Au-delà de mon rôle au sein de la FNSPF, qui m'a valu d'être invité aujourd'hui, je tiens à préciser que j'ai connu les feux de 1990, 2003 et 2016, que j'ai réalisé plusieurs missions en renfort sur le territoire national, notamment à La Réunion, ainsi qu'en Australie en janvier 2020.
Les perspectives tracées par François Pimont sont éloquentes. L'expansion du risque sur le territoire national aura des conséquences sur la sollicitation des personnels. Depuis que s'applique le principe de solidarité introduit par la loi de modernisation de la sécurité civile du 13 août 2004, il est devenu habituel que les pompiers du nord de la France viennent aider ceux du Sud pour lutter contre les feux.
Je plaide pour que l'on arrête de parler de « saison des feux » : en tant que directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Bouches-du-Rhône, je peux vous dire que nous intervenons sur des départs de feux depuis le mois de janvier. Autrement dit, malgré une intensité particulière sur certains créneaux, la saison des feux, c'est du 1er janvier au 31 décembre, car la sécheresse est chronique !
Depuis 2019-2020, le dérèglement climatique, nous le vivons au quotidien. Avant-hier, je me trouvais dans le Gard pour des feux qui dépassent l'entendement - 10, 20, puis très rapidement 100 hectares -, malgré un faible vent. Ces feux ne sont pas « à taille humaine », leur intensité est telle qu'en l'absence de végétation entre la forêt et les éléments de lutte il est tout simplement impossible d'aller au contact. La puissance dont nous parlons se mesure en mégawatts : ce sont des centrales nucléaires qui se déplacent.
Au-delà du constat, je vous proposerai quatre axes de réflexion en vue de nourrir un éventuel texte législatif.
Premier axe : il faut un renforcement du soutien de l'État à l'investissement des SDIS, aujourd'hui assumé en très grande partie par les collectivités, hormis quelques subventions de l'Etat et le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). La loi de 2004, qui a instauré le principe de solidarité « Nord-Sud », l'avait assorti du Fonds d'aide à l'investissement des SDIS, permettant aux départements de former le personnel concerné. Ce fonds, doté de plus de 300 millions d'euros entre 2004 et 2012, a fondu à 32 millions en 2016, puis à 7 millions aujourd'hui, orientés sur le seul projet NexSIS, logiciel d'alerte commun à tous les SDIS.
L'État doit faire bien davantage pour accompagner les collectivités, notamment en finançant les aménagements de défense extérieure contre l'incendie (DECI) pour l'accès à l'eau, ainsi que les aménagements de DFCI.
Je vous livre au passage deux observations. Lorsqu'un SDIS achète un véhicule pour commander la lutte contre les feux de forêt, mais ne contenant pas d'eau, il doit payer un malus qui augmente le prix de presque 50 %. De même, lorsque nos camions partent en opération, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) s'applique aux carburants utilisés, quand d'autres, parce qu'ils partent à la guerre, en sont exemptés. Voilà des pistes pour substituer des baisses de charges aux subventions, en déclin, dont dépendent les collectivités.
Deuxième axe : l'accroissement des moyens aériens de la sécurité civile. Il est prévu que le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) intègre un volet consacré à la sécurité civile ; c'est une première dans l'histoire de notre pays. On y trouve des éléments très intéressants, qu'il s'agira probablement de renforcer par voie d'amendement. Je veux croire à une prise de conscience.
Notre flotte - hélicoptères, avions bombardiers d'eau - est actuellement dotée pour couvrir une zone de risque déterminée. Or l'intensification des feux et leur déplacement sur le territoire national, voire au-delà, vont rompre le contrat opérationnel. Nous devons augmenter nos capacités, notamment en acquérant des hélicoptères bombardiers lourds, car un Canadair, utile sur la frange côtière, ne l'est pas en Bourgogne-Franche-Comté... Il serait par ailleurs intéressant de travailler au niveau européen afin de mutualiser les moyens. Les sapeurs-pompiers français sont par exemple partis en renfort en Suède. Le Groenland brûle, la Norvège brûle ; tout le continent est désormais touché.
