Monsieur le sénateur Bilhac, je suis depuis fort longtemps convaincu, comme l'était Pierre Mendès France, que « les comptes en désordre sont la marque des nations qui s'abandonnent ».
D'ailleurs, je m'inscris en faux contre les propos de M. Segouin : la Cour des comptes ne découvre pas le problème de la dette publique aujourd'hui. Il s'agit bien au contraire d'un sujet de préoccupation pour notre institution depuis des décennies. Philippe Séguin comme Didier Migaud, pour ne citer qu'eux, n'étaient pas, me semble-t-il, totalement indifférents à ce problème. De notre point de vue, la dette publique a toujours été et demeure l'ennemie de l'économie et des services publics. C'est un fait établi : la hausse de la dette réduit les marges de manoeuvre de notre pays.
Pour faire face à la crise liée à l'épidémie de covid-19, la France a mené une politique comparable à celle des autres pays. En revanche, la situation de ses finances publiques était initialement plus dégradée, ce qui explique les difficultés actuelles.
Il faudra à plus ou moins court terme réduire les divergences en matière de dette publique entre les différents pays de la zone euro. Je ferai observer que notre dette est de 40 points supérieure à celle de l'Allemagne, et que cet écart n'est pas tenable dans le temps.
Madame Lavarde, le Haut Conseil des finances publiques n'a pas encore élaboré de prévisions en matière de déficit public. Si j'ai cité le chiffre de 5,6 % du PIB, c'est parce qu'il correspond aux hypothèses de la plupart des experts que nous avons entendus. Si ce niveau de déficit était atteint, cela représenterait 15 milliards d'euros de plus que ce que prévoit le Gouvernement. Les incertitudes portent pour l'essentiel sur les recettes et le niveau de la croissance, notamment sur les perspectives de croissance potentielle, qui nous semblent un peu optimistes dans ce texte.
Un certain nombre d'entre vous ont abordé la question de la fiscalité. Celle-ci ne constitue pas le coeur de métier de notre institution, et c'est pourquoi je vous invite à consulter les excellents travaux du Conseil des prélèvements obligatoires à ce sujet. En ce qui nous concerne, nous faisons simplement le constat d'une baisse notable des impôts au cours du précédent quinquennat - 50 milliards d'euros -, trajectoire qui réduit incontestablement notre capacité à réaliser de nouvelles baisses d'impôts « sèches ». Toute nouvelle baisse devrait, me semble-t-il, être gagée, soit par une hausse des recettes, soit par une baisse des dépenses d'un même montant.
Je dirai un petit mot de la suppression de la redevance audiovisuelle : il me semble qu'il faudrait prévoir un dispositif de contrôle permettant de garantir la pérennité de cette manne financière.
Concernant les collectivités locales, il n'est peut-être pas indispensable de reproduire les recettes du passé : la baisse des dotations, appliquée entre 2014 et 2017, est une mesure certes efficace, mais brutale et aveugle ; les contrats de Cahors, quant à eux, ont fait l'objet de nombreuses contestations. En matière de finances locales, il conviendrait sûrement que l'État et les collectivités dialoguent davantage et conviennent d'un nouveau mécanisme dans le cadre de la Conférence nationale des finances publiques.
Je précise par ailleurs que le remboursement des subventions versées à notre pays au titre du plan de relance européen, qui s'élèvent à 75 milliards d'euros, figure dans les engagements hors bilan de l'État et que ce montant n'entre pas de ce fait dans le calcul du ratio de dette publique.
Autre précision, la dette des hôpitaux atteindra environ 30 milliards d'euros en 2022. Les mesures du Ségur de la santé représentent 6 milliards d'euros de dépenses d'investissement, tandis que le plan de relance contribue à cet effort à hauteur de 1,4 milliard d'euros.
