professeur à Mines ParisTech, spécialiste de l'énergie et la modélisation prospective, auteure principale du chapitre « Demande et services » du groupe de travail 3 du GIEC. - Notre travail se décline en trois temps : la compréhension des phénomènes, l'évaluation de l'impact qu'ils ont sur nous, et les pistes pour limiter l'ampleur de ces phénomènes par la réduction des émissions de GES.
Une première partie du rapport est consacrée à l'évaluation de l'évolution de ces émissions de gaz à effet de serre, opération complexe, avec des scénarios illustratifs.
Au cours de la dernière décennie, les émissions de GES ont crû de manière exponentielle. On parle beaucoup du dioxyde de carbone, issu principalement de la combustion des énergies fossiles, mais il existe d'autres sources d'émissions, comme l'usage des sols, le méthane, l'oxyde d'azote, les gaz fluorés, dont les émissions croissent de nouveau après avoir diminué.
Donc, globalement, les nouvelles sont assez mauvaises. On constate pourtant qu'un nombre croissant d'entreprises, de villes, de régions affichent une ambition zéro carbone, plus de 50 pays ayant inscrit dans leur législation des plans climat ; on dit donc beaucoup que nous sommes en période de transition, alors qu'en réalité, les émissions continuent de croître. Il y a là un paradoxe. Aussi, il faut absolument mettre en place rapidement des solutions, comme l'éolien et le solaire, dont les coûts ont fortement baissé.
Il existe un élément complexe dans cette équation : si l'on cumule tous les investissements actuels dans les énergies fossiles, que ce soit pour produire de l'électricité ou pour un usage industriel, en ajoutant cela à ce qui est déjà prévu, l'ambition des 2 degrés C de hausse des températures restera lettre morte.
Nous avons donc élaboré des scénarios illustratifs : les chercheurs intègrent les éléments dont ils disposent pour définir des tendances. Le problème est que les politiques menées à ce jour ne permettront pas de respecter les engagements qui ont été pris notamment dans le cadre des conférences de parties (COP) organisées par l'Organisation des nations unies (ONU).
À cet égard, à l'issue de la conférence de presse qui a accompagné la publication de ce rapport, l'Agence France Presse (AFP) a affirmé qu'il nous restait trois ans pour agir. En fait, nous sommes déjà en retard. En résumé, il fallait s'y mettre hier et il est donc aujourd'hui grand temps d'agir.
Le rapport s'attache à étudier différents secteurs : l'énergie, l'usage des sols, l'industrie, les bâtiments, les villes, les transports, la demande et les services. Il s'interroge sur la façon de mettre en oeuvre des solutions et sur les moyens de réduire ces émissions.
La question de l'énergie ne doit pas accaparer toute notre attention ; très souvent quand on parle de climat, on se focalise sur l'énergie, en s'interrogeant sur les avantages et inconvénients du nucléaire et des énergies renouvelables, ce qui alimente beaucoup de polémiques. Le message majeur est donc qu'une transition majeure et massive vers des technologies décarbonées est nécessaire. L'une des pistes possibles est l'électrification, mais à condition que l'électricité soit produite de manière peu ou pas carbonée. Cela peut nous paraître évident en France, mais ce n'est pas le cas partout sur la planète. Autre piste intéressante : l'utilisation des carburants alternatifs, comme l'hydrogène, dès lors que leur production est décarbonée.
Dans le secteur des transports, il est possible d'aller vers des moyens électrifiés - véhicules électriques, transport ferroviaire, y compris pour le fret. De même, il est possible de réduire la demande de transport.
J'en viens justement à la demande. Dans le cadre de la coordination entre les gouvernements et les scientifiques, il nous a paru important d'essayer d'évaluer les potentiels de réduction des émissions de GES non par rapport à l'offre, mais par rapport aux usages et aux services qui sont rendus. C'est la première fois que nous avons consacré un chapitre à ce volet dans un rapport du GIEC. Nous avons calculé qu'un changement de nos usages et qu'une modification de notre demande permettraient de réduire nos émissions entre 40 à 70 % à l'horizon 2050. Deux remarques : d'une part, la marge d'erreur est importante, et, d'autre part, cela implique de mettre en place des politiques d'accompagnement et de rendre les infrastructures disponibles et les technologies accessibles. En résumé, changer de mode de vie en modifiant notre mobilité implique des moyens de substitution. On ne peut pas stigmatiser des comportements si l'on n'offre pas la possibilité de les changer, au regard de l'environnement dans lequel on vit.
Nous distinguons trois niveaux : avoid (éviter), shift (changer) et improve (améliorer).
Avoid : il s'agit d'éviter ce qui a un impact direct sur les émissions de GES ; c'est le cas, par exemple, lorsqu'on fait le choix de ne pas se déplacer avec son véhicule.
Shift : cela consiste à changer de technologie pour tel ou tel usage. Prenons l'exemple de l'alimentation. Il est difficile d'évaluer l'impact environnemental d'un menu carné, qui dépend du mode d'élevage. En outre, la viande représente, dans certaines régions du monde, la source principale de protéines, sans substitution possible. Pour autant, les élevages intensifs étant très émissifs, recourir à des protéines non carnées est positif, sous réserve qu'elles ne soient pas produites de l'autre côté de la planète, ce qui ne ferait que décaler le problème.
Improve : il s'agit de recourir à des technologies plus efficaces pour satisfaire notre demande ; exemple : une meilleure isolation des bâtiments.
Qu'est-ce qu'un niveau de vie décent ? Sur la planète, il existe une très grande disparité en termes d'accès à l'énergie, à l'alimentation, à l'eau. Aussi, demander aux populations des pays où cet accès est limité de faire des efforts de réduction des émissions de GES est très mal perçu. Il faut avoir à l'esprit que des solutions qui peuvent être pertinentes pour les uns ne le seront pas pour les autres.
Il existe, dans tous les secteurs, des solutions pour réduire les émissions de GES. Mais il reste le problème de leur financement, à ce jour de trois à six fois inférieur à ce qui serait nécessaire, malgré le fait que les financements sont disponibles.
Il faut agir, en envisageant chaque solution dans un système global. Il ne faut pas envisager les solutions de manière isolée. En effet, parfois, les solutions des uns peuvent devenir les problèmes des autres. Par ailleurs, les débats clivants sont délétères et ne permettent pas de réfléchir au sujet dans sa globalité.