rapporteure. – Nos premières recommandations ont porté sur la demande alimentaire, avec, comme fil conducteur, la volonté de munir les citoyens et les consommateurs d’outils de défense appropriés pour faire des choix éclairés. Toutefois, cette approche ne saurait suffire si nous ne tentons pas d’agir sur l’environnement en transformant l’offre alimentaire de manière plus déterminée.
Les premières politiques nutrition-santé négligeaient l’offre alimentaire. Il faut attendre le second volet du PNNS pour que des mesures visent à rendre les produits alimentaires moins riches en sucres ajoutés, en matières grasses et en sel. La voie retenue a été celle d’une incitation des industriels à s’engager. Deux instruments ont été utilisés à cette fin : les chartes d’engagement volontaire formalisent les efforts d’une entreprise, tandis que les accords collectifs doivent entraîner tout un secteur vers une reformulation des produits.
Douze ans après son amorce, notre rapport dresse un bilan très mitigé de la méthode choisie. Après une vague de contractualisation entre les entreprises et les pouvoirs publics, le mouvement s’est essoufflé. Les résultats obtenus en termes de reformulation des produits alimentaires ont été limités par le manque d’ambition des objectifs originels et par un nombre trop faible d’entreprises concernées pour représenter des parts de marché significatives. En outre, l’évaluation des accords collectifs, pourtant confiée à l’Observatoire de la qualité de l’alimentation, a été quasiment inexistante.
Les nouveaux PNNS et le programme national de l’alimentation (PNA) ambitionnent de mettre en place une nouvelle génération d’accords collectifs avec une approche plus volontariste. Un premier accord a été signé sur la réduction du sel dans le secteur de la boulangerie après trois ans de négociations. Nous nous en réjouissons, mais que de temps perdu !
Nous demeurons sceptiques quant à la capacité des industriels à jouer le jeu de la recomposition nutritionnelle de leurs produits. L’autorégulation de l’offre alimentaire nous paraît être une chimère. Il convient de mener des politiques publiques plus contraignantes pour les industriels.
Plutôt que des encouragements à l’autorégulation, nous recommandons de fixer par voie législative et réglementaire des teneurs maximales en acides gras saturés et en sucres ajoutés pour obliger aux reformulations. Cette définition pourra se fonder sur l’expertise de l’Anses, qui a produit des recommandations de consommations maximales et des scénarios intégrant les différentes options de seuils nutritionnels.
Ensuite, notre rapport formule des recommandations sur l’environnement marketing qui biaise la rationalité des consommateurs, même sensibilisés, par des stratégies commerciales agressives. Nous estimons que la France pourrait s’inspirer de l’exemple anglais en la matière. Le plan du gouvernement de Boris Johnson prévoit de restreindre fortement les promotions alimentaires et les stratégies marketing mises en œuvre par la grande distribution pour inciter les consommateurs à acheter des produits trop gras ou trop sucrés.
Sur leur exemple, nous proposons d’interdire la vente de produits malsains aux abords des caisses de paiement, qui incitent aux achats impulsifs, et d’interdire les promotions commerciales comme « un paquet acheté, un paquet gratuit » sur les produits trop gras et trop sucrés – je pense aux confiseries industrielles, aux chips ou aux sodas. Un rapport montre que ces offres de réduction sont à l’origine en Angleterre d’une hausse de 6 % de la consommation de sucres par des produits trop sucrés. Ces offres commerciales devraient au contraire être réorientées vers les produits de bonne qualité nutritionnelle.
Nous avons également évalué le recours à l’outil fiscal pour transformer l’offre alimentaire, dans le sillage des travaux menés par la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) de notre commission en 2014. Dans leur rapport sur la fiscalité comportementale, la présidente Catherine Deroche et notre ancien collègue Yves Daudigny dressaient des constats et formulaient des propositions qui conservent toute leur pertinence. Nous déplorons que certaines des recommandations, pourtant prioritaires, soient toujours inappliquées aujourd’hui. Je pense notamment au régime de la TVA, qui offre des avantages fiscaux à des produits malsains : les boissons trop sucrées bénéficient d’un taux réduit à 5,5 %, alors même qu’elles sont frappées d’une taxe nutritionnelle depuis 2012. Cette incohérence perdure depuis trop longtemps.
D’autres innovations fiscales pourraient voir le jour. Si la responsabilité de l’ultra-transformation, pointée lors de nos auditions, se confirme par les travaux de recherche que nous appelons de nos vœux, il conviendra d’envisager une taxe sur les aliments ultra-transformés qui soit progressive selon les marqueurs présents de l’ultra-transformation.
