Intervention de Didier Migaud

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 6 juillet 2022 à 9h10
Audition de M. Didier Migaud président de la haute autorité pour la transparence de la vie publique pour la présentation de son rapport annuel

Didier Migaud, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique :

La HATVP peut tout à fait travailler sur la question des PPE. Ce point relève d'une réglementation européenne, laquelle tient compte de pays où le niveau de corruption est particulièrement élevé. Vous pouvez aussi en appeler au gouverneur de la Banque de France et au président de l'ACPR. L'ACPR pourrait prendre des dispositions pour que les banques respectent cette réglementation européenne sans tomber dans l'excès de zèle.

En ce qui concerne les coopérations internationales, nous répondons à un certain nombre de demandes. À ce titre, nous avons participé, la semaine dernière, à un webinaire avec le Liban. Nous avons aussi accompagné la Moldavie. Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, nous avons organisé un colloque sur la transparence et l'éthique. Des pays de l'Afrique francophone peuvent nous solliciter pour compléter leurs dispositifs. Nous sommes à la disposition de celles et ceux qui souhaitent pouvoir bénéficier de l'expérience française pour avancer sur ces sujets : deux à trois personnes, dans nos services, répondent aux demandes qui nous sont exprimées. La visioconférence permet de diffuser les informations et les bonnes pratiques. Nous échangeons nous-mêmes avec les États-Unis, l'Irlande, le Canada et un certain nombre de pays européens.

Nous nous efforçons, côté déontologie, de construire une doctrine cohérente et de la faire connaître. Nous publions les avis qui nous sont demandés ou exigés par la loi lorsqu'ils concernent des ministres ou des élus ; pour les hauts fonctionnaires, nous publions des résumés pour expliquer nos décisions. Nous avons également édité un guide déontologique. Sur notre site internet figurent quelque 70 ou 80 avis.

Nous apprécions, dans nos avis, le risque pénal et la déontologie.

Dans le cadre de l'article 432-13 du code pénal, si des personnes ont pu commettre un acte de surveillance ou de contrôle dans l'exercice effectif de leurs fonctions, le risque pénal étant réel, nous proposons une incompatibilité.

La déontologie est une matière de droit souple, avec une marge d'interprétation. Les mobilités demeurent possibles ; la jurisprudence du Conseil constitutionnel précise que nous ne pouvons pas décider d'une incompatibilité qui n'est pas prévue par la loi. Parmi les principes qui nous guident, un projet de reconversion professionnelle ne doit pas remettre en cause le fonctionnement normal, indépendant et neutre de l'administration. Nous analysons toutes les situations particulières in concreto, à l'aide d'attestations que nous recoupons et nous faisons les vérifications nécessaires en vue de porter la meilleure appréciation possible. À cet effet, j'ai la chance de disposer d'un collège avec des profils et des expériences différentes, qui peut apprécier la réalité des situations.

M. Djebbari nous avait saisis de trois projets de reconversion professionnelle.

Le premier évoquait la possibilité de rejoindre le conseil d'administration de la société Hopium, start-up qui devrait commercialiser des véhicules à hydrogène à compter de 2025. Nous avons estimé que ce projet était compatible avec les fonctions antérieures de M. Djebbari dans la mesure où cette société n'a bénéficié d'aucune subvention publique. La filière hydrogène est encouragée depuis des années par les gouvernements successifs et la responsabilité du plan hydrogène relevait non pas du ministère des transports, mais de Bercy. Nous avons seulement émis un certain nombre de réserves concernant les démarches qu'il pourrait entreprendre auprès de ses anciens services et des membres de son cabinet.

Nous avons, en revanche, émis un avis d'incompatibilité sur le deuxième projet de M. Djebbari, qui souhaitait rejoindre la société CMA CGM, acteur extrêmement important dans le domaine des transports. Nous avons notamment estimé que les rencontres entre M. Djebbari et les dirigeants de cette société avaient été trop fréquentes pour que d'éventuelles réserves nous permettent de surmonter les risques déontologiques.

M. Djebbari nous a également saisis d'un troisième projet, visant à la création d'une société de conseil. Nous avons rendu un avis de compatibilité, sous la réserve que M. Djebbari s'abstienne de travailler pour des entreprises avec lesquelles il aurait été en relation dans le cadre de ses fonctions ministérielles.

Venu du privé, M. Djebbari retourne dans le privé. La loi n'interdit aucunement les mobilités entre secteur public et secteur privé. Nous ne sommes pas compétents pour les limiter. Nous sommes seulement chargés d'apprécier les éventuels risques déontologiques et pénaux.

