Intervention de Nicolas Garnier

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 16 juin 2022 : 1ère réunion
Étude sur la gestion des déchets dans les outre-mer — Audition de M. Nicolas Garnier délégué général d'amorce

Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce :

Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Il faut savoir que les outre-mer ont toujours été perçus comme la dernière roue du carrosse en matière de REP. Depuis la création des éco-emballages en 1992, l'histoire des REP va s'accélérer grâce ou à cause d'Amorce, puisque nous sommes à l'origine de la quasi-totalité des dispositifs de REP en France qui ne viennent pas de directives européennes. Trois ont été imposés par des règles européennes : emballages, déchets électroniques, piles et accumulateurs. Les autres sont des dispositifs nationaux, qui ont été créés par amendements parlementaires.

À cet égard, je tiens à rendre hommage au Sénat, qui a joué un rôle prépondérant depuis quinze ans pour créer, notamment, la REP textile ou la REP mobilier. Certaines REP sont actuellement en cours de mise en place, comme la REP chewing-gum ou la REP textiles sanitaires, que nous avons arrachée grâce à l'apport du Sénat, voilà maintenant trois ans. Il faut savoir que ces derniers représentent 40 à 50 kilogrammes par an par habitant en France, à peu près au même niveau que le gisement des emballages.

Aujourd'hui, un Français produit chaque année à peu près 600 kilogrammes de déchets, avec des disparités très importantes entre le monde urbain et le monde rural : on est plutôt autour de 800 kilogrammes par habitant dans le monde urbain dense et autour de 450 kilogrammes dans le monde rural. On peut dire qu'à peu près un tiers de la production de déchets des Français, métropole et DROM, est soumis à des dispositifs de REP. J'ai oublié en introduction de mentionner la REP bateaux, avec les fusées de détresse, qui concernent particulièrement les DROM.

Il faut savoir que le système de REP à la française est un système extrêmement peu contraignant. La seule contrainte, c'est l'obligation de contribuer sous la forme d'une éco-contribution sur le barème, ce que l'on appelle le barème amont, pour tout metteur sur le marché d'un produit. Cette éco-contribution est levée sur le consommateur, et le niveau est discuté par les éco-organismes. On peut dire que c'est une délégation du service public de l'État. Mais, entre ce qu'il y a dans la loi et le cahier des charges, il y a souvent un gouffre au sortir des négociations, car l'État a tendance à assouplir sa position.

Par ailleurs, les objectifs environnementaux sont, d'une part, souvent flous, et, d'autre part, rarement ambitieux.

Enfin, l'État ne fixe pas d'objectifs par territoire. C'est ce qui est le plus problématique pour les outre-mer, où le développement des filières coûte plus cher, notamment en raison de l'insularité.

En somme, l'éco-organisme, mandataire du metteur sur le marché, qui n'est pas tenu par un objectif territorial, n'est pas incité à produire son effort, par exemple, en Guadeloupe, où il va payer plus cher pour un même résultat qu'en métropole, sachant qu'il n'y a de toute façon pas de véritable sanction s'il n'atteint pas son résultat global. L'éco-organisme va chercher en priorité à recycler la tonne du Grand Paris ou du Grand Lyon, ce qui lui permettra d'optimiser ses coûts.

Nous avons donc besoin de cahiers des charges plus contraignants, avec un véritable système de sanctions, et des objectifs fixés par DROM.

Les objectifs par DROM mériteraient certes d'être différenciés : on ne peut exiger de Mayotte, qui commence à peine à recycler, une performance semblable à celle d'un territoire métropolitain qui recycle depuis 1992.

Cela étant, le seul fait de fixer un objectif aurait pour effet de contraindre l'éco-organisme à se donner les moyens de l'atteindre. Nous créerions alors, en quelque sorte, une obligation de faire dans ces territoires. Le fait qu'un certain nombre d'entre eux n'aient jamais pratiqué la collecte sélective avant 2020 s'explique par le fait que les éco-organismes n'ont jamais ressenti d'obligation de généraliser la collecte ni d'atteindre le moindre objectif dans les DROM.

