Intervention de Michelle Meunier

Commission des affaires sociales — Réunion du 29 juin 2022 à 9h30
Lutte contre l'obésité — Rapport d'information

Photo de Michelle MeunierMichelle Meunier :

rapporteure. – L’Organisation mondiale de la santé a repéré le danger en mentionnant dès 1997 une « épidémie d’obésité ». L’institution évoquait alors la « première épidémie non infectieuse de l’histoire de l’humanité […], reflet des problèmes sociaux, économiques et culturels majeurs auxquels sont actuellement confrontés les pays en développement et les pays nouvellement industrialisés ».

Le terme d’« épidémie » pour qualifier la dynamique de l’obésité n’est pas galvaudé. En 2016, près de 2 milliards d’adultes, soit 39 % de la population mondiale, étaient en surpoids et, sur ce total, plus de 650 millions étaient obèses, soit 13 % de la population mondiale. Les prévalences sont néanmoins très diverses en fonction des régions du globe : 40 % de la population des États-Unis sont obèses, mais seulement 4,2 % des Japonais sont touchés.

Si l’on adopte un point de vue comparatif, la position française en Europe et dans le monde est plutôt rassurante en matière de surcharge pondérale. Elle ne saurait néanmoins être un motif de fierté nationale, car le phénomène, bien qu’assez mal mesuré, reste préoccupant : un adulte sur deux est en surpoids, et 17 % des adultes sont obèses, ce qui est à peu près stable sur la brève période, mais en augmentation depuis vingt ans.

Ces chiffres globaux dissimulent une certaine hétérogénéité dans la distribution sociale de la maladie : l’obésité est systématiquement plus fréquente en bas de l’échelle sociale. Et ces inégalités s’accroissent en France depuis les années 1990 : selon l’enquête Obépi-Roche de 2020, en vingt-trois ans, le taux d’obésité s’est en effet accru de quatre points chez les cadres, mais de plus de neuf points chez les ouvriers et de dix points chez les employés. Les enfants d’ouvriers sont quatre fois plus touchés par l’obésité que les enfants de cadres.

En outre, le phénomène n’est pas homogène géographiquement : le taux national d’obésité est de 17 %, mais il atteint 22 % dans les Hauts-de-France, 20 % dans le Grand Est et 14,4 % en Pays de la Loire. Il est surtout très élevé dans certains territoires d’outre-mer : 31 % dans les Antilles, et 47 % à Mayotte.

Enfin, nos travaux interviennent alors que la pandémie de covid-19 a laissé des traces. Une étude réalisée par Santé publique France dans le Val-de-Marne en avril 2021 souligne le rôle délétère des mesures prises pour freiner l’épidémie. La part des enfants obèses a presque doublé entre la période de 2018 à 2019 et celle de 2020 à 2021, pour atteindre 4,6 % des élèves. Ce constat est partagé en Europe, ainsi que nous l’ont dit les représentants du bureau Europe de l’OMS.

Pis encore, selon l’organisation, pas un seul État de la région ne serait en voie d’atteindre l’objectif de diminuer l’augmentation de cette prévalence d’ici à 2025.

Quoi qu’il en soit, la mesure du phénomène en France reste beaucoup trop imprécise. Notre rapport formule donc une première recommandation consistant à financer des suivis de cohortes réguliers.

Les auditions de notre mission d’information nous ont permis d’établir l’extraordinaire complexité de notre objet d’étude, qui tient à son caractère multifactoriel.

Le premier élément d’explication se résume dans l’idée d’un déséquilibre de la balance énergétique, c’est-à-dire un apport excessif de calories au regard d’une dépense calorique insuffisante. D’après les études INCA, nous consommons chaque jour 2 200 kilocalories, soit un tiers de plus qu’en 1970, d’une alimentation probablement trop grasse – de 80 % plus grasse qu’en 1970 – et, surtout, trop sucrée. Par parenthèse, l’histoire de la place croissante du sucre dans nos régimes alimentaires est déjà bien exploitée par les historiens et les anthropologues, qui y voient une conséquence de la révolution industrielle et de la nécessité de recharger la force de travail toujours plus efficacement.

Ce déséquilibre est ainsi, en quelque sorte, déterminé par un environnement que l’on peut qualifier d’obésogène. Le temps destiné à la préparation des repas ayant été réduit de 25 % en un quart de siècle, l’industrie n’a cessé d’enrichir l’offre alimentaire pour répondre à la demande d’une alimentation à moindre coût et à moindre perte de temps. On estime par exemple que 46 % des calories ingérées par les enfants proviennent d’aliments ultra-transformés, c’est-à-dire dont la matrice alimentaire a été affectée par des procédés industriels ou qui contiennent des substances d’origine industrielle.

