Intervention de Jean-Baptiste Blanc

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 29 juin 2022 à 9h05
Contrôle budgétaire – outils financiers pour soutenir l'atteinte de l'objectif de zéro artificialisation nette – communication

Photo de Jean-Baptiste BlancJean-Baptiste Blanc :

rapporteur spécial. – La loi Climat et résilience du 22 août dernier a posé le principe du « zéro artificialisation nette » ou ZAN. En 2050, on ne pourra plus artificialiser une surface sans en rendre une autre à la nature. De plus, dans les dix prochaines années, entre 2021 et 2031, la consommation d’espace devra être divisée par deux par rapport aux dix années précédentes.

Cet objectif ambitieux ne vient pas de nulle part. Si l’artificialisation a quelque peu diminué au cours des années 2010, elle concerne encore 200 kilomètres carrés par an. Or l’imperméabilisation des sols entraîne des phénomènes de ruissellement et l’étalement urbain incontrôlé accroît les besoins en infrastructure et les déplacements automobiles.

Toutefois, il ne suffit pas de poser un principe. Il faut définir les moyens d’y parvenir, ce que la loi Climat et résilience n’a pas fait. Or l’objectif ZAN est source de nombreuses interrogations de la part des élus, qui ne savent pas comment ils vont y parvenir, et les services de l’État ne leur apportent aucune réponse.

L’objectif ZAN signifie que les logements devront être construits en utilisant moins, voire pas du tout, de sols nouveaux, et cela concerne tout aussi bien les infrastructures publiques, les équipements sportifs que les zones d’activité. Même une piste cyclable relève de l’artificialisation ! La question sera de plus en plus au premier plan des débats publics dans les années à venir.

En effet, l’enjeu n’est pas seulement environnemental, il est aussi social. Les révisions de plans locaux d’urbanisme (PLU) qui déclassent certaines zones à urbaniser en zones non constructibles commencent à susciter les déceptions de propriétaires. Les classes moyennes modestes, qui cherchent à aller habiter loin des centres pour y trouver un foncier abordable, risquent de se voir bloquer l’accès à la propriété, le rationnement de l’espace rendant les terrains hors de prix, alors même que le coût du carburant nécessaire pour s’y rendre s’accroît.

C’est pourquoi, après avoir été rapporteur de la loi Climat et résilience, lorsque je faisais partie de la commission des affaires économiques, j’ai souhaité travailler sur la question des outils financiers pour l’atteinte de l’objectif de zéro artificialisation nette.

Cette question est essentielle pour des raisons presque mathématiques : le ZAN n’a pas de modèle économique.

Pour protéger les terres agricoles et naturelles, le jeu de l’offre et de la demande ne suffit pas. Le prix moyen des terres et prés libres et non bâtis a été divisé par quinze depuis 1850. Les loyers de fermage sont de l’ordre de 50 à 150 euros par hectare par an. Une terre agricole n’est pas rentable lorsqu’elle est située à proximité d’un centre urbain, où elle peut être louée ou vendue à un prix beaucoup plus élevé, pour peu qu’elle soit classée constructible, alors même que c’est souvent là que se trouvent de bonnes terres. La pression est donc forte dans certaines communes. En outre, il est moins cher de construire des maisons individuelles que des logements collectifs, qui sont pourtant beaucoup moins consommateurs d’espace.

Comment faire, par conséquent, pour ne plus artificialiser les sols ? La réhabilitation des friches offre de grands potentiels, mais cela aussi coûte cher, surtout lorsqu’il faut dépolluer. La « renaturation » de terres urbanisées est complexe.

Les communes ne manquent pas d’idées. À l’occasion de la révision des documents d’urbanisme, elles étudient toutes les possibilités de réduire l’artificialisation, de densifier, de mieux utiliser l’espace, mais elles doivent aussi prendre en compte la demande de logements, la nécessité de remettre de la nature en ville pour réduire les îlots de chaleur et les besoins des habitants.

J’en arrive donc au constat que la définition d’un modèle de financement budgétaire et fiscal pour la politique de sobriété foncière est une impérieuse et urgente nécessité.

Ma première recommandation, en tant que rapporteur spécial des crédits du logement et de l’urbanisme, sera de demander que la présentation budgétaire de la mission « Cohésion des territoires » identifie mieux l’ensemble des moyens financiers de l’État met en œuvre pour atteindre l’objectif ZAN. Les objectifs et indicateurs de performance, en particulier, devraient refléter ce qui sera désormais l’un des principaux objectifs de la politique du logement et de l’urbanisme.

L’État consacre d’ores et déjà des crédits budgétaires à cette politique, mais de manière éparse au travers de plusieurs lignes, par exemple dans le cadre des projets partenariaux d’aménagement (PPA), qui concernent une vingtaine d’intercommunalités ou de groupes d’intercommunalités.

