrontés à tout ce que vous avez fort bien décrit sur les comportements des enfants avec le numérique, la mise en pratique et l'augmentation des violences sexuelles chez les jeunes enfants. J'adresse donc un message à Marie-Andrée Blanc, présidente de l'Unaf, et à tous les présidents d'association et de fédération : il faut qu'il y ait un débat, que les plus réticents cèdent parce que ce n'est plus leur intérêt de ne pas demander à l'Éducation nationale de faire son travail.