rapporteur. – Ce bilan pourrait laisser penser que le patrimoine religieux n’est finalement guère menacé et souffre simplement de maux similaires à ceux qu’il a déjà connus par le passé : Victor Hugo, puis Maurice Barrès, dénonçaient déjà, en leur temps, « la grande pitié des églises de France » pour reprendre les mots du second.
Ce patrimoine est pourtant désormais en proie à des menaces particulièrement fortes, qui peuvent faire craindre sa dégradation rapide, si le problème n’est pas rapidement anticipé. Nous nous étonnons d’ailleurs que l’Association des maires de France (AMF) ait décliné notre demande d’audition compte tenu de l’ampleur de l’enjeu pour bon nombre de communes.
La sécularisation croissante de la société, la désertification de certaines zones géographiques, les contraintes budgétaires accrues des communes, ainsi que les regroupements paroissiaux, la progression des fusions de communes et le développement des intercommunalités sont autant de facteurs de risque pour ce patrimoine. Ils menacent particulièrement les édifices non protégés situés dans les zones rurales, c’est pourquoi nous estimons que ce problème du patrimoine religieux est bien un enjeu d’ordre sociétal pour la ruralité.
Le risque n’est pas tant que ce patrimoine passe aux mains de propriétaires privés, comme cela arrive dans les pays anglo-saxons, où d’anciennes églises ont été transformées en boutiques, en hôtels, en supermarchés ou en discothèques. Les cas en France sont très marginaux. Les contraintes architecturales et les dimensions des édifices cultuels expliquent la convoitise modérée des investisseurs, a fortiori en zone rurale. De plus, il subsiste une vive réticence en France à l’égard de la désaffectation des édifices cultuels, qui n’est généralement souhaitée ni par l’affectataire, ni par les maires, ni par la population qui y voient la disparition d’un symbole.
Le danger est plutôt que ces édifices ne soient plus utilisés, et donc plus entretenus, au point de rendre leur démolition inéluctable. Ce risque menace particulièrement les bâtiments de qualité médiocre ou dont la valeur architecturale est moins prisée, notamment ceux qui datent du XIXe et du XXe siècles.
Or la France ne semble pas aujourd’hui suffisamment armée pour répondre correctement à ces défis : les maires sont confrontés à une situation difficile sous plusieurs aspects.
D’abord, il ne faut pas sous-estimer les relations conflictuelles qui peuvent exister avec le curé affectataire ou la communauté de fidèles, même si ce n’est heureusement pas une généralité. Ces conflits résultent du partage complexe des responsabilités entre le maire et l’affectataire qui découle du régime de l’affectation cultuelle. Pour résumer, le maire est propriétaire de l’édifice sans en avoir la jouissance, ce qui peut évidemment être une source de frustrations et de malentendus. Si nous mentionnons ce sujet, c’est parce que ces frictions peuvent avoir des conséquences préjudiciables sur la gestion des édifices et leur entretien. Nous estimons donc primordial de créer les conditions d’une meilleure coopération entre les maires et les affectataires.
La deuxième problématique des maires sur ce dossier est évidemment financière. La charge de l’entretien des édifices cultuels apparaît de plus en plus souvent disproportionnée au regard des budgets disponibles, des attentes multiples de la population et de l’utilisation qui est faite de l’édifice.
Au demeurant, nous nous sommes aperçus que ces problèmes de financement peuvent, dans une majorité des cas, être surmontés à condition que les maires sachent à qui s’adresser et parviennent à mobiliser autour du projet de restauration, ce qui exige d’être en mesure de lui donner du sens. Les communes peuvent recevoir des subventions de la part de l’État, des régions et des départements, même si elles restent évidemment plus faciles à obtenir pour le patrimoine protégé.
Elles peuvent également faire appel à la générosité du public. Nous avons évoqué la semaine dernière, avec Stéphane Bern, la contribution du Loto du patrimoine, mais des fondations comme la Fondation du patrimoine ou la Sauvegarde de l’art français, et même des entreprises de financement participatif comme Dartagnans, interviennent également dans ce domaine.
La principale difficulté, en fin de compte, est une nouvelle fois le déficit d’ingénierie des communes et l’accompagnement insuffisant dont elles peuvent bénéficier dans ce domaine. Lors de son audition, le ministère de la culture n’a laissé entrevoir aucune perspective d’évolution en matière d’assistance à maîtrise d’ouvrage de la part de l’État. Il est désormais temps de se résoudre à en prendre acte et de rechercher sans tarder des solutions au niveau des collectivités territoriales, en espérant que cette décentralisation de facto ne creuse pas les inégalités territoriales.
Le second aspect sur lequel la France nous semble pécher est la valorisation de ce patrimoine, pourtant un enjeu majeur pour éveiller l’intérêt du public à son importance et permettre à chacun de se le réapproprier. Elle est indispensable pour que ce patrimoine produise davantage de retombées économiques. Elle est surtout une clé pour rendre plus supportable la charge de son entretien.
Malheureusement, la mise en valeur des édifices cultuels n’est pas toujours à la hauteur, ni des trésors architecturaux qu’ils constituent ni des trésors artistiques qu’ils recèlent. Le silence de la loi de 1905 sur la question de la valorisation patrimoniale en est sans doute largement responsable. Le principe de l’affectation cultuelle a longtemps, sinon empêché, du moins rendu plus délicate la valorisation des édifices, puisqu’il interdit à la fois au maire d’utiliser l’édifice à sa guise et à l’affectataire de l’utiliser à des fins autres que son culte.
Heureusement, la jurisprudence a permis d’évoluer peu à peu vers un usage moins exclusivement cultuel des édifices. Le code général de la propriété des personnes publiques autorise, depuis 2006, l’utilisation des édifices relevant de la loi de 1905 pour des « activités compatibles avec l’affectation cultuelle » comme des expositions, des concerts ou des visites. Il subsiste une réserve de taille : l’organisation de ces activités est subordonnée à l’accord préalable du desservant. Le juge considère néanmoins que celui-ci n’est, par exemple, pas requis pour organiser des visites de certaines parties de l’édifice dont l’accès est indépendant.
Cette base légale nous semble ouvrir des perspectives pour un usage plus partagé des édifices cultuels, qui n’ont pas encore été suffisamment exploitées. C’est pourtant à nos yeux une vraie piste pour l’avenir des édifices, d’autant que la Conférence des évêques de France y semble désormais favorable. Elle y voit une opportunité pour permettre à ce patrimoine de rester vivant et éviter la solution radicale de la désaffectation, dont les conséquences sont irréversibles.