Cette taxe aurait deux bénéfices et serait soumise à une condition. Les économistes que nous avons entendus nous ont expliqué que les aliments ultra-transformés bénéficient d’un avantage prix, acquis grâce à l’innovation, en comparaison des aliments peu transformés. Cette taxe permettrait de rééquilibrer les prix en faveur des aliments bruts. Par ailleurs, son caractère progressif inciterait les industriels à une reformulation des produits en réduisant les marqueurs de l’ultra-transformation. Dans un contexte inflationniste, cette taxe ne pourrait être mise en place que comme corollaire à un chèque en faveur des aliments bruts, comme nous proposons de l’expérimenter.
Notre rapport appelle enfin à une transformation locale de l’environnement obésogène. Les collectivités territoriales ont un rôle majeur dans la prévention nutritionnelle de l’obésité. Je pense tout d’abord aux projets alimentaires territoriaux, à travers lesquels les collectivités peuvent organiser un approvisionnement local de produits bruts dans la restauration scolaire. Toutefois, il ressort de nos travaux que ne sont plus exceptionnels les cas de lycéens, voire de collégiens, déjeunant régulièrement à l’extérieur dans des fast-foods, au lieu du restaurant scolaire. Les efforts menés à l’intérieur des établissements risquent de se trouver neutralisés par la baisse de la fréquentation scolaire si une réflexion n’est pas menée pour réguler l’offre de fast-foods à proximité des écoles.
De même, l’aménagement urbain doit prendre toute sa part pour inciter les populations à l’activité physique et sportive. L’aménagement de pistes cyclables, mais également d’espaces réservés et sécurisés pour les piétons – trottoirs larges, éclairage public... – est primordial.
Nous nous penchons spécifiquement sur la situation en outre mer, où l’offre alimentaire est particulièrement dégradée. La loi Lurel de 2013 a mis sur le devant de la scène l’enjeu des teneurs en sucre des produits transformés sur les marchés ultra-marins. Elle garantit que les produits vendus en outre-mer ne soient pas plus sucrés que les produits similaires vendus dans l’Hexagone.
Aux produits disponibles s’ajoutent des préférences locales plus marquées pour certains produits sucrés. Ainsi, les consommations journalières moyennes de boissons sucrées en Martinique et en Guadeloupe sont près de trois fois supérieures à celles de la France hexagonale.
À elle seule, la loi Lurel ne garantit pas aux territoires ultra-marins une offre de produits sucrés n’accroissant pas les inégalités de santé entre les populations ultra-marines et hexagonales. La DGCCRF, qui a évalué la législation sur les boissons sucrées sans constater d’inapplication de la loi, a souligné plusieurs difficultés. D’une part, la loi se fonde sur une comparaison entre les produits commercialisés en outre-mer et ceux mis en vente dans l’Hexagone. Or un bon nombre de produits spécifiques aux outre-mer ne trouvent pas d’équivalent dans l’Hexagone. D’autre part, la notion de sucres ajoutés n’est pas nécessairement la plus pertinente pour limiter le taux de sucre global des boissons sucrées, qui contiennent souvent des jus de fruits naturellement fort sucrés.
Comme nous l’avons déjà indiqué, la fixation par voie législative et réglementaire de seuils maximaux de teneur en sucre et en matières grasses, sans possibilité de les substituer par des additifs, serait beaucoup plus efficace et appropriée.
Mes chers collègues, notre rapport n’est pas des plus optimistes, ni sur les constats de la maladie ni sur le bilan des politiques menées jusqu’à présent – qui ont tout de même le mérite d’exister. Il sera, nous l’espérons, une alerte prise au sérieux par les citoyens, les pouvoirs publics, les professionnels de santé et les industriels de l’agroalimentaire. Les cris d’alarme se multiplient sur l’obésité : nous devons changer radicalement notre méthode.
Mme Corinne Imbert. – Alain Milon, qui a dû quitter notre réunion, m’a demandé de rappeler qu’il avait travaillé, en 2005, avec Sylvie Desmarescaux, ancienne sénatrice du Nord, à la mise en place d’un plan nutrition-santé qui avait permis à des collectivités locales de financer des postes de nutritionnistes dans les cantines centrales. Ce dispositif avait permis d’obtenir de très bons résultats. Ces postes ont aujourd’hui disparu. Vous avez évoqué le rôle des collectivités dans le choix et l’achat des produits, mais l’élaboration des menus est tout aussi essentielle.
