Intervention de Jean-François Husson

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 29 juin 2022 à 9h05
Contrôle budgétaire – outils financiers pour soutenir l'atteinte de l'objectif de zéro artificialisation nette – communication

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

rapporteur général. – Merci au rapporteur spécial pour son travail, qui a le mérite de nous montrer tout ce qui n’avait pas été dit sur le ZAN, au-delà de l’affichage médiatique qui a accompagné son inscription dans la loi.

Ce travail soulève en outre la question des modalités de transition vers la sobriété foncière. Ce sujet recouvre plusieurs dimensions : les enjeux liés à la compensation de l’artificialisation des sols, la question de savoir quel type d’habitat nous voulons pour l’avenir, celle de savoir quels équilibres nouveaux instaurer dans les territoires et entre les territoires, urbains et ruraux, et enfin la question cruciale du mode de régulation et des financements associés à ces démarches. En effet, il n’y a rien de pire que d’afficher une intention sans avoir réfléchi aux modalités concrètes de financement et de mise en œuvre.

Je me réjouis donc de la présentation de ce travail, qui lance des propositions en vue de combler une carence manifeste. Je regrette qu’aucun cadre composé de garanties et d’incitations financières concrètes n’ait été fixé dès le départ pour soutenir cette ambition, à laquelle je souscris par ailleurs. L’exercice est d’autant plus complexe que, du fait du phénomène de « desserrement » des ménages, il faut construire plus de logements.

M. Antoine Lefèvre. – La situation est très tendue dans les territoires. Pour de nombreux élus, l’objectif de zéro artificialisation nette des sols paraît en effet démesuré. Si chacun peut être sensible à la nécessité de préserver la biodiversité, l’éradication de tout projet d’urbanisme en zone rurale ne semble pas correspondre à ce qui avait été annoncé.

La création d’un fonds ZAN me paraît pertinente, mais il faudra y associer les élus, qui ont le sentiment de recevoir des injonctions venues d’en haut sans qu’aucun outil leur soit fourni pour les accompagner. En revanche, la suggestion du rapporteur spécial de créer une agence dédiée, censée favoriser une meilleure représentation des élus, soulève des interrogations, des difficultés risquant, de facto, de se présenter dans son fonctionnement.

Une modulation de l’objectif ZAN serait-elle envisageable en fonction du niveau de développement urbain des communes ?

Mme Sylvie Vermeillet. – Je ne partage pas l’objectif de ZAN, dont nous aurions pu débattre davantage, d’autant qu’il engage également les générations à venir. Il faudrait en outre réexaminer la définition de l’artificialisation. En milieu rural, des parcelles comportant pourtant des jardins entretenus sont ainsi classées comme artificialisées, alors qu’elles participent à une évolution favorable des territoires et de la planète.

Au laisser-aller manifeste qui prévalait il y a dix ou vingt ans, nous passons désormais à une restriction drastique des possibilités d’accorder des autorisations d’urbanisme. Les territoires ne supportent plus cette situation qu’il faut bien qualifier d’excessive. Dans le Jura, les directions départementales des territoires (DDT) refusent de plus en plus souvent d’accorder des permis, empêchant ainsi de nouveaux habitants de s’installer dans les territoires, alors même qu’aucune réponse n’est apportée au problème, pourtant majeur, de la déprise agricole. En outre, les enfants des Jurassiens ne peuvent plus être accueillis dans les territoires qui les ont vus naître. Le droit à vivre et à s’installer dans les territoires ne paraît donc plus respecté, ce qui est inacceptable.

L’État ne peut ainsi donner pour directive aux DDT de ne plus accepter aucune demande d’autorisation d’urbanisme sans fournir aucune solution par ailleurs, d’autant que les demandes d’installation en milieu rural ont explosé à l’issue des confinements liés à la crise sanitaire.

Je suis également très réservée à l’égard de la création d’une agence dédiée au ZAN – je crains qu’elle devienne un État dans l’État.

Je souhaite une redéfinition générale de l’objectif de ZAN et la prise en compte du droit de chacun à vivre dans chaque territoire.

