rapporteure. – Ces constats nous conduisent à estimer qu’il serait non seulement déraisonnable, mais aussi inutile de vouloir toucher à la loi de 1905. Nous ne jugeons pas non plus nécessaire de revenir sur la répartition des compétences en matière de politique patrimoniale. Nous préconisons plutôt de mieux mobiliser les compétences de chacun et de mieux coordonner les actions au service de la cause du patrimoine religieux.
Il est impossible de garantir un niveau de protection adéquat des édifices cultuels sans connaître précisément l’étendue de notre patrimoine religieux ; c’est pourquoi nous recommandons qu’un inventaire national de ce patrimoine soit réalisé à l’horizon 2030.
Même si l’inventaire général du patrimoine culturel a été décentralisé au niveau des régions, l’État conserve en effet la possibilité de réaliser des opérations au plan national. C’est à nos yeux la seule solution pour garantir une photographie complète du patrimoine religieux et en tirer des conclusions pertinentes pour l’adaptation éventuelle des politiques publiques.
Si l’État s’y refusait, il paraîtrait indispensable que Régions de France, compte tenu de l’enjeu, lance un appel à toutes les régions pour réaliser de manière concomitante un travail d’inventaire sur le patrimoine religieux. Cela nous donnerait, dans les mêmes délais, des informations que l’État pourrait agréger et auxquelles il pourrait donner une visibilité nationale.
Cette opération d’inventaire est également primordiale pour le patrimoine mobilier – le point a été soulevé par nombre d’entre vous la semaine dernière. Les conservateurs des antiquités et objets d’art (CAOA) sont chargés, au niveau de chaque direction régionale de l’action culturelle (DRAC), de repérer les objets méritant une protection au titre des monuments historiques et d’aider les collectivités à valoriser et restaurer les objets qui sont protégés.
Ces agents indemnitaires de l’État souffrent néanmoins d’un problème de reconnaissance. Leur statut est hybride : une moitié relève de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique d’État et l’autre moitié exerce ces missions à titre bénévole. Cette situation crée inévitablement des disparités territoriales.
Par ailleurs, les CAOA nous ont alertés sur le fait qu’ils ne disposaient pas, à ce jour, d’une véritable base de données, interopérable avec les services de l’inventaire en régions et ceux de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels, permettant de documenter de manière précise, y compris par des photos, le patrimoine mobilier protégé au niveau national. C’est un vrai handicap pour la documentation de ce patrimoine.
Afin de mieux protéger les édifices particulièrement menacés, nous suggérons ensuite l’adoption d’un plan national en faveur de la préservation du patrimoine religieux en péril. Ce plan aurait vocation à lancer une nouvelle campagne de classement ou d’inscription des édifices les plus emblématiques pour les catégories les plus en danger afin d’empêcher leur disparition totale. Il devrait inclure le patrimoine religieux du XIXe siècle, ainsi que celui du XXe siècle, mais aussi les synagogues alsaciennes dont l’avenir est aujourd’hui menacé. L’Alsace a longtemps été un foyer de la communauté juive en France ; il serait dramatique que ce patrimoine, qui constitue un témoin de la mémoire juive en Alsace et qui est parvenu à échapper à l’entreprise de destruction nazie, finisse par disparaître faute de protection.
Nous en venons maintenant à nos recommandations afin d’atténuer les difficultés rencontrées par les maires dans l’entretien et la restauration du patrimoine religieux dont ils ont la charge. Les maires n’y arriveront pas seuls et ont besoin d’un meilleur accompagnement, notamment sur le plan technique.
L’État ne pouvant et ne voulant plus s’en charger, nous avons le sentiment que le meilleur échelon pour leur apporter un tel accompagnement est l’échelon départemental. Les régions sont trop éloignées des réalités du terrain et restent peu investies sur le champ des politiques patrimoniales – à quelques exceptions près, comme la région Auvergne-Rhône-Alpes. Les intercommunalités se voient rarement transférer la compétence en matière de maîtrise d’ouvrage.
Il convient donc, à nos yeux, de s’appuyer davantage sur les compétences des conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) afin d’aider les maires sur cette problématique. Ils pourraient réaliser ou coordonner un état des lieux du patrimoine religieux, c’est-à-dire évaluer son état au regard de différents critères, notamment la qualité urbaine et paysagère, la valeur historique et patrimoniale, l’état technique et sanitaire, la fréquentation et les usages, et identifier les solutions possibles pour chaque édifice. C’est un exercice auquel s’est déjà livré avec succès le CAUE de Meurthe-et-Moselle pour la communauté de communes Mad et Moselle.
Les CAUE présentent plusieurs avantages : ils sont investis par la loi d’une mission d’intérêt public ; ils disposent d’une expertise pluridisciplinaire ; leur composition en fait des organes de concertation ; ils disposent d’un budget puisqu’ils sont financés par une partie de la part départementale de la taxe d’aménagement.
Cette recommandation nécessiterait la mise en place effective dans chaque département d’un CAUE, comme la loi le prévoit – sept n’en disposent toujours pas – et de veiller à ce qu’ils perçoivent une part suffisante de la taxe d’aménagement, celle-ci étant laissée à la libre décision des conseils départementaux. La présence d’un architecte du patrimoine dans la composition nous paraîtrait également indispensable. C’est une vraie piste pour combler les problèmes d’ingénierie des maires.
Autre recommandation, garantir un meilleur entretien des édifices cultuels appartenant aux communes, dans la mesure où un entretien régulier est le meilleur moyen de s’épargner de lourdes dépenses de restauration à l’avenir.
Pour cela, nous proposons de transposer dans les communes rurales le dispositif dédié à la conservation préventive des édifices historiques mis en place dans les Yvelines depuis 2018. Sur le modèle du programme pour l’entretien du patrimoine mis en place aux Pays-Bas dès 1973, appelé Monumentenwacht, ce département a mis en place un dispositif d’accompagnement des communes de moins de 25 000 habitants en contrepartie d’une cotisation modeste de leur part. Chaque édifice patrimonial des communes adhérentes au dispositif bénéficie d’un diagnostic qui débouche sur la réalisation d’un carnet d’entretien, régulièrement mis à jour, permettant aux communes d’anticiper et programmer les travaux à réaliser. Le département assure la maîtrise d’ouvrage déléguée sur les travaux de strict entretien, de maintenance courante et toutes les opérations de conservation préventive des édifices. Au total, 80 % des frais sont pris en charge par le département dans la limite de plafonds.
Ce système nous paraît être un excellent moyen de mutualiser les coûts et d’accompagner les plus petites communes. Nous avons perçu, de la part de l’Assemblée des départements de France, une vraie envie de s’investir de nouveau sur les questions liées à la protection du patrimoine ; c’est pourquoi nous plaidons pour la mise en place par tous les départements d’un tel dispositif, qui instaurerait enfin cette culture de l’entretien qui nous fait défaut.