Je vous remercie de m'avoir convié à présenter devant votre commission le rapport d'activité 2021 de la HATVP, le troisième depuis que je la préside. Je suis accompagné de Lisa Gamgani, secrétaire générale, et de Ted Marx, directeur des publics, de l'information et de la communication.
Au cours de ces huit ans, la HATVP a oeuvré pour contribuer à améliorer la probité et l'intégrité de la vie publique française, et en rendre plus intelligibles pour nos concitoyens les manquements éventuels. Notre institution a vu ses missions se renforcer - encadrement du lobbying, des mobilités entre le public et le privé - et ses moyens progresser - c'est la marque de confiance du législateur à notre égard. Les citoyens, toujours plus vigilants, n'ont cessé de nous interpeller, parfois en nous demandant d'aller au-delà de nos missions. Cette confiance et cette exigence constituent l'essence même de nos missions et nous poussent jour après jour à nous consacrer au noble objectif de conforter encore la probité dans les sphères de la décision publique et à informer les citoyens des nombreuses actions entreprises à cet effet par le législateur et des résultats des contrôles opérés.
Les données relatives à l'exercice de nos missions sont parfois très nombreuses. Aussi, je ne retiendrai que les principales et vous présenterai rapidement le bilan de notre activité de l'année 2021, articulé avec les propositions que nous formulons pour l'avenir.
Comme vous le savez, la HATVP exerce trois missions principales : le contrôle du patrimoine et des intérêts des responsables publics, le contrôle des mobilités entre les secteurs public et privé et la régulation de la représentation d'intérêts. La HATVP assure aussi, plus largement, un rôle d'accompagnement et de conseil, auquel elle consacre de plus en plus de temps et de moyens.
Sur le contrôle des déclarations de situation patrimoniale et d'intérêts, ce sont plus de 17 000 responsables publics, élus, agents, collaborateurs et dirigeants qui sont concernés. La HATVP vérifie le caractère exhaustif, exact et sincère de ces déclarations ; elle s'assure de l'absence d'enrichissement au cours des fonctions et, surtout, elle veille à prévenir les conflits d'intérêts.
Avec 15 574 déclarations reçues, l'année 2021 fut une année très dense, même si elle le fut légèrement moins que l'année précédente. Nous avons notamment reçu les déclarations des élus départementaux et régionaux nouvellement élus, tout comme, pour la première fois, celles des membres du CESE. Les députés arrivant à la fin de leur mandat ont également déposé l'an dernier leur déclaration de situation patrimoniale de fin de mandat.
Cette année fut aussi l'occasion d'un nouveau contrôle, issu de la loi pour la confiance dans la vie politique de 2017 : celui de la variation du patrimoine du Président de la République. À cette occasion, la Haute Autorité a rendu un avis, le 14 décembre 2021, constatant que la variation du patrimoine de M. Emmanuel Macron, entre 2017 et 2021, n'appelait pas d'observation.
Sur l'ensemble de ces déclarants, nous observons un taux de dépôt, dans les délais légaux, assez inégal et parfois insatisfaisant. Les services de la Haute Autorité ont ainsi dû adresser 1 261 relances et 250 injonctions aux déclarants n'ayant pas déposé leurs déclarations dans les délais. Après relance et injonction, le taux de dépôt s'améliore très nettement, mais la Haute Autorité a tout de même dû transmettre 55 dossiers à la justice pour non-dépôt. Ce chiffre est faible en proportion, rapporté au nombre de personnes tenues de remplir leurs déclarations, mais reste significatif au regard notamment de la tension actuelle dans les juridictions. Cela illustre toute l'utilité de la proposition de la Haute Autorité qui vise à la doter d'un pouvoir propre de sanction administrative, qui pourrait justement être appliqué dans ces situations de non-dépôt - nous ne voulons pas, pour autant, nous substituer au juge. Cette faculté, plus rapide et plus efficace qu'une procédure judiciaire, serait aussi in fine plus incitative pour les déclarants. Le non-remboursement des frais de campagne pour les élus n'ayant pas respecté le délai légal de dépôt de leur déclaration de patrimoine et de leur déclaration d'intérêts contribuera certainement à l'amélioration des statistiques. Cette disposition, certes incitative, concerne toutefois assez peu les adjoints au maire et les vice-présidents des intercommunalités, ceux des départements et des régions, qui représentent la part la plus importante de ces 55 dossiers transmis à la justice.