La maîtrise publique du foncier doit être un objectif majeur, face à des initiatives privées tendant à l’accaparer en attendant que sa valeur augmente. Les établissements publics fonciers (EPF) sont un outil important à la disposition de l’État et des collectivités locales. Il est nécessaire de renforcer leurs moyens et de les garantir. La suppression de la taxe d’habitation a eu pour effet indirect de diminuer le produit des taxes spéciales d’habitation qui est affecté aux EPF. Une dotation budgétaire a été créée sur le programme 135 en 2021 : elle doit être maintenue et même renforcée.

J’en viens au fonds friches, créé dans le cadre du plan de relance et qui a fait l’objet de trois séries successives d’appels à projets. Les deux premières éditions, pour un montant de 650 millions d’euros environ, ont sélectionné plus de 1 100 projets, mais le nombre de projets était encore plus important dans les territoires. La troisième édition, qui est en cours, rajoute 100 millions d’euros supplémentaires.

Ce fonds friches est plébiscité. La réutilisation d’espaces en friche est positive pour l’animation des villes et en particulier des centres-villes, pour le retour des commerces et des logements, pour la qualité des paysages et, bien sûr, pour l’atteinte des objectifs de sobriété foncière. La pérennisation de ce fonds a été annoncée l’an dernier par le Président de la République, mais nous attendons toujours d’en connaître les modalités, puisque la mission « Plan de relance » a vocation à disparaître. Il faudrait en toute logique une dotation sur le programme 135.

Quant au périmètre du fonds friches, je pense qu’il doit viser non seulement les friches au sens strict du terme, mais aussi des projets de requalification d’espaces déjà artificialisés qui ont besoin d’un « coup de pouce » pour démarrer. Autrement dit, c’est d’un véritable « fonds ZAN » dont nous avons besoin.

Ces dispositifs doivent toutefois s’articuler avec le rôle central que joueront les collectivités. Premières concernées par l’enjeu qu’est la maîtrise de l’urbanisation, c’est à elles que s’adressent les objectifs de la loi Climat et résilience. Elles sont soumises à des injonctions contradictoires : construire des logements nouveaux pour répondre aussi bien aux besoins des habitants que, pour certaines, aux exigences de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, tout en économisant le foncier, en évitant d’artificialiser et en outre en évitant de surdensifier les centres-villes, pour végétaliser au contraire les espaces centraux.

Je le dis clairement : les ressources des collectivités, notamment fiscales, n’ont pas été pensées conformément à un régime de sobriété foncière.

Par exemple, la dotation générale de décentralisation (DGD) accordée au titre de l’élaboration des documents d’urbanisme voit sa valeur bloquée depuis 2009, alors que l’ensemble de ces documents vont devoir être révisés pour mettre en œuvre les objectifs de réduction de consommation d’espace.

L’État dit qu’il accompagne les territoires et le demande à ses préfets dans des circulaires. Cependant, lors de mes nombreux déplacements dans les régions, j’ai constaté que les élus restaient peu informés et peu accompagnés, pour ne pas dire pas du tout. La direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) elle-même le reconnaît, comme nous avons pu le constater notamment lors des dernières Rencontres nationales des schémas de cohérence territoriale (SCoT) qui se sont tenues à Besançon.

J’ai examiné aussi les effets de la fiscalité nationale et locale, pour lesquels les propositions sont nombreuses. L’administration centrale est pour le moins réticente à tout changement, les effets des modifications de fiscalité étant toujours complexes. Si la théorie veut que chaque impôt ait un seul objectif, il paraît nécessaire de corriger un certain nombre de taxes qui n’encouragent pas à un comportement vertueux, que ce soit pour les particuliers qui ont des projets ou pour les collectivités qui perçoivent le produit de ces taxes.

Pour cette raison, la commission a commandé une enquête au Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) sur ce sujet. Nous y reviendrons donc certainement à l’automne lors des débats relatifs au projet de loi de finances. Pour l’instant, je présenterai quelques principes et questions soumises au CPO.

La taxe d’aménagement a pour objet de financer les dépenses d’équipement rendues nécessaires par les opérations d’urbanisme, mais la loi de finances pour 2021 a déjà prévu que la part départementale pourrait être utilisée en vue d’opérations de « renaturation ». Faut-il introduire de manière générale une composante relative à l’artificialisation dans cette taxe, afin d’encourager les projets économes en foncier ?

La même question peut se poser pour la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), qui pourrait, par exemple, être minorée pour les constructions en centre-ville.

La question des droits de mutation est sensible, car elle constitue une ressource essentielle des départements. Toutefois, son produit a beaucoup augmenté depuis une dizaine d’années. Certains proposent de modifier la répartition de la croissance de ces droits. En outre, leur niveau élevé en France pèse sur la fluidité du marché du logement, donc sur la mobilité des personnes, notamment en cas de changement de lieu de travail.

On évoque souvent la taxe sur les logements vacants, qui pourrait être augmentée afin d’inciter les propriétaires à remettre les logements sur le marché ; mais cela ne peut fonctionner que dans des endroits où une véritable demande s’exprime et si le coût d’une remise en état n’est pas trop élevé pour le propriétaire. Or la vacance risque d’augmenter encore dans les années à venir, lorsque les logements dotés d’une étiquette énergétique G, puis F et enfin E seront interdits à la location, si les propriétaires ne sont pas en mesure de procéder à leur rénovation.

