professeur à Mines ParisTech, spécialiste de l'énergie et la modélisation prospective, auteure principale du chapitre « Demande et services » du groupe de travail 3 du GIEC. - Le rôle du GIEC est de porter le regard plus loin, d'évaluer les conséquences de nos orientations présentes. Nos rapports se contentent de présenter des faits. Personnellement, ce travail ne m'angoisse pas du tout : nous avons une réelle occasion de transformer profondément notre société et notre modèle économique, c'est un défi et une très belle aventure pour toute la jeunesse. C'est ainsi qu'il convient de poser le problème pour cesser de cliver, d'opposer. En revanche, il faut être conscient de la situation et se remettre en question. Or, je ne suis pas sûre que même les jeunes soient très conscients des problématiques, au-delà du catastrophisme ambiant. En réalité, je ne pas sûre que le principal sujet d'angoisse actuel soit le climat.
Plusieurs difficultés n'en demeurent pas moins. Les médias sont complètement délirants : lors de la parution du premier volet, ils préféraient parler du transfert du footballeur Messi ; lors de la présentation du deuxième volet, c'était la guerre en Ukraine ; en ce qui concerne le troisième tome, c'est l'élection présidentielle qui était à l'honneur. Leur responsabilité est lourde, mais les médias, c'est pour les vieux ! Les jeunes n'ont rien à faire de ce qui se passe à la télé, d'autres vecteurs de communication les atteignent mieux. Quant aux décideurs politiques, je regrette le faible nombre de nouveaux députés venus discuter avec nous la semaine dernière ; je ne suis donc pas très optimiste quant à la prise en compte de ce sujet par notre monde politique. Je ne suis pas sûre non plus que nos gouvernants, plus largement, aient bien compris le problème ; en tout cas, cela ne transparaît pas dans leur action.
Vous demandez quelles technologies, quels scénarios positifs pourraient fournir des solutions. Sur ce point, nous sommes dans un grand brouillard. Il faut arrêter d'attendre des solutions hypothétiques, d'écouter des vendeurs de scénarios trop compliqués. Il faut s'attaquer au modèle de société où la publicité définit le bien-être : toute la journée, on voit sur nos écrans de grosses cylindrées sur des routes désertes... Le fond du problème est là : nos valeurs, nos normes, ne sont pas alignées avec le sujet dont il est ici question, et elles n'offrent même pas tant de bonheur, au vu du nombre de gens qui prennent des antidépresseurs !
Notre époque est assez formidable... Il va falloir tout changer ! Depuis René Dumont et le club de Rome, nombreux sont ceux qui s'y sont cassé les dents, alors que les scientifiques accumulent les preuves tangibles, rapport après rapport. La concomitance entre nos activités et le dérèglement du climat est sûre à 100 %.
Il faut travailler avec l'industrie des énergies fossiles, ne pas se contenter de la condamner, mais la transformer, comme toutes les autres. On ne va pas bannir tout un secteur du jour au lendemain, d'autant que nous en dépendons tous. Il faut une approche de long terme pour éviter la situation où se trouvent aujourd'hui les Allemands : trop dépendants du gaz russe, ils relancent aujourd'hui les centrales à charbon. On voit qu'une approche et changement globaux sont nécessaires et que de mesures sectorielles isolées ne suffiront pas.
Pour nos jeunes, à l'École des mines de Paris - je ne m'exprime plus ici au nom du GIEC -, nous avons décidé de créer un grand institut consacré à la transition écologique, dénommé « The Transition Institute 1.5 » - veuillez pardonner cet anglicisme -, de manière à mieux inclure ces sujets dans le parcours académique et doctoral. Nous voulons également de la sorte produire des travaux susceptibles d'influencer les décideurs politiques, dont les parlementaires que vous êtes pourront s'emparer. Nous sommes tous dans un épais brouillard, qu'il convient d'éclaircir pour savoir que faire et prendre les bonnes décisions, plutôt que de se jeter sur la première technologie venue.