Concernant la libre prestation de service et la localisation des prestataires financiers, selon moi, la réponse devrait être aussi simple que pour le système bancaire et les banques exerçant des activités transfrontières : quand une large partie de l'activité d'un prestataire s'exerce dans un autre pays de l'Union que celui où il est localisé, la surveillance de son activité ne devrait pas être assurée intégralement par le régulateur national : l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) doit jouer un rôle de supervision, en s'appuyant sur les autorités locales. Malheureusement, personne n'en veut, à part nous ! Si ce n'est pas possible, il faut faire autre chose, toujours dans le cadre européen : d'une part, l'ESMA assure une revue par les pairs d'un certain nombre de prestataires - son rapport public s'est avéré assez dévastateur pour le régulateur d'un État membre et une demande de mise à niveau de l'outil de supervision locale a été formulée - ; d'autre part, et c'est un axe sur lequel nous travaillons encore, il faut améliorer le partage d'informations et d'indicateurs, de manière à connaître l'activité en France de tel ou tel prestataire localisé ailleurs dans l'Union, ce qui est impossible aujourd'hui. L'autorité locale devrait transmettre ces indicateurs à chacun des pays concernés. Pourquoi l'absence de ces données est-elle problématique ? Parce qu'aujourd'hui, nous recevons des réclamations auxquelles nous sommes incapables de répondre ! Nous sommes obligés de renvoyer leurs auteurs à l'autorité de supervision locale, au médiateur et aux juridictions du pays de localisation. On avance lentement dans ce domaine, mais on avance tout de même.
Dans le domaine de la finance verte, la France est aux avant-postes, notre législation est très en avance par rapport à nos voisins, voire presque trop en avance. Cela peut certes poser des problèmes mais c'est aussi bien ainsi : c'est parce que certains sont en avance que le reste avance aussi. Autrement, si personne ne prend des initiatives, on est sûr qu'il ne se passera à rien.
Mon souci aujourd'hui, c'est que l'on a commencé par la fin pour construire le cadre européen. Pour être sérieux dans un tel domaine, il faut d'abord disposer d'informations fiables de la part des opérateurs, des émetteurs et des entreprises. C'est seulement sur cette base-là que l'on pourra construire quelque chose de solide. Or, on a un peu fait l'inverse en disant qu'il fallait faire du vert, sans se poser la question de ce qu'était le vert et des informations disponibles. Chacun fait donc ce qu'il peut.
On va y arriver, mais cela requiert un cadre non seulement européen, mais même mondial. Un gros point d'interrogation demeure quant à la position des États-Unis en la matière : notre homologue, la Securities and Exchange Commission (SEC) a reçu de nombreuses réponses négatives à ses propositions, qui disaient que cela coûterait trop cher, alors même que certaines entreprises se montrent plutôt allantes sur le sujet.
Plus largement, on manque de données fiables pour les émissions indirectes, par les fournisseurs et les sous-traitants, rassemblées dans le scope 3 : en leur absence, le bilan carbone d'une entreprise est complètement faussé, aucune comparaison n'est possible. On ne peut pas faire du scope 1 et du scope 2 sans scope 3. Par exemple, si on compare deux produits de deux entreprises, et que la première sous-traite la production à un fournisseur, alors elle sera mieux notée que la deuxième entreprise qui fabrique elle-même ses produits.
Surtout, il faut que les entreprises définissent les actions capables de les amener aux objectifs qu'elles se fixent, avec des points de passage. Sur ce point, des progrès sont à attendre avec la directive CSRD ; ces éléments pourront figurer dans les documents publics extra-financiers, en annexe des documents financiers, sur lesquels les assemblées générales se prononceront. Néanmoins, récemment, nous avons eu le sujet de l'inscription de certaines résolutions à l'ordre du jour des assemblées générales. Juridiquement, le droit des sociétés ne relève pas de l'AMF, nous ne pouvons donc pas imposer une inscription à l'ordre du jour. Un tel sujet, extrêmement structurant, relèverait plutôt de la représentation nationale.
Quant au turn-over des employés de l'AMF, il varie entre 8 % et 12 %, ce qui est assez faible par rapport à d'autres autorités administratives ou à des prestataires de services de marché. Nous embauchons prioritairement des gens qui ont déjà une expérience professionnelle ; ils passent généralement entre cinq et dix ans chez nous. Rester plus longtemps les exposerait à beaucoup d'incompatibilités pour exercer des fonctions chez d'autres acteurs. Que ces derniers embauchent des anciens de l'AMF contribue à la qualité de la place de Paris et à la bonne connaissance des réglementations. Ceux qui nous quittent le font toujours pour des postes valorisants, avec des rémunérations bien supérieures à ce que nous pouvons offrir. De fait, nous sommes aujourd'hui obligés de « junioriser » nos recrutements pour cette raison, alors même que nos salaires sont convenables par rapport à la fonction publique. Cela nous permet de recruter de nouvelles expertises adaptées à nos besoins et d'offrir de meilleures capacités de progression.
Concernant les conséquences de la chute de la Bourse pour les assurances vie, je ne disposerai des données chiffrées pertinentes pour le deuxième trimestre 2022 que la semaine prochaine, ce qui m'empêche de vous répondre quant à une éventuelle fuite des épargnants. Au premier trimestre, rien de tel n'avait été observé. Le CAC 40, dividendes réinvestis, a progressé de 32 % depuis ma nomination en 2017. Un investisseur patient n'est pas perdant, et c'est bien le cas des acheteurs de produits d'assurance vie.
Le volume des sanctions évolue de manière cyclique, car les enquêtes et les contrôles prennent beaucoup de temps, surtout si elles ont une dimension internationale. L'effet des confinements se fait encore sentir. Cela dit, je ne suis pas totalement satisfait des résultats de notre filière répressive : nous sommes assez bridés quant aux outils que nous pouvons mobiliser pour nos enquêtes. Je pense notamment aux données de connexion et aux visites domiciliaires. Quand la sanction est inférieure à ce que nous avions demandé, nous pouvons faire un recours principal et nous faisons systématiquement un recours incident quand tel est le cas et que la personne sanctionnée fait un recours principal. Mon premier souci est d'envoyer des messages aux marchés, de leur faire savoir que certaines pratiques sont inacceptables et que le Collège de l'AMF n'acceptera pas certains comportements.
Quant aux nouveaux produits financiers qui ne seraient pas assez réglementés, je pense notamment à la finance digitale. Certains produits ne devraient pas être commercialisés de la sorte mais on manque encore d'outils à ce niveau. La sophistication de certaines arnaques, avec des usurpations d'identité plausibles, me préoccupe fortement. Il nous faudrait également de meilleurs outils pour balayer les réseaux sociaux et détecter les conseils abusifs de certains influenceurs... L'élaboration de tels outils juridiques est délicate, nous examinons ce que font d'autres pays de l'Union européenne, ainsi que le Royaume-Uni. Le recours à l'intelligence artificielle, une fois le feu vert juridique reçu, sera crucial.