Malgré le dispositif d'accompagnement spécifique prévu par la loi AGEC pour les outre-mer, je doute fort qu'un acteur comme Citeo mobilise aujourd'hui les moyens suffisants pour atteindre 75 % de recyclage en Guyane, en Guadeloupe ou en Martinique. Au contraire, selon nos calculs, le taux de prise en charge financière de la collecte sélective et du tri des emballages dans les DROM est inférieur à 20 % du coût réel. La loi française prévoit pourtant un financement, par l'éco-organisme, des coûts optimisés à hauteur de 80 %, mais ces coûts s'entendent selon le référentiel national qui n'est pas représentatif des coûts dans les outre-mer. Il conviendrait, selon nous, de prendre comme référence 80 % des coûts optimisés par DROM ou dans la moyenne dans les DROM, ce qui serait déjà un moindre mal.

Nous savons bien que les conditions logistiques et environnementales sont totalement différentes dans les DROM, et j'espère que les représentants des éco-organismes que vous avez auditionnés n'ont pas tenu de propos peu amènes à l'égard des DROM. Pour notre part, nous avons fait la preuve que le niveau élevé des coûts dans les DROM s'expliquait par les spécificités de ces territoires, aucunement par un quelconque surdimensionnement ou par une mauvaise gestion publique : on ne monte pas un centre de tri dans un DROM comme on le fait en région parisienne.

Vous m'interrogez ensuite sur les raisons qui nous ont conduits à déposer un recours sur le cahier des charges.

La REP emballages a été conçue comme une REP « financière » : à quelques exceptions près, la responsabilité légale de la collecte sélective et du tri incombe aux collectivités locales. Si je voulais être caustique, je dirais que cet accord initial convenait à tout le monde : déjà responsables de la collecte classique, les collectivités locales se considéraient comme légitimes pour réaliser la collecte sélective qui, de surcroît, conférait une ambition environnementale à un service public ; de l'autre, l'éco-organisme se satisfaisait du fait que le prestataire public ne lui facturait qu'une très faible part du coût de la prestation.

Cet accord tacite a volé en éclat à l'occasion de la loi Grenelle, quand l'amendement soutenu par Amorce tendant à porter le niveau de prise en charge des coûts par l'éco-organisme à 80 % a été adopté. Nous avons échoué, en revanche, à faire adopter un amendement plus précis, qui visait à prévoir une prise en charge à hauteur de 80 % des coûts rééls optimisés dans les DROM.

Aujourd'hui, nous sommes entrés dans une phase où certains gisements d'emballage ne représentent plus un coût, mais une valeur. Cela explique notamment l'intérêt croissant pour les canettes en aluminium. Prenons à présent l'exemple du Polyéthylène Téréphtalate (PET) - à cet égard, nous suivons de très près la tentative de mise en place d'une consigne pour les bouteilles d'eau en plastique en Guadeloupe, une fausse bonne idée que le Sénat a su brillamment et vaillamment rejeter - sachant que la valeur de cette matière est de 2 000 euros la tonne, dès lors que le coût de la collecte sélective tombe à 700 euros, des acteurs privés se portent naturellement candidats pour prendre en charge la collecte.

C'est là que réside l'enjeu quasiment philosophique du service public des déchets. Tant que cette mission représente un coût, la charge en revient aux collectivités locales, mais dès qu'elle recèle de la valeur, alors le marché s'en empare, généralement au travers de son éco-organisme. Dans un premier temps, l'idée d'une consigne sur les bouteilles en plastique a été reçue très positivement : nous allions collecter de nombreuses bouteilles, cesser de polluer les océans et améliorer le geste de tri. Mais si l'idée est si bonne, pourquoi ne pas l'élargir au pot de yaourt ou au blister de chips, qui ne valent rien ?

Telle est la question que nous avons posée au Gouvernement. Et la réponse est simple : l'acteur privé ne s'intéresse qu'aux gisements rémunérateurs. Il laisse au service public et aux contribuables locaux le coût de ce qui n'a pas de valeur. Voilà l'enjeu de la consigne : une privatisation de ce qui a de la valeur et le maintien dans le champ public de ce qui coûte. Le jour où le pot de yaourt aura une valeur supérieure à son coût de collecte sélective et de tri, une consigne sera peut-être envisagée. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Nous contestons le cahier des charges pour la simple et bonne raison que celui-ci apporte une nouveauté qui pose question. Quand nous demandons une modification du cahier des charges, par exemple pour créer un barème DROM, on nous oppose que cela n'est pas possible en cours d'agrément. Mais quand Citeo demande une modification pour prendre le contrôle du flux des nouveaux plastiques, alors on s'exécute immédiatement. Il y a là deux poids deux mesures !

