Intervention de Laurent Lafon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 juillet 2022 à 8h35
Incidents survenus au stade de france le 28 mai 2022 — Examen du rapport d'information

Photo de Laurent LafonLaurent Lafon, président de la commission de la culture :

Le 28 mai 2022, les images relayées par les chaînes de télévision et les réseaux sociaux faisaient apparaître des scènes de chaos autour du Stade de France qui accueillait alors la finale de la Ligue des Champions de l'Union européenne des associations de football (UEFA).

Les multiples difficultés rencontrées ce soir-là n'ont pas empêché la tenue du match ni la remise du trophée. Toutefois, elles ont soulevé de graves interrogations sur la capacité de la France à organiser de grands événements sportifs, notamment dans la perspective de la Coupe du monde de rugby de 2023 et des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

La gravité des faits justifiait pleinement que le Sénat se saisisse de la situation et organise des auditions dans les meilleurs délais. Je remercie le président Buffet d'avoir accepté que nous menions ce travail en commun afin que les compétences de nos deux commissions s'ajoutent, favorisant ainsi une analyse globale des difficultés rencontrées.

Les zones d'ombre qui sont apparues à l'occasion de l'audition des ministres de l'intérieur et des sports ont justifié l'organisation d'auditions complémentaires qui ont été précieuses. Nous avons aujourd'hui une vision assez claire de ce qu'il s'est passé.

Cet échec a été avant tout le résultat d'un enchaînement d'événements et de dysfonctionnements qui ont donné lieu à un affaiblissement des dispositifs mis en place ainsi qu'à des pertes de contrôle de la situation avant le match, puis à l'issue de celui-ci. Les modalités des prises de décision comme l'organisation hiérarchique administrative n'apparaissent pas clairement à ce stade.

Les travaux menés par les commissions de la culture et des lois ont permis d'établir que les dispositifs mis en place comportaient des défaillances importantes concernant le renseignement. Ainsi, si les hooligans attendus étaient absents, un grand nombre de délinquants étaient présents. De plus, les voies d'acheminement des supporters ont été mal préparées, comme en témoigne notamment la suppression d'un parcours de délestage aux abords du stade. Une communication insuffisante entre les acteurs a également été constatée.

Contrairement à ce qu'affirme le préfet Michel Cadot, délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop) et délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges), dans son rapport, concernant en particulier le dispositif de sécurisation, ce n'est pas seulement « dans l'exécution que les problèmes sont survenus ». En amont, les scénarios de crise ont été insuffisamment travaillés et n'ont pas fait preuve de la souplesse nécessaire face à la multiplication des événements non anticipés. Par ailleurs, il est injuste d'avoir voulu faire porter aux supporters de l'équipe de Liverpool la responsabilité des troubles intervenus, comme l'a fait le ministre de l'intérieur pour détourner l'attention de l'opinion publique de l'incapacité de l'État à gérer adéquatement la foule présente et à juguler l'action de plusieurs centaines de délinquants violents et manifestement coordonnés.

Les événements du Stade de France sont un coup de semonce qui ne devrait pas remettre en cause la capacité de la France à organiser de grands événements sportifs, à condition toutefois que les acteurs concernés, dont le Gouvernement, en tirent les nécessaires leçons. L'importance des événements sportifs internationaux attendus en France en 2023 et 2024 peut permettre de transformer cet échec collectif en opportunité pour réussir les échéances à venir. C'est bien sûr l'état d'esprit dans lequel nous nous trouvons.

À titre liminaire, il importe de rappeler que le déroulement de la compétition au sein même du Stade de France n'a connu aucune difficulté particulière. Malgré les délais réduits accordés pour organiser l'événement et un agenda chargé de manifestations, l'enceinte a été préparée par le consortium du Stade de France pour répondre aux attentes de l'UEFA. La pelouse a été changée en 48 heures pour répondre aux standards internationaux.