3 150 déclarations ont fait l'objet d'un contrôle approfondi. La majorité présentait des lacunes ou des erreurs mineures. Pour 62 % des déclarations d'intérêts contrôlées, la Haute Autorité a formulé des mesures de prévention de conflits d'intérêts. Elle a transmis onze dossiers à la justice, dont huit pour des situations de prise illégale d'intérêts.
Dans l'ensemble, nous pouvons dire que les responsables publics respectent très largement leurs obligations déclaratives. Peu de situations justifient une transmission des dossiers au Parquet. Cela s'explique par un réflexe déontologique bien mieux ancré que par le passé. C'est aussi le résultat de l'accompagnement de nos services effectué auprès des décideurs publics, tout comme le travail des référents déontologues, bien plus nombreux qu'auparavant au sein des administrations. Je remercie d'ailleurs le Sénat d'avoir accepté de réunir, à nouveau, les référents déontologues à l'automne prochain, afin d'échanger et de mieux expliquer la doctrine de la Haute Autorité. Bien sûr, il reste des situations qui doivent être signalées à la justice et sanctionnées par elle. Mais la probité et l'intégrité progressent et ce constat mérite d'être largement partagé, alors que la défiance de nos concitoyens envers leurs responsables publics demeure grande dans notre pays.
La Haute Autorité formule d'ailleurs des propositions pour aller plus loin. Nous souhaitons élargir le champ de contrôle en soumettant certaines fonctions stratégiques aux obligations déclaratives.
C'est le cas des maires d'arrondissement de Paris, Lyon et Marseille, ainsi que des dirigeants de filiales de la Caisse des dépôts, comme de La Poste ou de Bpifrance, qui échappent aujourd'hui à ces obligations. Nous sommes également favorables à une clarification du risque de prise illégale d'intérêts pour les élus locaux siégeant dans des organismes extérieurs.
Même si des dispositions ont déjà été prises par le législateur en ce sens - dans la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire et la loi 3DS -, sur proposition de la Haute Autorité d'ailleurs, il reste à définir des critères permettant de déterminer quels sont les organismes à l'égard desquels les élus ne sont pas tenus de se déporter, alors qu'ils y représentent leur collectivité. Il nous paraît nécessaire d'ajuster la rédaction de certaines dispositions en dissociant, en matière de prise illégale d'intérêts, la participation d'un élu, d'une part, à sa propre désignation et, d'autre part, à la détermination de son indemnité. Assimiler la participation d'un élu à sa propre désignation à une prise illégale d'intérêts peut ne pas sembler justifié, dans la mesure où voter pour soi-même n'est pas interdit.
Je profite de cet échange pour vous présenter un court bilan des contrôles et des publications à la suite des élections municipales et intercommunales de 2020. Cette année-là, 1 526 contrôles au fond des déclarations déposées ont été programmés dans notre plan de contrôle. À ce jour, 97 % d'entre eux sont clôturés et toutes les déclarations correspondantes ont été publiées ou le seront d'ici la semaine prochaine. Il ne nous reste donc plus que quelques contrôles à finaliser pour que l'intégralité des déclarations déposées en 2020 ait été contrôlée et publiée, conformément à l'engagement que j'avais pris de ne pas dépasser un délai de deux années après l'élection, contrairement aux élections municipales de 2014, pour lesquelles nous avions rencontré beaucoup de difficultés.
Sur le contrôle des mobilités entre les secteurs public et privé, la Haute Autorité a pour rôle de prévenir les conflits d'intérêts. La loi nous a dotés du pouvoir de contrôle de la reconversion dans le privé des membres du Gouvernement, de leurs collaborateurs, de certains élus locaux et des membres des autorités administratives et indépendantes. Depuis la loi de transformation de la fonction publique de 2019, ce contrôle des mobilités entre les secteurs public et privé s'est étendu à l'ensemble des fonctions les plus stratégiques, soit près de 20 000 hauts fonctionnaires. Ce contrôle comprend même une phase préalable à la nomination dans les fonctions publiques pour certaines fonctions très identifiées, comme celle de conseiller ministériel.
L'année 2021 est donc notre première année de plein exercice en matière de contrôle des mobilités, après le transfert des compétences de la commission de déontologie de la fonction publique en février 2020. Nous avons ainsi rendu, l'an dernier, 307 avis.
Vous trouverez de nombreux chiffres dans notre rapport, mais le contrôle le plus structurant porte sur la reconversion des agents publics vers le secteur privé. Pour cette population, nous avons rendu 166 avis. Près de 10 % ont été des avis d'incompatibilité, et les deux tiers des avis ont été assortis de réserves de fond. Parmi ces 166 avis, près de 40 % concernaient des collaborateurs du Président de la République ou des conseillers ministériels.