Surtout, ce cahier des charges n'impose plus aux collectivités locales de trier les nouveaux plastiques. Les centres de tri que nous construisons actuellement deviendront donc en grande partie obsolètes. Il nous sera en effet demandé de les simplifier, dans la mesure où Citeo se chargera du surtri, et, par voie de conséquence, prendra le contrôle de la matière. Tout l'enjeu réside donc dans le contrôle des matières plastiques, dont certaines ont une valeur, quand d'autres sont en train d'en acquérir une.

Le groupe Citeo aurait pu adopter une démarche consistant à créer des filières et des installations de recyclage. Étonnamment, quand on creuse la question du recyclage chimique et que l'on demande aux principaux acteurs, Eastman ou Loop, ce qu'ils projettent de recycler dans leurs usines, ces derniers répondent qu'ils entendent recycler non pas le pot de yaourt ou le blister de chips, mais des bouteilles d'eau ! Il n'y a pourtant pas de besoin en la matière. Nous disposons depuis longtemps de ce savoir-faire. Faute de cahier des charges contraignant, nous savons que Citeo n'atteindra pas un taux de recyclage élevé pour ses pots de yaourt ou ses blisters de chips, mais que le groupe aura, in fine, récupéré le contrôle de la matière.

L'évolution du cahier des charges est donc un jeu de dupes consistant à laisser croire que l'on confie à Citeo la responsabilité de recycler les nouveaux plastiques, alors qu'en réalité, nous obtiendrons probablement dans trois ans le résultat suivant : Citeo, passé maître dans l'accumulation d'objectifs qu'il n'atteint jamais sans jamais être sanctionné, maîtrisera ce flux sans pour autant recycler davantage.

Aussi, nous craignons de voir interrogée, demain, la pertinence des milliards d'euros de dépenses consacrées par les collectivités locales à la modernisation ou à la création de centres de tri sophistiqués. En effet, si la consigne est mise en place, ces derniers ne verront plus une seule bouteille. Les canettes et les boîtes de conserve se font déjà de plus en plus rares. Le verre ne passe pas par les centres de tri et le flux des nouveaux plastiques ne devra plus être trié, Citeo entendant se charger d'une forme de surtri. Dans ces conditions, la Cour des comptes risque, à raison, de nous montrer du doigt pour mauvais usage de l'argent public.

S'agissant de la coordination des compétences territoriales, la loi AGEC a permis quelques belles avancées, en particulier sur la police des dépôts sauvages. Elle offre désormais la possibilité de mettre les véhicules sous séquestre et d'utiliser des vidéos de caméras thermiques comme base d'une action en justice contre un contrevenant. Nous manquons toutefois d'une cartographie des dépôts sauvages qui permettrait un suivi de leur résorption.

Nous regrettons également que le texte de loi, qui, dans l'esprit, devait permettre, dès lors que le dépôt sauvage serait principalement constitué de déchets du bâtiment par exemple, de faire financer la résorption de ces dépôts par la REP correspondante, ne déclenche finalement ce processus que pour les dépôts sauvages de plus de 200 tonnes. Ce faisant, la loi exclut du financement par les éco-organismes la résorption de la quasi-totalité des dépôts sauvages de métropole et d'outre-mer. En dépit de quelques avancées, les communes restent esseulées en matière de résorption des dépôts sauvages, laquelle représente pourtant un coût considérable.

Aussi, nous préconisons d'abaisser le seuil du dépôt sauvage financé par la REP à une tonne. Tout dépôt sauvage constitué principalement de véhicules devrait être géré à terme par la REP véhicules hors d'usage (VHU), tout dépôt sauvage de pneus par Aliapur, tout dépôt sauvage d'ordures ménagères résiduelles par Citeo et tout dépôt sauvage de matériaux par Valobat (pour les produits du bâtiment) et Ecominero (pour les matériaux de construction d'origine minérale). Aujourd'hui, le scénario d'un contrevenant identifié et solvable qui financerait lui-même la résorption du dépôt sauvage dont il est l'auteur est extrêmement rare et illusoire.

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