Le décalage du coup d'envoi a été décidé pour répondre au problème d'acheminement du public depuis l'extérieur du stade. Il n'y a pas eu d'incident notable de sécurité à l'intérieur de l'enceinte - les incidents ayant eu lieu à l'extérieur de celle-ci. Si un certain nombre de personnes ont pu s'introduire dans le stade sans billet, leur présence n'a pas eu de conséquence sur le déroulement du match et, lorsque cela a été possible, ces personnes ont été évacuées au cours de la rencontre.

Les travaux menés ont permis d'établir que la gestion de la billetterie par l'UEFA a été inadaptée. Certes, l'émission de billets sous format papier ne constituait pas en elle-même une situation exceptionnelle et cette possibilité était conforme à la réglementation. Ceci étant dit, il était connu que le recours à ce type de billet aurait pour conséquence un risque important de fraude et de circulation de faux billets. Or l'UEFA ne semble pas avoir mis en place de dispositif particulier pour identifier l'ampleur de ce problème en amont alors que le nombre de faux billets a été dix fois supérieur aux moyennes observées habituellement. Si la fausse billetterie a manifestement contribué aux dysfonctionnements, elle n'en a été en aucun cas la cause unique, ni même la cause principale.

Par ailleurs, en exigeant l'instauration d'un contrôle de la validité des billets au niveau des points de préfiltrage de sécurité dans le cadre du dispositif antiterroriste, l'UEFA a involontairement participé au blocage des points de contrôle, compte tenu notamment du nombre plus important que d'habitude de personnes dépourvues de billets.

Il faut noter également l'insuffisance du dispositif de traitement des litiges concernant la billetterie, qui a conduit les personnes éconduites à stationner devant les points de filtrage, ainsi que la formation défaillante des stadiers qui ont semblé rapidement dépassés par la situation. Enfin, les modalités de vérification des billets ont également fait débat, l'utilisation de stylos pour marquer les billets et le dispositif de vérification des billets électroniques n'ayant pas été considérés comme suffisamment pratiques.

Dans ces conditions, notre première recommandation est de rendre obligatoire le recours à des billets infalsifiables, c'est-à-dire électroniques, associé à des dispositifs de contrôle fiables pour les compétitions de football aux enjeux les plus importants. Nous préconisons également de prévoir systématiquement un service de règlement des litiges de billetterie ainsi qu'un dispositif d'aide pour les personnes ne pouvant recourir à ce type de billet.

Afin de pouvoir résoudre les difficultés en temps réel, nous proposons - il s'agit de notre recommandation n° 2 - d'exiger des organisateurs qu'ils informent en temps réel, par mail, SMS, messagerie, les détenteurs de billets des modalités d'accès au Stade de France, des événements imprévus et des modifications décidées par les autorités lorsque surviennent des difficultés.

Enfin, nous estimons nécessaires une meilleure formation des stadiers et une amélioration de l'articulation entre les stadiers et les forces de l'ordre. C'est notre recommandation n° 3.

Le plan de mobilité des supporters a en outre été pris en défaut. Sa préparation relevait principalement de la compétence de la Fédération française de football (FFF), l'enjeu étant de prendre en charge les supporters depuis les frontières jusqu'aux abords du stade. Ce plan de mobilité a rencontré deux difficultés majeures - les reports de voyageurs du RER B vers le RER D et l'absence de voies de délestage à la sortie de la gare du RER D - dont les effets se sont cumulés pour aboutir à une situation de crise. Alors que les prévisions concernant la grève du RER B prévoyaient un maintien du service à 80 % de ses capacités, la FFF soutient que les déports de la ligne B à la ligne D ont été aggravés par des messages diffusés dans les gares par les transporteurs dans l'après-midi du 28 mai indiquant de ne pas utiliser la ligne B. Ces annonces, qui n'étaient pas prévues par le plan de mobilité, mais semblent avoir été validées lors d'une réunion à laquelle la FFF n'a pas été associée la veille du match, le 27 mai, auraient eu pour effet de saturer la ligne D dont le trafic a plus que doublé.

La suppression de l'interconnexion à la gare du Nord a constitué une difficulté supplémentaire dissuadant nombre de supporters, notamment anglais, de poursuivre leur trajet avec le RER B et favorisant les reports sur la ligne D.

