Intervention de Jean Hornain

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 16 juin 2022 : 1ère réunion
Étude sur la gestion des déchets dans les outre-mer — Audition de M. Jean Hornain directeur général de citeo

Jean Hornain, directeur général de l'entreprise Citeo :

Je suis accompagné de Thibault Boucher, conseiller aux affaires publiques, qui gère notamment les relations avec les élus, et de Philippe Moccand, directeur outre-mer de Citeo chargé des schémas des collectes et de tri.

Citeo est une entreprise à mission dont l'objectif est de réduire l'impact environnemental des emballages ménagers et des papiers graphiques. Nous exerçons cette mission depuis trente ans dans le cadre de la REP, qui oblige les entreprises mettant sur le marché des produits dotés d'un emballage à assurer la fin de vie de celui-ci par la réduction, par le recours au réemploi et par le recyclage. Citeo compte 30 000 entreprises réparties sur l'ensemble du territoire français. Ces dernières contribuent à cette mission quel que soit le matériau traité - le verre, l'acier, l'aluminium, le carton, les papiers, les résines plastiques -, et apportent un financement pour réaliser de l'éco-conception et de la mobilisation. Citeo passe des accords avec les collectivités territoriales, soit un peu moins de 700 avec des communautés de communes et des communautés d'agglomération. Notre spécificité est que nous intervenons financièrement auprès de ces acteurs. Notre activité est encadrée par un cahier des charges et, au sein de ces partenariats, les collectivités territoriales mettent en place les dispositifs qui permettent de collecter, trier et recycler les emballages ménagers.

S'agissant des outre-mer, nous intervenons à La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Mayotte, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, territoires qui représentent environ 1,8 million d'habitants. Nous avons passé un accord avec dix-huit établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et nous sommes « en pourvoi », c'est-à-dire directement acteurs, dans trois territoires plus difficiles - deux en Guyane et un à Mayotte.

Viviane Malet a souligné, à juste titre, que les filières REP connaissaient des retards dans les départements et collectivités d'outre-mer (DOM-COM), comme le montrent leurs performances de collecte et de tri, elles-mêmes très disparates. Ainsi, la France collecte et trie en moyenne 50 kilogrammes d'emballages par an et par habitant, mais La Réunion seulement 25, la Martinique ou la Guadeloupe environ 15 et Mayotte 2, soit globalement le tiers de la performance de l'Hexagone.

Plusieurs facteurs d'explication peuvent être dégagés.

Tout d'abord, les filières REP ont été développées plus tard dans les outre-mer. Pour la filière REP emballages ménagers, La Réunion a commencé la première en 2003 et réalise d'ailleurs les meilleures performances, les Antilles ont commencé en 2010, la Guyane et Mayotte en 2015, contre le début des années 1990 pour le reste du territoire.

Ensuite, s'agissant de la mise en oeuvre de ces filières dans les DOM-COM, c'est le modèle appliqué dans l'Hexagone qui a été repris. Or celui-ci ne prenait pas nécessairement en compte les spécificités locales, insulaires ou territoriales, comme les cirques à La Réunion, les forêts immenses de la Guyane, et les différences de niveau de population - 800 000 habitants à La Réunion, 6 000 ou 7 000 à Saint-Pierre-et-Miquelon, peut-être 30 000 habitants à Saint-Martin.

Néanmoins, en ce qui nous concerne, des modalités particulières d'intervention ont toujours existé, notamment pour le soutien aux collectivités territoriales, différentes de celles qui sont en vigueur dans l'Hexagone.

Quels sont nos modes d'intervention ?

Le premier est le soutien à la tonne. Un EPCI collecte et trie des tonnes d'emballages ménagers et de papiers que nous payons ensuite selon un barème déplafonné, équivalant au double de celui de l'Hexagone. Nous incitons ainsi les collectivités territoriales à développer la collecte.

Le deuxième mode d'intervention est la reprise des matériaux, y compris en Guadeloupe continentale, dont vous avez souligné la spécificité. Nous assurons la reprise des matériaux et nous les envoyons dans l'Hexagone ou ailleurs.

Les plans d'actions territoriaux (PAT) sont un autre mode d'action que nous avons lancé en 2018. Ces PAT sont discutés et négociés avec les collectivités territoriales, l'Ademe et l'État. On en compte soixante, qui représentent une vingtaine de millions d'euros d'investissement. Ce sont des plans spécifiques de densification des points de collecte et de mobilisation des citoyens, auxquels les collectivités territoriales peuvent participer. En plus des soutiens à la tonne déjà évoqués, nous payons un montant par habitant, définis selon un barème standard, pour accompagner ces plans spécifiques.

Nous prenons aussi en charge des actions de communication spécifiques et nous bâtissons des plans de communication. Celui que nous venons de réaliser en Guadeloupe comporte une affiche publicitaire rédigée en créole. À La Réunion, nous avons passé un accord avec l'humoriste Titi le comik, que j'ai rencontré récemment. L'objectif est de réaliser des supports adaptés aux territoires.

Comme autre moyen d'action, nous lançons des appels à projets et des appels à manifestation d'intérêt (AMI), qui concernent la métropole et les DOM-COM. On peut citer celui sur le développement du réemploi du verre, pour lequel un acteur de La Réunion s'est porté candidat, ou celui sur la collecte solidaire et innovante, réalisé en partenariat avec l'Ademe, pour lequel quatre ou cinq projets viennent des DOM-COM.