Pour vous permettre d'évaluer cette activité et son ampleur, nous avons rendu, entre le 1er janvier 2022 et le 1er juillet 2022, 306 avis, soit l'équivalent de l'année 2021 ; 152 avis concernaient des projets de reconversion professionnelle.
La Haute Autorité relève toutefois des défauts de saisine persistants dans les cas de reconversion vers le privé. Grâce un travail de veille, nous avons pu identifier une vingtaine de cas et demander aux personnes concernées ainsi qu'à leur autorité hiérarchique de nous saisir. Notre avis exprimé a posteriori ne régularise pas la situation de personnes en situation d'irrégularité pour ne pas avoir sollicité l'avis de la HATVP. Ainsi, si nous rendons un avis d'incompatibilité, cela entraîne automatiquement la nullité du contrat.
Consciente des enjeux représentés par ces prises de fonctions dans le public comme dans le secteur privé, la Haute Autorité se mobilise fortement pour rendre ses avis dans un délai inférieur aux délais légaux : moins de huit jours pour un contrôle préalable à la nomination, alors que le délai légal est de quinze jours ; moins de trente jours pour les mobilités postérieures à l'exercice de fonctions publiques, alors que le délai légal est de deux mois.
Dans ses avis, la Haute Autorité s'appuie sur une analyse in concreto de chaque situation, chacune faisant l'objet d'une procédure d'instruction approfondie. Nos avis sont motivés, proportionnés et adaptés aux risques pénal et déontologique détectés. Les avis d'incompatibilité, au nombre de quatorze depuis le début de cette année, sont rendus lorsque nous estimons qu'aucune mesure ne paraît susceptible de neutraliser l'un de ces deux risques. Concernant les nombreux avis de compatibilité avec réserves, qui constituent, je le rappelle, la majorité des cas, la Haute Autorité s'efforce d'assurer un suivi strict et régulier du respect de ces réserves dans les trois ans qui suivent. C'est le principal défi auquel nous sommes confrontés, comme je l'avais déjà expliqué devant vous et devant la commission d'enquête sur les consultants extérieurs.
La Haute Autorité souhaite, par ailleurs, et c'est l'une des propositions que nous formulons dans le rapport d'activité, étendre le champ de contrôle des mobilités aux vice-présidents de région, de département et d'établissement public de coopération intercommunale, ainsi qu'aux adjoints au maire des communes de plus de 100 000 habitants. Aujourd'hui, la reconversion d'un adjoint au maire de Paris, par exemple, n'est pas soumise au contrôle de la Haute Autorité. Nous formulons la même demande concernant la mobilité vers le privé des responsables de l'Union des groupements d'achats publics (UGAP) ou de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), qui entretiennent pourtant de nombreuses relations avec le secteur privé.
Sur la régulation de la représentation d'intérêts - plus communément désignée « lobbying » -, la Haute Autorité veille au respect par les lobbyistes de leurs obligations déclaratives sur un répertoire accessible depuis son site internet et des règles déontologiques qui encadrent leurs activités. Au 31 décembre 2021, plus de 2 000 entités étaient inscrites au répertoire et près de 10 000 actions de représentation d'intérêts ont été menées au cours de l'exercice déclaratif 2021. Un bilan annuel devrait être publié dans les prochains jours. Néanmoins, le dispositif légal reste complexe et présente, selon nous, de nombreuses lacunes qui nuisent gravement à la transparence de l'impact normatif du lobbying. La Haute Autorité a d'ailleurs proposé plusieurs recommandations en octobre 2021, dans son rapport sur l'encadrement de la représentation d'intérêts, pour améliorer le dispositif, qui s'étend, depuis le 1er juillet 2022, aux décideurs locaux.
En huit ans d'existence, la Haute Autorité est désormais reconnue dans le paysage de la vie publique française. Elle a bénéficié de la confiance à la fois du législateur, mais aussi des citoyens, qui l'identifient de plus en plus et l'interpellent sur toutes les questions de probité, parfois même au-delà de ses propres compétences. Cette confiance est aussi le témoignage d'une certaine exigence. Une exigence démocratique qui nous oblige, avec indépendance et impartialité, à améliorer sans cesse nos dispositifs de conseil et de contrôle, afin de garantir à nos concitoyens que les responsables publics remplissent bien leurs obligations déclaratives et que les décisions publiques sont prises dans l'intérêt général. Et c'est à nous aussi, à travers les missions que vous nous avez confiées, d'en convaincre le citoyen, en lui rendant compte des contrôles que nous effectuons.