Intervention de Stéphane Piednoir

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 6 juillet 2022 à 9h30

Photo de Stéphane PiednoirStéphane Piednoir :

rapporteur. – Venons-en au volet « ressources humaines ». À ce titre, la mise en œuvre de la trajectoire d’emplois prévue par la LPR exige une remarque préliminaire.

En 2021, 376 équivalents temps plein travaillé (ETPT) ont été créés contre 700 prévus. Le taux de réalisation de l’objectif affiché pour la première annuité est donc de 53,7 %.

Selon le ministère, ce moindre résultat s’expliquerait par le fait que de nombreux textes réglementaires n’ont été publiés que courant, voire fin 2021. Dès lors, il n’aurait pas été possible d’assurer le plein déploiement des dispositifs « RH » concernés, en particulier l’augmentation du nombre de contrats doctoraux et la création des chaires de professeur junior (CPJ).

Nous nous étonnons de cet argument, qui consiste à faire reposer les créations de postes promises principalement sur les contrats doctoraux supplémentaires et le nouveau dispositif des CPJ.

Nous déplorons également que le dispositif de suivi de la trajectoire d’emplois de la LPR, prévu sous la forme d’un plan pluriannuel de recrutement élaboré par chaque établissement, ne soit pas encore formellement mis en œuvre.

Ce constat général étant fait, attardons-nous sur les principaux dispositifs de recrutement créés par la loi de programmation, à commencer par les chaires de professeur junior.

Au total, 229 CPJ ont été ouvertes sur les deux premières annuités, alors que l’objectif fixé par le rapport annexé est de 300 chaires par an sur dix ans. Ces chiffres témoignent d’un démarrage relativement lent du dispositif.

Bien que nous manquions encore de recul pour en dresser un premier bilan consolidé – la campagne 2021 n’est en réalité pas tout à fait terminée et la campagne 2022 est en cours –, nous remarquons que les CPJ continuent de diviser la communauté universitaire : alors que certaines universités se sont engagées rapidement dans ce dispositif, d’autres refusent toujours d’y entrer. À l’évidence, il existe donc une marge d’acculturation.

Au-delà de l’adhésion ou de l’opposition de principe que suscitent ces chaires, trois sujets préoccupent les acteurs sur le terrain : les incidences de cette nouvelle voie de recrutement sur les collectifs de travail, la question de l’égal accès des femmes et des hommes au dispositif et l’absence de garantie des libertés académiques pour le titulaire d’une CPJ.

À la lumière de ces constats, nous formulons d’ores et déjà deux recommandations.

Premièrement, au niveau des établissements, nous suggérons de mettre en place des garde-fous pour apaiser et rassurer les esprits. Il s’agirait notamment d’ajouter une dimension collective au processus d’entrée dans le dispositif, via la consultation des instances compétentes, et d’assurer la transparence de la procédure à toutes ses étapes.

Deuxièmement, au niveau du ministère, nous préconisons de respecter l’engagement pris d’assortir toute création de chaire d’au moins une promotion de maître de conférences ou de chargé de recherches, c’est-à-dire de lier l’existence des CPJ à des créations de postes permanents par la voie classique.

Le deuxième nouveau dispositif de recrutement est le CDI de mission.

Ce nouveau contrat, inspiré des « contrats de chantier » de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte, vise à répondre aux besoins des projets de recherche de long terme et à remédier au taux de renouvellement trop important des chercheurs hautement qualifiés.

Cependant, tel qu’il a été précisé par décret, le CDI de mission repose sur deux conditions contradictoires : une durée supérieure à six ans et un financement reposant majoritairement sur des ressources propres, ce qui ne concerne que des cas exceptionnels.

Dans ses modalités actuelles, le dispositif est donc peu opérationnel et suscite une grande déception chez les organismes de recherche. Aucun n’a d’ailleurs, à ce jour, conclu un tel contrat.

Nous préconisons donc, à l’occasion de la clause de revoyure 2023, de revoir les dispositions réglementaires du CDI de mission pour le rendre réellement opérant.

J’en viens aux troisième et quatrième dispositifs de recrutement, le contrat doctoral de droit privé et le séjour de recherche.