Vous avez cité les appels à manifestation d'intérêt dédiés à la valorisation locale, sujet qui gagne en importance. En effet, y a-t-il encore un sens à collecter 12 000 tonnes de verre à La Réunion pour les stocker dans des conteneurs et les expédier ensuite en Afrique du Sud afin qu'elles y soient recyclées, ou bien à envoyer des cartons d'emballage depuis les Antilles ou la Guyane jusqu'en métropole ? Le bon sens voudrait que l'on reconnaisse l'existence de solutions de valorisation locale, qui ne sont pas toujours ce que l'on appelle du recyclage.

Prenons l'exemple du verre. Il y a quelques semaines, j'étais à La Réunion et, parmi les lauréats de notre appel à projets, figurait la société Sud Traitement Services (STS), qui produit un additif servant à la fabrication du béton à partir du verre réduit préalablement en poudre par ses soins. Dans la mesure où il existe un marché local, cette solution de valorisation du verre apporte une valeur ajoutée tout en évitant un bilan économique et environnemental médiocre, et cela par l'intermédiaire d'une entreprise locale prête à développer cette activité.

Les dix-sept lauréats de notre appel à manifestation d'intérêt, dont vous avez parlé, proposent des projets comparables, qui ont trait au carton, au verre ou aux plastiques. Il peut aussi s'agir de valorisation des combustibles solides de récupération (CSR). Certes, il existe une hiérarchie générale des modes de traitement des déchets, mais, dans les îles, si l'on tient compte de l'impact environnemental et de la valorisation énergétique, il n'y a guère de sens à mettre des emballages - même plastiques - sur des bateaux pour les envoyer vers l'Hexagone.

Nous voudrions encourager, dans ces territoires, les projets de valorisation énergétique CSR et éviter ainsi d'importer du charbon. Pour revenir à l'exemple de La Réunion, il existe un projet dans le sud de l'île.

Il faut un projet dans le nord de l'île : une unité de traitement de Suez gère les emballages et fabrique du CSR, mais l'envoie ensuite à l'enfouissement, dans une décharge déjà pleine, à des coûts prohibitifs ; j'aurai l'occasion d'évoquer par la suite la difficulté supplémentaire posée par la TGAP. Développer des unités de valorisation énergétique prend dès lors tout son sens.

Un dernier mode d'intervention, issu de la loi AGEC et des dispositions européennes, a trait aux déchets abandonnés. Notre responsabilité est d'aider les collectivités territoriales à développer des plans de prévention et de contribuer aux coûts de nettoiement, conformément à la loi qui s'appliquera sur l'ensemble du territoire en 2023 et qui s'applique déjà de manière rétroactive depuis 2021 dans les DOM-COM.

Afin de mobiliser les territoires d'outre-mer, j'ai signé, il y a quelques semaines, un projet avec Saint-Denis de La Réunion ; un autre est en cours de signature à Mamoudzou, à Mayotte, et d'autres sont en gestation pour les parcs naturels de Guadeloupe et de Guyane. Nous avons proposé par écrit aux maires et aux présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) d'intervenir pour collecter les déchets abandonnés via une convention-cadre.

Vous m'avez interrogé sur le bilan de la loi AGEC. Du fait de l'augmentation du soutien à la tonne, nous couvrons 100 % du coût de collecte et de tri, ce qui n'était pas le cas auparavant. La modification du cahier des charges de la filière responsabilité élargie des producteurs (REP) pour les emballages ménagers est-elle adaptée à la situation des COM ? Les résines plastiques pour lesquelles nous ne disposons pas de solution de recyclage représentent un tiers du total, soit environ 100 000 tonnes ; les collectivités locales pourraient confier ces déchets aux entreprises agréées, afin d'accélérer le développement des filières de recyclage.

Les nouvelles dispositions n'ont pas de conséquence majeure pour les collectivités que nous soutenons toujours financièrement et dont nous reprenons les déchets. Les opérateurs de collecte et de tri, à l'inverse, via le recours qu'ils ont déposé, souhaitent que nous nous limitions à l'aspect financier. J'estime pour ma part que notre rôle est de soutenir les collectivités et de les inciter à développer des projets. Toutefois, les solutions n'adviennent pas par magie, par le seul marché, sans notre financement. Nous ne sommes pas un opérateur de tri et de recyclage.

Vous m'avez également interrogé sur les filières locales de recyclage. Il s'agit pour nous d'un élément majeur, comme j'ai pu l'illustrer avec les PAT et les AMI. Le soutien que nous apportons est non pas seulement financier, mais aussi technique. Nous facilitons la mise en oeuvre de projets au sein des collectivités, notamment en leur proposant un accompagnement à l'investissement.

En matière de financement et d'ingénierie, le cadre réglementaire et législatif prend en compte la spécificité des DOM-COM. Des améliorations sont sans doute possibles, mais la volonté politique est là. De fait, les moyens financiers ont été multipliés par trois.

La capacité d'exécution est cruciale ; les collectivités locales doivent être en mesure de mener les projets, grâce aux PAT, aux AMI et aux dispositifs de collecte des déchets abandonnés. Des difficultés d'organisation demeurent, par exemple lorsque plusieurs syndicats de traitement interviennent sur un territoire restreint, alors que leur mutualisation permettrait d'aller plus vite, même si cela peut être compliqué politiquement.

Nous avons sollicité les collectivités au sujet des déchets abandonnés : pour l'instant, malgré l'existence de financements et une indéniable volonté d'avancer, relativement peu de projets sont menés.

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