Je travaille depuis une vingtaine d'années sur les incendies de forêt. J'ai commencé ma carrière en étudiant le comportement du feu, c'est-à-dire sa vitesse de propagation et sa puissance en fonction de différents facteurs : météo, topographie, caractéristiques du combustible forestier. Mes travaux ont porté en particulier sur l'impact des traitements réalisés sur la végétation pour réduire les activités de feux ; les obligations légales de débroussaillement (OLD), notamment, sont un facteur clé pour réduire les sollicitations thermiques - flux radiatifs et convectifs - dans le voisinage des bâtiments à défendre.
Nos travaux montrent que la distance légale de 50 mètres n'est pas de trop pour permettre aux personnels de lutte d'intervenir en toute sécurité, compte tenu des puissances de feu enregistrées en fonction de la quantité de combustible. Nous avons testé plusieurs distances et modélisé leurs effets respectifs sur la réduction des flux : 10 mètres, 30 mètres et 50 mètres. Ce n'est qu'à partir de 50 mètres que l'on obtient, dans des conditions de propagation sévères, la diminution nécessaire des flux radiatifs et convectifs. La mise en oeuvre des OLD, aujourd'hui insuffisante, constitue donc une priorité.
Plus récemment, nous avons orienté nos recherches vers les activités de feu, c'est-à-dire le rapport entre nombre d'incendies et surfaces brûlées, d'une part, et facteurs météorologiques, d'autre part. Nous intégrons à nos modèles des indices de danger météorologiques régionaux et des facteurs locaux - empreinte agricole, densité routière - afin de déterminer leur influence sur la probabilité que des feux « échappent », c'est-à-dire dépassent le seuil critique d'un hectare, puis des seuils successifs, 10 hectares, 100 hectares, 1000 hectares.
Ce type d'approche nous permet d'analyser rétrospectivement l'évolution des activités de feux au cours des dernières décennies. Dans un contexte où les indices de danger climatique ont augmenté de 20 % environ, dont au moins la moitié est scientifiquement imputable au changement climatique, une diminution très importante des activités de feux a pourtant été constatée ces trente dernières années. Elle a eu lieu en deux temps : d'abord dans les années 1990, puis immédiatement après la crise de 2003. Nous démontrons qu'elle est exclusivement liée à la division par deux du nombre de feux d'un hectare permise par les efforts de prévention et de suppression, la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile ayant mis au coeur du dispositif la stratégie d'attaque rapide des feux naissants. En revanche, nous n'avons pas constaté d'amélioration quant à notre capacité à éviter que des feux déjà partis deviennent très grands.
Cette transition, autour de la crise de 2003, a conduit à une baisse considérable du nombre de feux, mais peu de progrès ont été réalisés par la suite à niveau de danger équivalent, même concernant les feux naissants. Cela signifie qu'il ne sera pas aisé de continuer à améliorer ces résultats, qui sont d'ailleurs très contrastés entre l'est de la vallée du Rhône, où l'amélioration a été très importante, et l'ouest, où la situation s'est plutôt dégradée à niveau de danger équivalent. Notre interprétation du phénomène, qui ne vaut pas démonstration, est que la DFCI a pu rencontrer des difficultés à encaisser cette augmentation du danger climatique dans la partie ouest du bassin, qui, historiquement, avait connu moins de grands feux que la partie est.
Ni la déprise agricole ni l'augmentation de la surface forestière sur l'ensemble de la zone, dont nous avons testé l'influence, n'apparaissent pour le moment parmi les facteurs explicatifs de ces changements, même s'ils ont pu augmenter la probabilité de petits feux dans l'ouest du bassin.
Je résume : d'un côté, le changement climatique explique l'augmentation du nombre de feux, et, de l'autre, la prévention et la lutte ont permis des gains globaux, en particulier après 2003 sur les petits feux.
L'autre volet de nos travaux consiste à réaliser des projections climatiques.
Nous avons reçu une commande en ce sens, de la part des trois ministères concernés, dans le cadre de l'actualisation du rapport Chatry. Quelques mots, tout d'abord, sur l'augmentation générale attendue : en 2050, on attend une augmentation des surfaces brûlées au sein de la zone sud-est d'environ 80 %. Le chiffre attendu à la fin du siècle, quant à lui, dépend énormément de ce qui se passera à l'échelle globale en matière d'émissions de gaz à effet de serre. Dans le scénario pessimiste, les activités de feux seraient triplées, quand le scénario intermédiaire de réduction des émissions, dit RCP 4.5, permettrait, s'il se réalisait, de les maintenir à 80 % après 2050.
En conséquence, la zone à risque, qui couvre environ 30 % de la zone sud-est aujourd'hui, s'étendrait à 50 % en 2050, puis jusqu'aux deux tiers à la fin du siècle. Cette expansion spatiale, considérable, peut sembler spectaculaire, mais deux tiers des nouvelles activités de feu auraient lieu dans la zone à risque historique, par intensification. Si des adaptations de la prévention et de la lutte seront bel et bien nécessaires dans des territoires actuellement peu exposés à ce risque, l'expansion, contenue par des franges de montagne, devrait se faire à la marge et non sur des centaines de kilomètres.
Se profile surtout un allongement considérable de la haute saison dans les zones où le risque existe déjà : concentrée aujourd'hui du 15 juillet au 24 août, elle irait désormais du 15 juin au 15 septembre, soit un quasi triplement. Là encore, le gros des activités sera attendu dans le coeur de la saison historique, ce qui exigera des interventions simultanées beaucoup plus nombreuses et plus intenses, entraînant usure et fatigue chez les professionnels.