Intervention de Chantal Deseyne

Commission des affaires sociales — Réunion du 29 juin 2022 à 9h30
Lutte contre l'obésité — Rapport d'information

Photo de Chantal DeseyneChantal Deseyne :

rapporteur. – Notre fil conducteur a donc été celui du rééquilibrage des efforts : nous pensons que ceux qui sont demandés aux individus sont excessifs et que la lutte contre le surpoids et l’obésité passe d’abord par la promotion de préférences favorables à la santé, sans culpabiliser les individus.

Le Nutri-score est devenu l’emblème des politiques nutritionnelles en France. Sa mise en place n’a été possible qu’au terme d’une bataille de six ans ayant opposé les concepteurs du dispositif à l’industrie agroalimentaire. Sa généralisation obligatoire à l’échelle européenne est l’une des mesures prioritaires du dernier PNNS. Il est donc devenu très difficile d’en faire la moindre critique sans risquer de prêter le flanc à l’accusation de défaitisme, d’hostilité à la science ou de capitulation devant les intérêts industriels.

Il y a pourtant beaucoup à dire. D’abord, il est vrai que le Nutri-score est un outil simple, qui a prouvé son efficacité en conditions expérimentales par rapport à d’autres dispositifs d’étiquetage, bien connu des utilisateurs et adopté de plus en plus largement par les industriels, sur la base du volontariat, et dans un nombre croissant de pays. Son objectif est double : encourager les consommateurs à faire des choix plus sains et inciter les industriels de l’agroalimentaire à reformuler leurs produits. Les résultats sur ces deux aspects sont encore imprécisément mesurés. On sait, en revanche, que les fabricants de produits bien notés sont les plus enclins, en régime facultatif, à apposer le Nutri-score sur leurs emballages…

Cela étant, que faut-il en attendre ? Sans doute pas de miracle : le Nutri-score agit comme un nudge, c’est-à-dire un dispositif de guidage des comportements, qui ne touche guère aux préférences. Il ne modifiera donc probablement pas le panier des personnes qui achètent, par réconfort, des produits mal notés, ou qui arbitrent sur les prix, c’est-à-dire les plus pauvres et les plus touchés par le surpoids.

Ce dispositif se heurte surtout à une critique de fond : le Nutri-score étant fondé sur l’analyse des nutriments, il fait peu de cas du caractère naturel, peu transformé, bio ou de la provenance des produits, bref de l’insertion de l’aliment dans un usage. Les scientifiques critiques du « nutritionnisme », c’est-à-dire de la réduction de la science de l’alimentation aux aspects quantitatifs des nutriments contenus dans les aliments, y voient un outil superflu en ce qu’il permet de présenter comme sains des produits qui ne méritent leur score « A » qu’à la faveur de procédés industriels peu appétissants, qui leur ont ajouté ceci ou retiré cela.

Dernière critique qui nous semble recevable : au fond, ne vaut-il pas mieux éduquer les plus jeunes à s’alimenter correctement et à refaire du repas une activité sociale, plutôt qu’à décrypter des étiquettes ?

Pour autant, le Nutri-score n’est pas sans vertu et mérite de figurer dans l’arsenal de lutte contre les mauvaises habitudes. De plus, il peut être remédié à la critique de fond : comme l’a admis le Pr Serge Hercberg, concepteur du dispositif, il suffirait, pour la bonne information des consommateurs, de compléter l’algorithme et d’entourer d’un bandeau noir le Nutri-score des produits ultra-transformés, ce que nous proposons également, à l’instar du dispositif retenu au Chili, qui a préféré miser sur la stigmatisation des mauvais produits plutôt que sur la distribution de bons et de mauvais points, en imposant un logo noir de bonne taille sur les produits trop riches.

Nous pensons qu’il faut éduquer les enfants à l’alimentation dès le plus jeune âge. Un tel rôle doit être aussi celui de l’école obligatoire, afin de mieux connaître les aliments et de pouvoir reconnaître ceux qui ont été ultra-transformés. Songez, chers collègues, qu’en 2013, quelque 87 % des 910 enfants interrogés en région PACA par un réseau de 2 500 médecins ignoraient ce qu’est une betterave, un tiers ce que sont les poireaux, artichauts et courgettes, et que seuls 28 % d’entre eux avaient une idée de la composition des pâtes. Je rappelle que le repas français et ses rituels ont été classés au patrimoine immatériel de l’Unesco voilà douze ans…

Nous songeons également à un enseignement pratique obligatoire, qui inclurait une initiation à la cuisine. Qu’on l’appelle « atelier culinaire », « enseignement ménager » ou « économie domestique », peu importe, du moment qu’il enseigne sur le plan pratique la fonction alimentaire, presque aussi sociale que biologique. Ceux qui voient d’un mauvais œil le retour d’une classe ayant autrefois servi à cantonner les filles dans la sphère privée seraient peut-être surpris d’apprendre que certains pays, comme la Finlande, l’ont rétabli avec l’objectif de promouvoir l’égalité des rôles dès le plus jeune âge. C’est en outre un vecteur de créativité et de lutte contre les inégalités de santé.

Éduquer au goût imposera également de protéger les enfants des séductions de l’industrie agroalimentaire. Le modèle en la matière est également chilien : là-bas, le marketing destiné aux enfants est largement interdit, ce qui inclut, par exemple, la publicité à la télévision et l’association à un produit alimentaire d’une vaste gamme de dispositifs de captation de l’attention.

Vous connaissez sans doute, chers collègues, le grand tigre sportif qui sert de mascotte à cette variété répandue de céréales du petit-déjeuner, ou avez déjà peiné, vous aussi, à assembler le jouet qui garnit les œufs en chocolat d’une célèbre marque italienne... Il n’est pas question d’interdire de manger des céréales ou des œufs en chocolat, mais de limiter le conditionnement psychologique qui, en dernière instance, nuit à la santé des très jeunes consommateurs. Les petits Chiliens ne s’en portent que mieux : n’attendons pas d’atteindre leur niveau d’obésité infantile pour nous y résoudre. Les propositions d’encadrement ont déjà été faites par le Haut Conseil de la santé publique, en complément de la loi Gattolin sur la publicité à la télévision : il reste à nous en saisir.

Nous nous sommes également penchées sur les dispositifs de soutien aux ménages modestes. Créé en 2012, le « programme Malin » vise à favoriser l’accès des enfants en bas âge, issus de familles en situation de fragilité socio-économique, à une alimentation équilibrée et de qualité, grâce à des conseils, recettes et astuces au quotidien, mais aussi grâce à des bons de réduction pour des produits choisis par des pédiatres. De tels dispositifs doivent être généralisés, notamment par l’expérimentation de la distribution de chèques alimentaires ciblés sur les ménages les plus précaires, afin de les aider à acheter des produits frais et sains. C’est un sujet d’actualité dont les aspects pratiques sont encore en discussion, mais qui mériterait d’être considéré aussi sous le rapport de la lutte contre le surpoids et l’obésité.

Enfin, après les dispositifs destinés aux enfants et aux consommateurs, nous avons examiné les dispositifs de prévention généralistes destinés à tous les citoyens, tels que les recommandations nutritionnelles. Aujourd’hui assez bien connues, ces dernières sont perçues différemment selon les milieux sociaux et les latitudes. Le fait qu’elles soient actualisées et précisées ne contribue pas à améliorer leur appropriation par la population. Elles gagneraient à être mieux adaptées localement, pour être plus efficaces.

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