Puisque plusieurs commissaires m'ont interrogé à ce sujet, je leur confirme que la remontée des taux d'intérêt constitue un risque pour nos finances publiques. Il est regrettable que notre pays n'ait pas davantage profité de cette période marquée par des taux d'intérêt bas. Les effets de la hausse des taux d'intérêt n'affectent pas encore le niveau de notre dette, ce qui doit constituer une réelle source d'inquiétude pour notre pays. D'après l'Agence France Trésor, une augmentation de 100 points de base de l'ensemble des taux d'intérêt renchérirait la charge de notre dette de près de 30 milliards d'euros à l'horizon de dix ans, ce qui affaiblirait davantage encore nos marges de manoeuvre.
Les économies proposées par la Cour des comptes ne ciblent pas uniquement les dépenses des administrations sociales, comme je l'ai entendu. Monsieur le sénateur Bilhac, je vous rassure, nous ne préconisons pas le recours à des coups de « rabot », car il s'agit d'une méchante manière de réduire les dépenses publiques. Pour nous, la solution consiste plutôt à réformer les politiques publiques : nous pourrions être plus performants dans les domaines de l'école et de la santé sans dépenser plus. Nous pourrions aussi améliorer l'efficacité des dépenses publiques en matière de logement, notamment de logement social.
Concernant l'évaluation des niches fiscales, je répondrai que c'est un exercice auquel nous nous livrons régulièrement, notamment les niches relatives à l'outre-mer, l'environnement, le logement, ou les dépenses au titre du crédit d'impôt recherche, dont la réforme n'est pas taboue.
Je répondrai à M. Lefèvre que, dans son rapport annuel de 2021, la Cour a consacré un chapitre au surendettement des ménages. Elle y avait conclu que la crise n'avait pas eu de conséquences remarquables sur l'endettement des Français. Il nous semble que le dispositif de lutte contre le surendettement géré par la Banque de France, simplifié récemment, fonctionne plutôt bien.
J'en viens aux douanes. Environ 700 douaniers ont été recrutés - ce qui était nécessaire, car cette administration avait été assez durement taxée - pour faire face aux conséquences du Brexit et lutter contre les attentats. Il faut rendre hommage à nos douaniers, qui sont à la fois une force économique et une force de sécurité indispensable.
En matière de sécurité intérieure, les dépenses de masse salariale ont progressé de 11 % pour la police nationale et de 7 % pour la gendarmerie - c'est la plus forte hausse au sein de la gestion publique de l'État. Quelque 5 654 policiers et 1 900 gendarmes ont ainsi été recrutés. Pour autant, et c'est le paradoxe, ces chiffres ne se traduisent pas par une présence accrue sur le terrain ou par une amélioration du taux d'élucidation des affaires. Le rapport que nous avons consacré à cette question montrait que la gestion des ressources humaines, en particulier dans la police nationale, pouvait être substantiellement optimisée.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, la réponse rapide que je souhaitais apporter à vos nombreuses questions, toujours intéressantes. Je me réjouirais de revenir devant vous pour présenter l'avis du Haut Conseil des finances publiques sur le programme de stabilité. J'aurai également l'occasion de débattre avec vous de la loi de programmation des finances publiques, dont nous devons tous avoir une approche exigeante, ainsi que du projet de loi de finances et de vous présenter les travaux que nous faisons avec plaisir et dévouement à la demande de votre commission.
Pour conclure, nous sommes en situation d'alerte et nous avons un devoir d'action. La situation compliquée dans laquelle nous sommes ne doit pas nous dispenser d'agir. Les défis et les dangers auxquels fait face notre pays sont d'une ampleur exceptionnelle, et le cumul des crises est sans précédent ; nous devons faire preuve de courage et de vigilance.
Le rôle de la Cour n'est pas de préconiser des mesures. Nous ne nous prenons pas pour ce que nous ne sommes pas : nous ne sommes ni l'exécutif, ni le législatif, ni d'ailleurs le pouvoir judiciaire. Nous ne sommes pas un contre-pouvoir : nous sommes une institution de la République qui a un rôle très particulier, celui de l'information du citoyen, et qui le fait à équidistance entre le Gouvernement et le Parlement, en étant très attachée à sa coopération avec les parlementaires. Vous m'avez interrogé sur le ton employé : tout le monde n'a pas la voix de Philippe Séguin, mais nous pouvons essayer d'avoir la même force d'expression avec des mots et un ton différents.