M. Vincent Segouin. – Je rejoins la détresse qui vient d’être exprimée. L’objectif de ZAN se traduit par une perte d’autonomie et de pouvoir pour les maires, qui sont vent debout contre cette mesure.

De nombreux notaires de l’Orne m’ont alerté sur les difficultés que rencontrent les propriétaires de logements classés F, qui ne pourront donc être loués ni vendus dans les années à venir. Les travaux d’isolation requis pour modifier ce classement étant très coûteux – 40 000 euros pour un logement de 60 mètres carrés –, et ce coût n’étant pas reportable dans le montant des loyers, la seule solution pour ces propriétaires sera de les laisser vacants. En ces conditions, réfléchir à une augmentation de la taxe sur les logements vacants ne paraît pas souhaitable.

De manière générale, l’absence de tout raisonnement économique sur le sujet est regrettable. Alors que nous souffrons d’une pénurie de logements, nous accélérons le problème, allant ainsi à l’encontre de l’intérêt des Français.

La solution consistant à créer une agence du ZAN est une solution administrative, qui revient à mobiliser de la dépense publique inutilement.

M. Patrice Joly. – Il est difficile de ne pas être en accord, sur le principe, avec l’objectif de ZAN, compte tenu des enjeux auxquels nous sommes confrontés en matière de souveraineté alimentaire et de préservation de la biodiversité. Sa définition n’est cependant pas entièrement arrêtée, et n’inclut pas, par exemple, l’installation de panneaux photovoltaïques, laquelle manque d’un cadre juridique clair.

Dans les faits, cet objectif se traduit dans certains territoires par une réduction drastique des possibilités de construire, en particulier dans les collectivités des territoires ruraux régis par le règlement national d’urbanisme (RNU). Or l’accès au logement constitue un véritable enjeu, y compris pour les populations autochtones, dont les possibilités d’accès au marché immobilier se trouvent réduites par l’arrivée massive de nouveaux résidents venus de zones denses. Le défi que constitue la création de logements pour les populations résidentes est donc devant nous.

Les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUI), pourtant fortement encouragés par l’État, soulèvent par ailleurs des difficultés dans les grandes intercommunalités rurales. Ils ne laissent pas, en effet, aux élus locaux la maîtrise de la réflexion sur l’aménagement de leurs territoires et s’inscrivent dans un prisme trop uniforme qui ne prend pas suffisamment en compte la réalité des situations sur le terrain.

La question de la réhabilitation, très coûteuse, des centres-villes et des centres-bourgs est également cruciale. Il pourrait être judicieux de réaffecter les moyens publics ou parapublics qui ne seraient plus employés par les collectivités pour faire de l’étalement – pour l’eau, l’assainissement, le numérique, etc. – au financement de cette réhabilitation.

Nous pourrions en outre envisager d’appliquer un prélèvement public aux sommes générées par la vente des terrains non bâtis devenus terrains à bâtir, à partir du moment où cette évolution s’est faite sur la base de la seule décision publique, sans aucune initiative des propriétaires des terrains concernés. Il ne semble en effet pas légitime que ces derniers bénéficient seuls de la valeur ajoutée générée par une décision dans laquelle ils n’ont pris aucune part. Les crédits qui en découleraient pourraient également être orientés vers la réhabilitation des centres-villes et centres-bourgs.

Mme Isabelle Briquet. – L’objectif de ZAN paraît peu adapté localement. La question de la définition de l’artificialisation, en zone urbaine et en zone rurale, se pose. Sur le terrain, le déploiement de cet objectif se traduit par des résultats catastrophiques. Les élus locaux ne peuvent plus offrir aux populations, qui souhaitent pourtant de plus en plus s’installer à la campagne depuis la crise sanitaire, la possibilité de construire une maison. Très opposés à cette mesure, ils tâchent néanmoins de se montrer constructifs et de chercher des solutions.

