Mes chers collègues, nous nous sommes rendus compte au fil de nos nombreuses auditions que l'information des consommateurs était à la fois une fin en soi, les producteurs et distributeurs répondant à la forte demande de transparence exprimée par nos concitoyens, et un levier de l'action publique. Les pouvoirs publics prolongent les politiques environnementales ou de santé publique en incitant les consommateurs à choisir des produits plus sains et plus respectueux de l'environnement - il existe aussi d'autres objectifs, comme la rémunération des producteurs ou le bien-être animal.
C'est aussi, avant tout, une démarche commerciale de la part des producteurs. L'information est la condition sine qua non du bon fonctionnement des marchés, dans la formation du prix des produits, qui doit à la fois refléter leur qualité intrinsèque et récompenser les éventuelles démarches mieux-disantes du producteur.
Il existe une tendance irréversible à l'augmentation du nombre d'informations présentes sur les emballages. La question du prix de vente reste prépondérante, mais nous sommes partis à la recherche des causes de l'inefficacité de l'information et des raisons pour lesquelles plus d'information n'est pas toujours synonyme de changement des modes de consommation. Voyez « les bébés Coca », aux dents rongées par les caries, malgré toutes les mises en garde et autres informations sur la nécessité de modérer la consommation de ce produit, a fortiori chez les jeunes enfants.
Nos travaux ont montré que le premier facteur de cette inefficacité était l'illisibilité et l'insuffisante hiérarchisation, qui entraînent le brouillage du message véhiculé par et sur les produits. Cette « hyperinformation » ne permet plus de faire la part des choses entre le nécessaire, l'utile et l'accessoire, voire le futile. La distinction entre l'information objective et le marketing est parfois ténue.
Le développement pêle-mêle et foisonnant d'informations affichées sur la base du volontariat constitue notre principale marge de manoeuvre.
Cela est particulièrement vrai s'agissant de ce qu'une association de consommateurs a qualifié de « jungle des labels » : il n'existe pas de définition suffisamment rigoureuse de ce qu'est un label et aucune disposition n'oblige, en dehors de quelques exceptions certifiées par l'État, comme les signes officiels de la qualité et de l'origine, à publier leur cahier des charges. Aussi, l'une de nos préconisations consiste à définir ce qu'est un label et à rendre systématiquement public leur cahier des charges.
Au-delà des labels, une difficulté supplémentaire provient des mentions mélioratives et des allégations nutritionnelles et de santé ou environnementales, qui sont difficilement comparables les unes avec les autres - « neutre en carbone », « riche en calcium » ou « naturel » -, si bien qu'il est difficile de fonder son choix sur des données objectives. Le droit européen encadre uniquement certaines allégations.
Nous devons donc aller plus loin, notamment en réservant l'utilisation de certaines mentions - comme les produits « sans », à l'instar des « sans conservateurs » ou « sans sucres » - à des produits qui peuvent dans leur ensemble se prévaloir d'une qualité supérieure.
Nous avons ensuite étudié l'opportunité de nous passer de certaines informations sur les emballages, parmi les douze rendues obligatoires par le règlement concernant l'information du consommateur sur les denrées alimentaires (INCO), comme la liste des ingrédients, le tableau nutritionnel, la quantité, etc. Toutefois, il est ressorti très clairement de nos échanges qu'il n'était pas imaginable de retirer des informations obligatoires sans dommage pour les consommateurs, même en prévoyant qu'elles soient consultables en ligne. C'est par exemple le cas pour la liste des allergènes.
En revanche, le numérique est clairement un allié précieux pour entrer dans une phase « mature » de l'information, après, si vous me passez l'expression, une forme de « crise d'adolescence ». Certaines informations facultatives non essentielles pourraient être renvoyées à une page internet, accessible au moyen d'un QR code, et être au passage très largement enrichies. Nous encouragerions ainsi la personnalisation de l'information pour les consommateurs, largement attendue par ces derniers, et donc normalement un plus fort impact. Ces informations « enrichies » seront par exemple des données sur le cahier des charges du label, son contrôle, sur les éléments de l'exploitation que l'agriculteur souhaite mettre en avant, sur l'impact environnemental des différentes étapes de production, etc. Le QR code offre en outre des perspectives plus riches que les codes-barres en matière de traçabilité des produits, la grande distribution s'orientant déjà vers sa généralisation aux États-Unis. Il pourrait même être envisagé de rendre obligatoires en ligne certaines informations aujourd'hui uniquement facultatives, comme l'origine des produits transformés. L'avenir est sans aucun doute au développement de ce mode d'information.
J'en viens maintenant aux applications de notation et d'évaluation des produits, à l'image de Yuka, application la plus utilisée. Il est démontré que ces applications ont un rôle utile, en orientant les choix des consommateurs vers des produits meilleurs pour leur santé et l'environnement. Nombre de fabricants ont amélioré leurs recettes dans ce sens. Un quart des foyers français les ont utilisées au moins une fois dans l'année. Si les utilisateurs actifs sont moins nombreux, ces outils exercent un effet dissuasif, qui complète utilement l'action des pouvoirs publics et des associations de consommateurs.
Cependant, précisément parce qu'elles ont su gagner la confiance des consommateurs, qui déclarent se conformer à leurs recommandations dans plus de 90 % des cas, ces applications ont acquis un grand pouvoir, qui implique de grandes responsabilités. Cela est d'autant plus vrai que vont se poser de plus en plus des questions de protection des données personnelles, certaines applications proposant une personnalisation. C'est pourquoi nous proposons une certification des applications par les pouvoirs publics sur deux aspects : la fiabilité des bases de données utilisées, puis la scientificité des critères de notation. Sur ce premier aspect de la fiabilité des données, nous complétons notre proposition par l'obligation pour les fabricants de consigner leurs informations obligatoires dans une base de données en open data, sous réserve de respecter le secret professionnel. Toutes les applications qui voudraient se développer pourraient y avoir accès.
Surtout - c'est la première fois que les pouvoirs publics se saisissent du sujet -, nous proposons un guide d'une dizaine de bonnes pratiques pour encadrer ces applications, afin qu'elles se développent dans un cadre harmonieux et que les relations avec les producteurs soient transparentes et non conflictuelles. Nous dessinons ainsi un cadre équilibré, qui pourra servir de base aux travaux qu'entame la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) au sujet de ces applications, au service de l'information des consommateurs. Nous ne doutons pas que plusieurs de ces bonnes pratiques seront reprises par le régulateur. Nous proposons par exemple que les labels des produits soient affichés sur l'application, et que l'utilisateur soit informé lorsque la composition d'un produit qu'il a scanné dans le passé et qui était mal noté a été améliorée par la suite. Ainsi, nous valorisons les progrès des fabricants. Nous suggérons également d'éviter une note synthétique qui mélangerait plusieurs dimensions hétérogènes, comme la santé, l'environnement, la nutrition, car une telle note perd en lisibilité. Nous suggérons de privilégier plutôt des notes synthétiques, pour chacune de ces dimensions. De plus, il nous semble important que toute application fasse figurer clairement les éventuels liens qu'elle pourrait avoir avec telle industrie ou telle association.
Je cède maintenant la parole à Françoise Férat, qui va vous parler du deuxième frein à l'efficacité de l'information, à savoir le manque de moyens de contrôle de sa fiabilité, ainsi que du sujet particulier de l'origine des produits.