La conseillère que vous évoquez a présenté son projet de reconversion professionnelle alors qu'elle était au cabinet de M. Fesneau, lorsque celui-ci était ministre chargé des relations avec le Parlement. Quelques jours plus tard, ce dernier était nommé ministre de l'agriculture. Je pense qu'elle ignorait totalement que cela se produirait au moment de la présentation de son projet. Nous avons donc exprimé un certain nombre de réserves par rapport aux démarches qu'elle pourrait entreprendre aussi bien auprès de M. Fesneau que des membres de son cabinet. Nous ne pouvons pas décider d'une interdiction de secteur, mais seulement relever d'éventuelles incompatibilités déontologiques.

Depuis février 2020, la moitié de nos ordres du jour sont consacrés à ces projets de reconversion professionnelle et à ce contrôle des mobilités. La réforme de la haute fonction publique que vous avez évoquée, et qui vise à favoriser les mobilités entre le secteur public et le secteur privé, va multiplier ces situations. Tenus par des délais de réponse de quinze jours, nous avons dû doubler le nombre de réunions du collège de la Haute Autorité consacrées aux projets de reconversion professionnelle.

À cet égard, je suis partisan de la plus grande transparence sur les critères que nous retenons pour évaluer le risque pénal et le risque déontologique, en particulier la mise en cause possible du fonctionnement indépendant de l'administration.

Monsieur Benarroche, la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation concernant les articles 432-13 et 432-12 du code pénal est assez stricte. Nous nous inscrivons dans ce cadre, tout en conservant notre capacité d'interprétation, notamment au regard de l'effectivité de la responsabilité. Parfois, les intéressés pensent qu'une simple délégation de signature permet de se soustraire à ces problèmes, alors qu'une délégation de pouvoir est nécessaire. La question du déport peut également poser problème quand la personne ne quitte pas la salle où a lieu le vote, alors même qu'elle s'est déportée.

Nous appelons de nos voeux une harmonisation de la politique pénale, par l'intermédiaire soit d'une loi, soit d'une circulaire du garde des Sceaux. Les poursuites ne devraient pas être différentes selon les ressorts des parquets. La loi 3DS a représenté des progrès incontestables. Toutefois, il reste encore quelques problèmes à régler. Il s'agit d'un sujet particulièrement sensible et sans doute les propositions seront-elles plus facilement reçues si elles émanent d'une institution indépendante, comme nous, que des responsables politiques.

Quelques progrès ont été réalisés, mais la défiance reste forte, comme le montrent les dernières études du Cevipof. À cet égard, il est important que la Haute Autorité soit visible et que nos concitoyens constatent que les dispositifs de contrôle fonctionnent et que l'immense majorité des responsables publics remplissent leurs obligations déclaratives tout à fait honnêtement.

Je vais me rendre plus fréquemment dans les départements pour m'entretenir non seulement avec les hauts fonctionnaires, mais aussi avec les élus locaux, qui nous sollicitent de plus en plus pour des conseils.

En ce qui concerne les non-dépôts, le respect des délais légaux n'est pas toujours spontané. Nous devons encore adresser de nombreuses relances et injonctions. Depuis quelques années, nous assistons à une certaine prise de conscience. En 2021, nous avons adressé 1 261 relances et 250 injonctions, mais nous n'avons transmis que 55 dossiers au parquet - ils concernaient surtout des vice-présidents d'intercommunalités, de département ou de région et des adjoints au maire. Dès lors qu'il s'agit d'un manquement à une obligation imposée par la loi, il est très important de sanctionner administrativement ces non-dépôts. En cas de récidive, le juge pénal sera saisi.

La question du remboursement des frais de campagne concerne essentiellement les têtes de liste qui engagent leur responsabilité.

En ce qui concerne les cabinets de conseil, je ne peux porter d'appréciation en opportunité. Comme je l'ai souligné lors de mon audition par la commission d'enquête sénatoriale, le recours à des consultants extérieurs peut être légitime à partir du moment où l'administration n'est pas en mesure de répondre à un certain nombre de demandes. Toutefois, un tel recours doit être très encadré pour éviter tout conflit d'intérêts. Il me semble tout à fait légitime que cette nouvelle mission nous revienne. J'ai noté que vous aviez retenu notre proposition de création d'une commission des sanctions propre à la Haute Autorité. Peut-être serait-il souhaitable d'élargir la compétence de cette commission au respect des obligations déclaratives ...

Nous nous tenons à votre disposition pour apporter tout l'éclairage nécessaire sur ces propositions.

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