Intervention de Bernard Bonne

Commission des affaires sociales — Réunion du 12 juillet 2022 : 1ère réunion

Photo de Bernard BonneBernard Bonne :

rapporteur. – L’émotion légitime suscitée par la publication de l’ouvrage de Victor Castanet a conduit notre commission à mettre en place une mission d’information, dotée de pouvoirs d’une commission d’enquête, que vous nous avez confiée. Après avoir entendu 150 personnes au cours de 54 auditions en format rapporteur, auxquelles certains d’entre vous ont été très assidus, et 7 réunions de commission, nous allons aujourd’hui vous présenter nos conclusions et nos recommandations.

Au préalable, permettez-moi de dire ce que le rapport n’est pas.

Bien que notre mission tienne compte du contexte et s’en approprie certains éléments, il ne s’agit pas d’une commission d’enquête sur la gestion des Ehpad du groupe Orpea, ou sur le groupe Orpea lui-même. Sur ce sujet, le Gouvernement a diligenté une mission de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’inspection générale des finances (IGF). Nous tenons d’ailleurs à saluer la grande qualité du travail d’investigation des responsables de cette mission, et la clarté des réponses apportées à nos questions lorsque nous les avons auditionnés.

À la suite de la remise de leurs conclusions, le Gouvernement, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, a saisi le procureur de la République de Nanterre de faits susceptibles de caractériser les infractions d’abus de confiance, voire de détournement de fonds publics. Une enquête judiciaire a été ouverte.

Nos travaux ont été consacrés à la question du contrôle, au « contrôle du contrôle » et, plus largement, à l’analyse de la manière dont l’État et les autorités de tarification assurent le pilotage stratégique du secteur. Ils font apparaître quatre constats : les autorités de contrôle peinent à remplir leurs missions ; il existe un déficit de pilotage stratégique ; le pilotage par la qualité doit être développé pour redonner son attractivité au secteur ; les besoins pour l’avenir sont connus, et il faut désormais y répondre.

Commençons par analyser les difficultés rencontrées par les autorités de contrôle pour remplir leurs missions.

Dans l’affaire Orpea, les limites de la réglementation ont été mises en exergue dès les premières révélations. Elles ont été confirmées par l’enquête de la Cour des comptes et par le rapport de la mission IGAS-IGF. Certaines pratiques ne font l’objet d’aucun contrôle réel et sérieux, comme la gestion des flux financiers au sein des groupes multi-gestionnaires d’Ehpad ; dans d’autres cas, comme le contrôle de la section hébergement, les autorités de contrôle ont été désarmées.

Notre première recommandation sera d’étendre la campagne de contrôle annoncée par le Gouvernement à tous les groupes privés lucratifs. Le rapport IGAS-IGF montre l’importance de ces contrôles, à un niveau agrégé, sur un certain nombre de sujets : remises de fin d’année, constitution d’excédents, recrutement, imputations budgétaires. Il n’est plus suffisant de contrôler les établissements : il faut aussi contrôler les groupes. Cette mission doit être confiée à l’IGAS et à l’IGF, dans l’attente d’une évolution de la réglementation qui organiserait ce contrôle en routine.

Le contrôle des groupes doit être conçu comme un dialogue régulier avec les autorités. Nous proposons la conclusion d’une convention pluriannuelle d’objectifs entre ces groupes privés et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).

Pour mettre en place ces contrôles ainsi que cette nouvelle convention, nous proposons de débuter par une contractualisation avec les groupes privés lucratifs ; elle a vocation à être étendue à tous les groupes intervenant dans le secteur des Ehpad.

Ce cadre général une fois posé, nous le complétons avec plusieurs mesures concrètes visant à mieux encadrer l’activité des groupes privés.

Les flux financiers entre les établissements et le siège des groupes doivent être encadrés, notamment les frais de siège et les excédents budgétaires.

Le recours à prélèvements au titre des frais de siège constitue un mode d’organisation classique et n’est pas propre au secteur médico-social. Cette possibilité est déjà encadrée par le code de l’action sociale et des familles, qui la subordonne à l’octroi d’une autorisation. Nous proposons de plafonner les prélèvements qui peuvent être effectués au titre des frais de siège.

La seconde catégorie de flux financiers sur laquelle l’affaire Orpea attire l’attention est celle de la constitution d’excédents budgétaires. Depuis la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV), les éventuels excédents sont laissés à la disposition des établissements. Ces excédents sont nécessaires pour leur permettre de dégager une capacité d’autofinancement. Pourtant, la mission IGAS-IGF constate que la gestion de ces excédents est mal appréhendée par l’État. Nous proposons alors de plafonner leur montant et de définir la durée durant laquelle ils peuvent être utilisés.

Enfin, il nous semble indispensable de procéder au contrôle de la section hébergement. Dans le prolongement des échanges que nous avons eus en février dernier avec le Premier président de la Cour des comptes, il convient d’élargir les compétences de la Cour et des chambres régionales des comptes au volet hébergement des établissements et services médico-sociaux.

Ces évolutions, qui nous semblent indispensables, doivent être complétées par des mesures d’ajustement tout aussi essentielles.

L’assouplissement du cadre réglementaire mis en place par la loi ASV a été mis à profit par certains acteurs pour optimiser leurs présentations budgétaires et leurs résultats. Ainsi, en 2016, les effectifs des agents des services hôteliers émargeaient à 70 % sur le budget hébergement et 30 % sur le budget dépendance ; les effectifs des aides-soignants émargeaient à 30 % sur le budget dépendance et à 70 % sur le budget soins. Depuis la réforme, certains établissements financent des effectifs des services hôteliers à plus de 30 % sur la section dépendance et font financer les effectifs des aides-soignants à plus de 70 % sur le budget soin. Cela leur permet de dégager une marge sur la section hébergement qui n’apparaît pas dans les documents transmis par les établissements non habilités à l’aide sociale.

Le rapport IGAS-IGF relève, d’une part, des difficultés d’interprétation des textes dont auraient pu bénéficier les acteurs pour optimiser l’affectation des dépenses, et, d’autre part, l’existence de pratiques différentes suivant les agences régionales de santé (ARS). Il nous semble donc nécessaire de demander à l’État de clarifier les règles d’imputation des dépenses de personnel entre les différentes sections tarifaires.

Enfin, comme l’ont indiqué les personnes auditionnées, le régime des sanctions à mettre en œuvre est complexe. La mission IGAS-IGF consacrée à la gestion des établissements du groupe Orpea suggère de prononcer des sanctions financières directement à l’encontre des groupes, plutôt que d’engager une procédure à l’encontre de plusieurs de leurs établissements. Cette solution est conforme à l’organisation fortement centralisée du groupe Orpea et aux pratiques qui sont sanctionnées.

Dans ce cas précis, à savoir une utilisation des fonds publics non conforme à la réglementation, la mission IGAS-IGF considère que deux procédures s’offrent aux pouvoirs publics pour prononcer des sanctions à l’encontre du groupe : la récupération des financements publics employés à un objet différent de celui qui est prévu par les textes, ou des sanctions financières.

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