Il est par ailleurs indispensable de moderniser nos infrastructures, à commencer par les logiciels -- je pense en particulier à NexSIS et au Réseau radio du futur. Je vais vous donner un exemple pour bien comprendre l'utilité de ces outils : si un camion de pompiers arrive du Vaucluse pour intervenir en curatif dans les Bouches-du-Rhône, il n'est pas géoréférencé dans le logiciel opérationnel du département ; il est alors impossible de le secourir s'il est piégé par le feu. Ces nouveaux outils le permettront et éviteront des drames.
Je pense également au dispositif FR-Alert, car la population a un rôle à jouer. En Australie, il existe des applications pour informer la population sur la situation des feux et des voies de communication en temps réel en cas d'incendies.
Troisième élément sur lequel je souhaite insister : en France, lorsqu'il faut réunir des financements, le réflexe est de solliciter les fonds publics, ceux des collectivités notamment. Nous avons modélisé, avec l'École d'économie de Toulouse et AgroParisTech, la valeur économique du « sauvé ». L'action des sapeurs-pompiers préserve en effet des vies, mais aussi le patrimoine forestier et l'activité économique. Dans le seul département des Bouches-du-Rhône, en 2019, la lutte contre 202 feux de forêt a permis de préserver une valeur de 1,4 milliard d'euros ; dans l'Hérault, la valeur « sauvée » était de 367 millions d'euros en 2021. De ce point de vue, le monde assurantiel a certainement un rôle à jouer, ce qui n'est pas sans lien avec le sujet des OLD.
Quatrième axe : le positionnement des sapeurs-pompiers dans la gestion de la sécurité civile. Nous sommes en pleine canicule : précisément, on ne parle des sapeurs-pompiers qu'en cas de catastrophe. C'est une politique en dessous des radars au quotidien. Dorénavant, toutes nos politiques publiques font une place à l'écologie, y compris lorsqu'une collectivité passe un marché, et il existe un ministère de l'écologie de plein exercice. Il s'agirait probablement de faire de même pour la sécurité civile. La Grèce, qui a subi des drames ces dernières années, l'a fait en créant un ministère de la protection civile et de la gestion des situations d'urgence.
Cette politique doit aussi impliquer la population dans la lutte contre les feux. Quant à doter la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises d'une véritable « direction métiers », je laisserai le sénateur Pascal Martin, en tant qu'ancien officier de sapeurs-pompiers, vous en dire plus. Nous gagnerions, en outre, à ce que l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers devienne un véritable institut national de sécurité civile : il faut former nos décideurs, préfets, maires, etc., à la gestion du risque et à la gestion opérationnelle.
Il faut une véritable politique des ressources humaines. J'ai évoqué une rupture du contrat opérationnel sur le matériel, mais il faut aussi évoquer, à la suite de notre collègue chercheur, la fatigue des personnels. Lorsque vous luttez contre les feux de forêt, une force civile intervient : les 196 000 sapeurs-pompiers volontaires. Leur nombre est constant depuis au moins vingt ans, alors que les sollicitations augmentent. Actuellement, la crise des urgences conduit à oublier totalement cette force essentielle au quotidien ; la mission flash actuellement menée sur ce sujet se concentre sur les personnels médicaux, alors que les sapeurs-pompiers contribuent également à répondre aux urgences médicales. Or ces mêmes pompiers répondent dans le même temps aux sollicitations qui sont au coeur de leur métier, à savoir canicule et feux de forêt.
Il est nécessaire aussi de renforcer les sapeurs-pompiers volontaires. C'est l'épine dorsale de la sécurité civile. D'ici à 2027, fixons-nous l'objectif de 250 000 volontaires. En Autriche, sur 9 millions d'habitants, on compte 242 000 sapeurs-pompiers volontaires ; en Pologne, pour 38 millions d'habitants, ils sont 260 000 - même s'ils n'ont pas tous les mêmes missions que les nôtres.
Il faut préserver cette force essentielle, faire en sorte que l'Europe considère l'engagement citoyen comme une véritable force. Nous attendons toujours la directive européenne sur ce sujet, même si, récemment, une motion du Conseil européen appelle à protéger l'engagement citoyen.
Ceux que l'on appelait les soldats du feu sont, par le biais des secours apportés en urgence aux personnes, les soldats de la vie : ce sont les mêmes qui, en ce moment, sont les soldats du climat.