La recommandation du rapporteur spécial d’orienter majoritairement les aides budgétaires et fiscales à la construction vers les opérations de réhabilitation, rénovation, démolition ou reconstruction me semble par ailleurs très intéressante. En effet, de nombreux logements de centres-bourgs ne trouvent pas preneurs en raison du coût des travaux requis par leur rénovation, et les aides existantes ne permettent pas aux collectivités, désireuses pourtant de s’y investir, de se positionner pour leur acquisition afin de permettre à des familles de s’y installer.

M. Didier Rambaud. – Si l’idée selon laquelle nous ne pouvons plus continuer à aménager notre territoire comme nous le faisions ces dernières années fait consensus, la manière d’y parvenir soulève des débats. Des contradictions se manifestent entre les objectifs de développement durable que nous affichons et les modalités locales de leur concrétisation.

Il serait bon, à ce titre, d’obtenir un bilan de l’action menée par les établissements publics fonciers locaux (EPFL) au cours des quinze dernières années.

La création d’une agence dédiée au ZAN recommandée par le rapporteur spécial ne me paraît pas judicieuse. Une telle entité coûterait cher et ne serait pas forcément efficace. L’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ne pourrait-elle pas jouer ce rôle ?

M. Jean-François Rapin. – L’idée de l’objectif de « zéro artificialisation nette » des sols était attractive. Cependant, à la lecture des deux décrets relatifs à cette question, nous nous sommes aperçus que nous avions manqué de précision et d’exigence lors de l’examen de la loi Climat et résilience.

L’un de ces décrets prévoit que les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) doivent déterminer leurs objectifs en matière d’artificialisation des sols afin de ne pas dépasser la moitié de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers observée lors des dix années précédant la promulgation de la loi. Or cet objectif, aussi noble soit-il, provoquera des divisions entre les maires et les habitants – car il restreindra les possibilités de construire –, entre les maires et les intercommunalités, ainsi qu’entre les présidents des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

En outre, alors que la ministre de la transition écologique s’était engagée, lors de l’examen du projet de loi Climat et résilience, à obtenir des mesures spécifiques dans le PLF, notamment concernant les espaces littoraux, aucun outil de financement n’a finalement été défini pour le ZAN.

Les maires des territoires littoraux seront confrontés à des difficultés particulières, car les espaces qu’ils auront préemptés sur le trait de côte pour lutter contre l’érosion côtière ne seront pas comptabilisés dans le ZAN. Il n’y aura donc pas d’espace disponible pour la reconstruction.

M. Vincent Capo-Canellas. – En matière de développement durable, que ce soit pour la lutte contre l’artificialisation des sols ou dans les domaines du logement et du transport, nous avons fixé des objectifs ambitieux, sans savoir comment les atteindre... Les études d’impact de l’époque n’ont sans doute pas été assez poussées. Les conséquences des objectifs définis en vue de protéger la biodiversité et de limiter les émissions de carbone n’ont pas été assez mesurées.

Je suis assez sceptique sur la pertinence de la recommandation du rapporteur spécial de créer une agence dédiée au ZAN, mais je reconnais que rien ne se fera sans moyens financiers considérables ni sans un lien clarifié entre les collectivités et l’État. Le rapporteur spécial a le mérite de nous alerter sur la nécessité d’agir.

M. Jean-Michel Arnaud. – Nous connaissons bien ce sujet dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur... D’ailleurs, plusieurs réunions de la conférence des SCoT ont eu lieu ou sont prévues pour y réfléchir de manière opérationnelle.

Il faut bien dire que nous sommes face à un absolu casse-tête ! Il est absurde d’imaginer une réduction de moitié des terrains constructibles, en particulier dans les zones qui ont peu construit durant la période de référence, et les acteurs locaux, élus ou autres, n’y comprennent rien.

Qui plus est, il existe encore d’importants débats sur la définition même de l’artificialisation, sur la méthode et sur les financements. Le SCoT est une bonne échelle pour réfléchir à ces questions.

Il existe aussi des risques de conflits majeurs entre les territoires d’une même région : la guerre est ouverte !

Il est donc nécessaire de remettre ce dossier sur la table et d’ouvrir de nouvelles discussions. Je note d’ailleurs que l’Association des maires de France (AMF) a déposé un recours contre les deux décrets d’application.