Le démontage, à la demande de la Direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police, le 23 mai, de la signalétique installée par la FFF à la sortie de la gare du RER D du Stade de France pour baliser un cheminement de délestage vers la gare du RER B sur la rue Francis de Pressensé à Saint-Denis a constitué la seconde difficulté majeure qui a fortement compliqué la gestion de la crise. Lorsque l'engorgement du cheminement au point de préfiltrage est intervenu, la seule solution possible a été la levée du dispositif de contrôle, ce qui a eu pour conséquence l'entrée de nombreux délinquants dans le périmètre restreint.

Nous pensons que le plan de mobilité des supporters aurait dû mieux prendre en compte les aléas - grèves, reports de flux - et prévoir des plans de rechange pour organiser des reports. Comme cela a été indiqué lors des auditions, si le délai de trois mois a permis d'organiser l'événement correctement, il n'a pas permis de travailler suffisamment les différents scénarios de crise. Dans ces conditions, nous recommandons que les différents acteurs concernés définissent conjointement un plan de mobilité des supporters en prévoyant les différents scénarios de crise nécessaires.

Nous insistons par ailleurs sur la nécessité d'organiser une communication en temps réel efficace sur les flux de supporters entre la Fédération française de football, la préfecture de police et les opérateurs de transports en commun et de veiller à une mise en oeuvre conjointe des décisions imposées par les événements imprévus. Il s'agit de notre recommandation n° 4.

Nous préconisons ensuite que le plan de mobilité des supporters organise les voies d'accès au stade en prévoyant systématiquement des cheminements de délestage suffisants ainsi que des voies d'évacuation pour les personnes rencontrant des difficultés. C'est notre recommandation n° 5.

Nous estimerions par ailleurs utile d'améliorer l'attractivité des abords du Stade de France afin d'inciter les spectateurs à venir plus tôt et à repartir plus tard et de mieux réguler les flux d'entrée et de sortie vers les transports. Il s'agit de notre recommandation n° 6. Plus généralement, nous demandons un rétablissement des effectifs d'agents publics dédiés à la circulation des flux piétons et automobiles autour du stade. De l'ordre de 90 il y a quelques années, ils ont en effet été progressivement réduits. Environ dix agents seulement étaient ainsi présents le 28 mai.

La prise en compte des supporters a été en outre insuffisante et obsolète. Les auditions des associations de supporters ont mis en avant une organisation de la sécurité du match fondée sur une vision datée des supporters britanniques, renvoyant aux hooligans des années 1980. Les responsables publics ont ainsi été presque exclusivement attachés à gérer sous l'angle du maintien de l'ordre les supporters anglais sans billet, qui ont une habitude connue de venir soutenir leur équipe pour profiter de l'ambiance du match à l'extérieur du stade. Les organisateurs se sont ainsi privés des moyens permettant d'acheminer les flux de spectateurs vers le stade ou de les divertir aux alentours de celui-ci ou à des endroits sécurisés en ville.

De manière plus générale, l'accueil des supporters dans un cadre festif a été négligé. Les fan zones ont été organisées tardivement et, s'agissant des supporters de Liverpool, loin du stade. L'interdiction de l'alcool à partir de 18 heures aux alentours du stade a contribué à leur arrivée tardive sur le site.

Enfin, l'accueil des supporters nécessite également de veiller à ce que leurs conditions de retour après le match soient bonnes. Les supporters espagnols ont déploré leur passage sur une passerelle assez étroite franchissant le canal, sans que personne ne soit présent pour réguler le flux, et le manque d'éclairage public alors que le sol était jonché de bouteilles cassées.

Tout ceci laisse à penser que l'expérience spectateur n'a pas été prise en compte par les organisateurs de l'événement.

Nous souhaitons donc que le regard des autorités publiques françaises sur les supporters évolue et que soient créées les conditions d'un dialogue permanent afin de faire de leurs représentants des partenaires dans le cadre de la préparation et du déroulement des grands événements. Le dialogue avec les supporters doit permettre de mieux partager les informations et de rendre plus efficaces les dispositifs mis en place. Il s'agit de notre recommandation n° 13.

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