rapporteur. – Il était important de disposer d’une année complète d’application de la loi pour formuler nos préconisations. Comme vous allez le constater, ces dernières sont un peu sévères.
La LPR, que nous avons examinée à l’automne 2020, était très attendue par un secteur confronté depuis des années à un sous-investissement public chronique, ayant conduit à son décrochage au niveau international et à une érosion progressive de l’attractivité de ses métiers.
Cette loi avait donc pour objectif premier de « réarmer » la recherche française en planifiant sur une période de dix ans, courant de 2021 à 2030, une augmentation progressive de 5 milliards d’euros de son budget.
Bien que saluant l’initiative d’un tel texte, le Sénat avait jugé cette trajectoire budgétaire à la fois trop longue et pas assez ambitieuse dans son intensité sur les premières années. Nous avions alors durement bataillé pour obtenir un raccourcissement de la programmation à sept ans et un effort financier plus marqué en début de période. En définitive, nous n’avons pas obtenu gain de cause sur le premier point. En revanche, nous avons réussi à améliorer sensiblement la trajectoire budgétaire par l’intégration de crédits issus du plan de relance.
Par ailleurs, le Sénat a enrichi le texte à plus d’un titre, qu’il s’agisse de la sécurisation des nouveaux dispositifs de recrutement, de la définition d’un socle juridique pour l’intégrité scientifique, de la réduction du nombre d’ordonnances ou encore de la valorisation de la culture scientifique.
Un an et demi après la promulgation de la LPR, la commission nous a confié cette mission de contrôle afin de dresser un premier état des lieux de son application, tant sur le plan strictement réglementaire que sur le plan de sa mise en œuvre concrète sur le terrain et des premiers résultats observables.
Pour mener à bien ce bilan d’étape, nous avons auditionné les représentants des principaux acteurs du secteur : grands organismes de recherche, Agence nationale de la recherche (ANR), Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), établissements d’enseignement supérieur, collèges doctoraux, directions de laboratoires, ministère, etc.
Commençons par le volet réglementaire, le plus formel, mais aussi le plus important pour la mise en œuvre de la loi.
Initialement prévu pour être en grande partie accompli au début de l’été 2021, et achevé à l’automne de la même année, le programme de publication des textes réglementaires de la LPR a pris beaucoup de retard sous l’effet de plusieurs contraintes sans doute sous-estimées par le ministère. Je pense en particulier aux étapes préalables de concertation avec les instances nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR), aux arbitrages interministériels, au phénomène d’embouteillage du « guichet unique de Bercy » et aux délais de passage devant le Conseil d’État.
Après un pic de publication survenu à la fin de l’année dernière, le schéma réglementaire de la loi de programmation est aujourd’hui presque intégralement mis en œuvre. Il ne manque à ce jour que deux décrets et deux arrêtés sur les quarante textes d’application nécessaires.
Poursuivons avec le volet « programmation budgétaire », qui constitue le cœur de la LPR.
Ses deux premières annuités se sont traduites, en loi de finances initiale (LFI) pour 2021, par un abondement de 389 millions d’euros de plus qu’en 2020, et, en LFI pour 2022, par un apport supplémentaire de 497,4 millions d’euros par rapport à 2021.
Conformes à la trajectoire définie par la loi de programmation, ces évolutions constituent un début de réinvestissement accueilli avec un certain soulagement par le secteur.
L’effort budgétaire déployé concerne en tout premier lieu l’ANR, acteur pivot de notre système de recherche. L’Agence a bénéficié, en 2021, d’une hausse de 424 millions d’euros de sa dotation. Son budget d’intervention est ainsi passé de 746 millions à 1,19 milliard d’euros, un niveau inédit depuis sa création. En 2022, l’augmentation devrait être de 438 millions d’euros pour un budget d’intervention global de 1,2 milliard d’euros. Là encore, ces progressions correspondent aux engagements pris.
Le renforcement des moyens financiers de l’ANR a rendu possible, dès 2021, l’enclenchement de la dynamique prévue par la LPR, qu’il s’agisse de l’augmentation du taux de succès aux appels à projets ou du relèvement du préciput.
Pour l’ensemble des appels à projets, le taux de succès s’est élevé à 23,1 % en 2021. Ce résultat très encourageant laisse à penser que la cible de 30 % en 2027 est raisonnablement atteignable. Je rappelle qu’en 2017 le taux de succès était inférieur à 12 %.
Néanmoins, nous appelons à la vigilance sur deux points.
Premièrement, il ne faudrait pas que le nombre de projets déposés connaisse une augmentation trop importante, la hausse du taux de sélection étant susceptible de provoquer un « appel d’air ».
Deuxièmement, compte tenu de la forte inflation qui sévit actuellement, l’augmentation du financement moyen par projet devient un enjeu central. Évidemment, l’augmentation du taux de sélection ne saurait se traduire par une baisse du financement moyen par projet.
Le relèvement du préciput à 25 % en 2021, contre 19 % en 2020, est conforme aux prévisions et de bon augure pour la suite de la programmation. Nous ajoutons toutefois deux bémols.
Les retombées de l’augmentation du préciput semblent moins immédiatement perceptibles par les acteurs de la recherche que celles qui résultent de la hausse du taux de sélection, effet que certains imputent au caractère « relativement, voire trop modeste » du relèvement du taux.
En outre, le nouveau système de répartition, d’abord tripartite, puis quadripartite, est pour le moins complexe. Du reste, ses modalités de mise en œuvre continuent de susciter un certain nombre d’interrogations.
Pour conclure sur ce volet budgétaire, nous saluons le respect de la trajectoire sur les deux premières annuités, mais nous alertons sur deux points.
L’effort budgétaire mis en œuvre étant très largement absorbé par la hausse des prix, il nous semble impératif de procéder à un réexamen de la trajectoire initiale, laquelle ne tient précisément pas compte de l’inflation. Le Sénat l’avait d’ailleurs pointé au moment de l’examen du projet de loi.
La clause de revoyure, prévue pour 2023 par l’article 3 de la LPR, doit permettre de procéder à cette actualisation. Nous devons notamment revoir deux questions : la durée de la programmation – face aux aléas macroéconomiques, il faut ramener la trajectoire à sept ans, comme nous l’avions préconisé – et l’intensité de l’effort budgétaire – le choc de réinvestissement attendu ne s’étant pas produit, il faut amplifier le rythme des prochaines annuités.
La nouvelle ministre devra rapidement donner des garanties quant à la suite de la mise en œuvre de la programmation budgétaire et quant à ses possibilités d’actualisation.
Enfin, la LPR ignore une question centrale, celle du glissement vieillesse technicité (GVT), qui grève les marges de manœuvre budgétaires des opérateurs.
Le GVT, c’est en effet un coût annuel de 30 millions d’euros pour les organismes de recherche et de 50 millions d’euros pour les établissements d’enseignement supérieur. La clause de revoyure est l’occasion de traiter enfin ce dossier, par exemple dans le cadre des contrats liant les opérateurs de recherche à l’État.