L’obésité est une maladie chronique face à laquelle il ne faut pas baisser les bras. Comme vous le rappelez, d’autres maladies en découlent : hypertension artérielle, diabète, apnée du sommeil, maladie du foie gras... Nous avons rencontré hier, avec Catherine Deroche, des chercheurs du centre de recherche des cordeliers travaillant sur la stéatose hépatique ou maladie du fois gras. Ils ont souligné que la « malbouffe » était l’une des premières causes de l’apparition de cette pathologie gravissime. Il faut éduquer nos concitoyens au bien manger et au bien bouger.
L’allaitement maternel est parfois présenté comme un facteur de prévention du surpoids et de l’obésité. Vos travaux confirment-ils cette affirmation ?
M. Martin Lévrier. – Que pensez-vous d’une taxe dont le taux varierait en fonction du Nutri-score ?
Par ailleurs, vous avez évoqué le marketing et la publicité de certaines marques de produits, mais pas de certaines chaînes de restauration, qui ont également recours aux jouets pour attirer les enfants. Est-il envisageable de réguler ces publicités ?
M. Philippe Mouiller. – Vos préconisations sont percutantes et constituent assurément des pistes intéressantes pour améliorer le système. Toutefois, je m’interroge, et ce de manière générale, sur l’efficacité des taxes et des contraintes : d’une part, je ne pense pas que le produit de la taxe permettrait de changer grand-chose au problème ; d’autre part, en termes de marketing, les entreprises sont de grands spécialistes pour contourner les sujets.
Par contre, les enjeux d’éducation sont fondamentaux : c’est là que tout se joue et qu’il faut engager des moyens. Peut-être faut-il mener un dialogue avec le Gouvernement pour traduire concrètement vos préconisations et aller encore plus loin.
M. Bernard Jomier. – La question de l’épidémie de surpoids et d’obésité, qui ne concerne pas que la France, est d’une grande complexité.
Quelle est votre analyse des causes des perturbations endocriniennes ? Le sujet est aujourd’hui bien documenté, même s’il est toujours compliqué de pondérer précisément la place de chaque facteur dans l’obésité.
En ce qui concerne le Nutri-score, on attribue souvent trop d’honneur ou trop d’indignité à un dispositif qui n’est qu’un outil parmi d’autres. La polémique entourant le Nutri-score est entretenue par des industriels qui n’en veulent pas. Plus fondamentalement, il s’agit de déterminer la place de l’information dans la nutrition. Il ne faut pas prendre les consommateurs pour des idiots : ce n’est pas parce que le roquefort est moins bien classé qu’un autre fromage que nos concitoyens ne vont plus en manger.
Certes, le Nutri-score ne dit rien du caractère bio des produits ou de leur transformation, mais telle n’est pas sa vocation. On peut trouver des aliments issus de l’agriculture biologique mais très gras ou produits à l’autre bout de la planète : aucun outil ne reflète la diversité et la complexité de la problématique que nous évoquons. Je souhaitais donc savoir si vous partagiez cette analyse et si finalement vous pensiez que le Nutri-score est un bon outil.
Vous avez eu raison de souligner à plusieurs reprises l’importance de responsabiliser les industriels de l’alimentation transformée. L’approche comportementale individuelle ne peut, à elle seule, constituer une réponse à l’épidémie d’obésité. Nous vivons dans une société du trop-plein où l’on trouve partout de quoi manger. Il suffit d’ailleurs que les pots de moutarde viennent à manquer pour traumatiser tout le monde ! Comment peut-on réguler une telle société sans s’appuyer sur les industriels ? Pensez-vous profiter de la prochaine séquence budgétaire pour faire des propositions concrètes ?
Mme Frédérique Puissat. – Une question brève pour ma part sur un dossier que nous avons suivi ces dernières années. Vous êtes-vous penchées sur la question du transport bariatrique ?
M. Alain Duffourg. – Merci aux rapporteures pour ce travail très intéressant et très dense. Comme vous l’avez indiqué, un tiers des enfants sont obèses dans certains pays en développement mais les pays industrialisés souffrent aussi désormais de ce phénomène. Quelle réponse faut-il apporter ? Alors que la France est plutôt exemplaire s’agissant des campagnes de promotion d’une alimentation saine, je ne pensais pas qu’autant de nos enfants puissent ne pas connaître les fruits et légumes que vous avez cités.
Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il y a un manque d’encadrement législatif des industriels. Il faudrait mener un travail pour les contraindre à respecter certaines normes à commencer par le Nutri-score.
Enfin, je partage votre avis ; les collectivités locales peuvent mener une action tout à fait intéressante. Dans les cantines du Gers, nous nous efforçons de faire consommer aux enfants des produits locaux et bio.