Il faut donner aux acteurs locaux une réelle incitation à agir dans le sens de la sobriété foncière. Je vous proposerai donc de poser un principe général selon lequel les aides budgétaires et fiscales à la construction devraient être réorientées de manière majoritaire, mais non exclusive, vers les opérations tendant à la sobriété foncière – réhabilitation, rénovation, démolition-reconstruction – et non vers l’extension urbaine. Il s’agit de penser une nouvelle fiscalité, du renouvellement et non plus de l’étalement. Toutefois, à l’intérieur de ce principe général, des aides sont et resteront nécessaires pour poursuivre des objectifs de politique publique tels que la politique de logement social et intermédiaire ou certains projets de développement locaux.

Je pense aussi qu’il est nécessaire de privilégier la voie contractuelle dans les relations entre l’État et les collectivités. La lutte contre l’artificialisation nécessite une connaissance fine du territoire que possèdent les maires et les acteurs locaux, par exemple les agences d’urbanisme. La coopération entre le niveau national et les collectivités locales devrait être formalisée dans des conventions garantissant l’accompagnement de l’État et de ses agences ou opérateurs sous forme d’aides financières ou en ingénierie. Cela pourrait s’inscrire dans le cadre des contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Nous pourrions aussi évoquer la possibilité de mutualiser les ressources et les dépenses via des pactes financiers et fiscaux à l’échelle intercommunale.

Je propose également d’introduire un critère « ZAN » dans les aides à la pierre apportées par le fonds national des aides à la pierre (FNAP) pour la construction de logements sociaux. Il s’agirait de favoriser les projets économes en foncier, selon des modalités à déterminer par le conseil d’administration de cet établissement.

Enfin, l’une des difficultés majeures que rencontrent les collectivités locales est le manque de visibilité parmi les aides et soutiens qu’elles peuvent avoir pour la mise en œuvre du « zéro artificialisation nette ». Je termine donc par une proposition forte, qui serait de mettre en place une agence du ZAN, susceptible de servir de point de repère et de garant pour le financement sur le long terme. Cette idée s’inspire, bien sûr, de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), avec laquelle il existe des points de comparaison : les besoins de financement sont majeurs et l’objectif est de long terme – 2031 dans un premier temps, puis 2050. Un acteur doté d’une forte visibilité doit incarner cette politique, offrir un guichet unique pour les collectivités, mobiliser les moyens d’ingénierie de l’État ou ses propres moyens. Il serait partie prenante des conventions dont je parlais.

Cette agence pourrait gérer le fonds friches au moyen des ressources actuelles de ce fonds, mais aussi avec des ressources nouvelles. Je pense à ce sujet aux ventes de quotas carbone. La directive sur le système européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre prévoit que la moitié au moins du produit de ces ventes doit revenir à des projets de lutte contre le changement climatique. Or ce n’est plus le cas depuis deux ans, car la majeure partie de ce produit revient au budget général de l’État. Orientons donc ce produit vers des projets visant explicitement l’économie de foncier : la ressource disponible est d’environ un milliard d’euros par an.

Pour finir, afin de favoriser une appropriation des enjeux du ZAN et d’éviter une approche purement administrative, je serai favorable à ce que soit créé un comité d’observation et de prospective qui pourrait réunir des élus, mais aussi des juristes, des géographes et des sociologues, ainsi que des professionnels du secteur et des citoyens formés aux enjeux de la sobriété foncière et du développement local. Il s’agirait d’un organe consultatif, qui pourrait « challenger » les administrations afin d’aboutir à des solutions durables et acceptables pour les collectivités et la population. Ce comité pourrait réfléchir notamment à une nouvelle dotation globale de fonctionnement (DGF), l’actuelle n’ayant pas été pensée conformément aux dispositions de la loi Climat et résilience. Il pourrait également étudier la possibilité d’adosser un système de bonus et de malus à la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et aux dotations de soutien à l’investissement local (DSIL). Il pourrait enfin soulever la question de la péréquation, le nombre de territoires en déprise allant croissant.

Vous l’avez compris, nous ne sommes qu’au début de cette révolution à bas bruit que constitue le ZAN. Un volet fiscal devra certainement être mis en œuvre dès la prochaine loi de finances, mais il est important que l’État donne rapidement des orientations claires sur la mise en œuvre concrète de cet objectif particulièrement ambitieux de réduction progressive de l’artificialisation nette des sols. Lors de mes auditions, l’État a été silencieux, pour ne pas dire inquiétant sur le sujet. La question financière et fiscale associée à cet objectif ne semble pas avoir été anticipée. Nous devons tous nous mobiliser, État compris, pour y remédier.

Il pourrait être intéressant par ailleurs de saisir, dans un second temps, le CPO sur le volet du logement. La fiscalité nationale en matière de logement mériterait en effet d’être repensée.

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