Ces deux mesures, dont l’objectif est de sécuriser juridiquement les doctorants contractuels, français ou étrangers, semblent, dans leurs modalités de mise en œuvre, donner satisfaction même si elles doivent encore « entrer dans les mœurs ».

J’évoquerai enfin les possibilités de recrutement hors Conseil national des universités (CNU).

La LPR rend possible le recrutement d’enseignants-chercheurs sans passer par la qualification du CNU selon deux possibilités, qui avaient suscité de vives réactions au moment de l’examen du texte : la suppression de la qualification pour les maîtres de conférences qui postulent pour devenir professeur, disposition qui est bien entrée en application, et l’expérimentation permettant de déroger à la qualification pour le recrutement des maîtres de conférences, qui, elle, n’est toujours pas lancée – le décret, non publié à ce jour, est à l’arbitrage du nouveau gouvernement…

Cette expérimentation étant encore très décriée, nous appelons la nouvelle ministre à mener une concertation approfondie sur ses modalités de mise en œuvre afin qu’elle puisse se dérouler dans un climat le plus serein possible.

Quelques mots maintenant sur les mesures « carrières et rémunérations », qui ne figurent pas à proprement parler dans la LPR, mais dans le protocole d’accord signé le 12 octobre 2020 par les syndicats majoritaires de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR).

Les deux premières tranches 2021 et 2022 du processus de revalorisation indemnitaire, de 92 millions d’euros chacune, ont été intégralement mises en œuvre. Elles ont globalement été bien accueillies par le secteur, même si certains les jugent insuffisantes au regard de l’ampleur du décrochage des rémunérations dans l’ESR et regrettent qu’elles ne portent que sur la partie indemnitaire et non sur la rémunération de base.

Nous avons également été alertés sur la complexité du nouveau régime indemnitaire unifié des chercheurs et des enseignants-chercheurs (Ripec), en particulier sur sa composante individuelle « C 3 » considérée comme une véritable usine à gaz, bien loin de l’objectif de simplification annoncé.

Nous préconisons enfin d’aborder, lors de la clause de revoyure, la question du calendrier de mise en œuvre de la seconde étape de la convergence indemnitaire, initialement prévue entre 2027 et 2030 : en cas de raccourcissement de la durée de la programmation à sept ans, il faudra mener à bien cette convergence interministérielle d’ici à 2027.

Pour clore ce volet « RH », je dresserai un rapide état des lieux des mesures relatives au doctorat.

La LPR a clairement permis d’enclencher une dynamique positive.

J’en veux pour preuve les 170 contrats doctoraux supplémentaires qui ont été financés par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (Mesri) en 2021 ; la même évolution est attendue en 2022, 2023 et 2024, pour atteindre l’objectif de 680 contrats supplémentaires en quatre ans.

Toutefois, la revalorisation de 30 % des nouveaux contrats doctoraux, initialement prévue sur trois ans, a finalement été étalée sur cinq ans : une augmentation de 6 % a eu lieu en 2021, portant le salaire mensuel brut à 1 866 euros ; une augmentation équivalente devrait intervenir en 2022, portant ce même salaire à 1 975 euros ; et une hausse plus importante, de 16,4 %, est annoncée pour 2023, qui le porterait à 2 300 euros.

Malgré ces avancées, plusieurs motifs d’insatisfaction ou d’inquiétude nous ont été rapportés.

D’abord, la revalorisation ne concerne que les nouveaux contrats doctoraux, ce qui crée une iniquité entre doctorants.

Ensuite, les hausses 2021 et 2022 sont déjà grevées par l’inflation.

Enfin, l’augmentation promise de 30 % d’ici à 2025 n’est en aucune manière garantie.

Nous estimons en outre que ces mesures financières, évidemment nécessaires, ne suffisent pas à revaloriser structurellement le doctorat. Une politique réellement ambitieuse nécessiterait, selon nous, de travailler sur les axes suivants : l’information et la communication sur les modalités du doctorat et le devenir professionnel des docteurs via, par exemple, la création d’un portail national de l’emploi des docteurs ; la médiation scientifique auprès des étudiants pour les inciter à s’engager dans la voie doctorale ; et la reconnaissance du doctorat dans le monde de l’entreprise et sa publicité auprès du grand public.

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