Or les produits ultra-transformés sont en moyenne plus denses énergétiquement – c’est ce que l’on attend d’eux – et contiennent des additifs nocifs ; ils agissent sur la biodisponibilité des nutriments, la mastication, la satiété, la réaction hormonale, ou encore la vitesse de prise alimentaire. Modifiant notre manière de nous alimenter, ils sont en outre fortement soupçonnés d’entraîner des risques plus élevés de surpoids et d’obésité, ainsi que d’autres pathologies chroniques.

Notre rapport examine encore d’autres causes, tels les pesticides et les perturbateurs endocriniens, et plaide pour un soutien plus franc à la recherche sur ces dimensions.

Sur l’autre plateau de la balance énergétique repose l’insuffisance de la dépense calorique, par le double effet d’un défaut d’activité physique et d’une sédentarité excessive. Mesurée généralement d’après le temps passé quotidiennement devant un écran, cette dernière a considérablement augmenté et, chez les enfants, concerne là encore davantage les enfants d’ouvriers que les enfants de cadres. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) estime que seuls 5 % des adultes ont une activité physique suffisante pour être protectrice.

Nous ne devons enfin pas négliger d’autres facteurs individuels, tels que les déterminants génétiques – certains chercheurs estimant l’héritabilité de l’obésité à 70 % –, le rôle du microbiote, ainsi que les facteurs psychologiques traumatiques, au premier rang desquels les violences sexuelles. Ces dernières pourraient porter les victimes à la prise de poids, selon différentes hypothèses, soit par souci de protection, soit à la suite d’un état dissociatif à l’instar de celui provoquant des conduites addictives, ou bien encore par le jeu de mécanismes neurobiologiques déterminant le métabolisme.

La complexité de l’objet se répercute sur l’action des pouvoirs publics : d’abord, parce que le caractère multifactoriel du phénomène invite plutôt à une action globale sur les déterminants environnementaux du surpoids plutôt que sur la responsabilisation des individus ; ensuite, parce que lire l’état du consensus scientifique à travers le brouillard des conflits d’intérêts entretenus par l’industrie agroalimentaire reste une tâche difficile.

Malgré tout, la France a structuré assez rapidement une action contre le surpoids et l’obésité qui repose essentiellement sur le programme national nutrition santé (PNNS), lancé en 2001 pour cinq ans, puis reconduit trois fois. Le quatrième PNNS, lancé pour la période 2019-2024, prévoit 55 mesures pour, notamment, « diminuer de 15 % l’obésité et stabiliser le surpoids chez les adultes » et « diminuer de 20 % le surpoids et l’obésité chez les enfants et les adolescents ».

Les évaluateurs des premiers plans ont déploré le foisonnement des mesures, la mauvaise articulation avec les autres politiques publiques, la difficile déclinaison sur le terrain des actions menées et, surtout, la difficulté à mesurer les résultats obtenus d’actions qui consistent à diminuer d’un facteur précis la consommation de tel ou tel nutriment. Compte tenu de la complexité énoncée, nous pouvons douter que la mise en œuvre du dernier plan s’écarte franchement de ces constats. Surtout, il nous a semblé que les politiques menées minoraient la dimension sociétale de la maladie et qu’il fallait au contraire engager des mesures systémiques ambitieuses.

Il faudra certainement faire mieux pour améliorer la prise en charge de la maladie. Le covid l’a suffisamment rappelé : l’obésité est une maladie grave, à laquelle sont associées de nombreuses pathologies et qui réduit singulièrement l’espérance de vie. Or les médecins généralistes sont encore insuffisamment formés, la réforme des études de santé n’a guère renforcé la place de la nutrition et les structures de repérage existantes ne sont pas assez soutenues par les pouvoirs publics. Surtout, nous proposons de renforcer la prise en charge par l’assurance maladie des soins des personnes en situation d’obésité, par exemple en en faisant une affection de longue durée.

Enfin, l’intervention des industriels dans l’orientation des politiques publiques est l’une des questions épineuses que nous soulevons dans notre rapport. Sans avoir encore de recommandations à formuler pour prévenir les conflits d’intérêts dans le domaine de la nutrition, il conviendra de garder à l’esprit la grande habileté du secteur agro-alimentaire pour organiser à son profit le débat public par le financement de recherches choisies, la création de fondations ou, plus simplement, un lobbying intense.

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