Nous devons trouver des outils, notamment financiers, pour avancer. Certains ont évoqué l’idée d’utiliser la DETR, mais il faut savoir que cette dotation est déjà largement mobilisée sur d’autres sujets...

Enfin, je ne crois pas que nous ayons besoin d’une nouvelle agence. Nous avons besoin de préfectures qui agissent, qui apportent des réponses techniques et qui accompagnent les élus et les collectivités.

M. Claude Nougein. – Lors de l’assemblée générale des maires de mon département, qui a eu lieu la semaine dernière, j’ai été surpris de constater que ce sujet a écrasé tous les autres... Les maires ne parlaient que du ZAN ! Et je dois dire qu’il existait un consensus pour dire que le Sénat devait se saisir de cette question.

Diverses incohérences ont été soulevées à cette occasion ; je n’en citerai que quelques-unes.

Dans mon département, rural, nous avons un excédent de terres agricoles et une pénurie d’agriculteurs. Pourtant, en cas de reprise d’une exploitation, le repreneur ne peut pas construire une maison pour habiter sur place, ce qui est évidemment très handicapant.

Autre incohérence, les fermetures de classes et d’écoles se multiplient, mais les communes ne peuvent pas construire pour faire venir des nouveaux habitants. Je note d’ailleurs que ce sont souvent les mêmes qui se plaignent des fermetures et qui bloquent les nouvelles constructions...

À la suite de la crise sanitaire, il n’y a plus de friches ou de logements vacants dans les bourgs-centres ; tous les logements ont été rachetés.

Comment sortir de cette situation ubuesque ?

M. Rémi Féraud. – Même si les territoires concernés y sont moins grands, le débat sur l’artificialisation des sols existe aussi en zone urbaine. C’est par exemple le cas autour des nouvelles gares du Grand Paris.

En tout cas, ce débat pose plusieurs questions : la pertinence de l’objectif, les rigidités dans sa mise en œuvre ou encore les moyens financiers. Du point de vue financier, il est vrai que la fiscalité locale est rigide et datée et qu’elle n’aide pas à la mise en œuvre de l’objectif. La commission des finances a décidé de saisir le Conseil des prélèvements obligatoires de cette question : dans quel délai devrions-nous recevoir cette étude ?

M. Jean-Marie Mizzon. – C’est justement en raison de l’objectif de zéro artificialisation nette que je me suis abstenu sur le projet de loi Climat et résilience. J’étais séduit par l’idée directrice, mais je voyais les difficultés à venir... Contrairement à l’Allemagne, à la Belgique ou aux Pays-Bas, la France n’est pas un pays dense.

Est-ce que cet objectif est compatible avec la nécessité de construire 10 à 13 millions de logements d’ici à 2050, selon le président de la fédération des aménageurs, et avec la volonté politique de réindustrialiser notre pays ? J’ai le sentiment que nous nous sommes créé un obstacle de plus sur le chemin de certains de nos objectifs.

Je suis d’accord avec l’ensemble des propositions soumises par notre rapporteur spécial, à l’exception de l’idée de créer une agence dédiée.

Je note aussi que le ZAN est plus fort que le ZEN, le zéro émission nette... Il suffit de prendre l’exemple des pistes cyclables : elles sont comptabilisées comme une artificialisation, alors qu’elles remplissent un rôle évident dans la lutte contre le dérèglement climatique. Il existe donc des incompatibilités évidentes entre les objectifs !

J’ajoute que ce sujet ne peut que créer de grandes tensions entre les élus. Lorsqu’on discute du SCoT, les enjeux liés à l’artificialisation ne sont pas situés dans les villes-centres, où le bâti est déjà très important, alors que les représentants de ces territoires sont très présents dans les instances de décision. Je crois que davantage de maires devraient être intégrés dans ces instances.

Enfin, je suis d’accord avec la remarque de Sylvie Vermeillet : les jardins et les potagers, qui sont comptabilisés comme des territoires artificialisés, apportent plus de biodiversité que certains champs en monoculture...

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