Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République et la Première ministre m’ont fait un immense honneur en m’accordant leur confiance.
Alors que je m’exprime pour la première fois devant vous dans cet hémicycle, je tiens à vous assurer, et je parle également au nom de Mme la secrétaire d’État Laurence Boone, que je mesure pleinement la responsabilité qui est la mienne.
Je tiens aussi à vous assurer que je souhaite associer pleinement les parlementaires à l’action de mon ministère, en les informant régulièrement de nos travaux, en débattant avec eux, comme nous le faisons aujourd’hui, en leur rendant compte de nos résultats et de l’action de la diplomatie que je conduis sous l’autorité du Président de la République et de la Première ministre.
Je n’aurai dans mon action qu’un seul impératif et qu’une seule boussole : agir au service des Français. En effet, alors que les désordres du monde et les crises à répétition ne cessent d’affecter davantage leur quotidien, je veux défendre une politique étrangère qui contribue à apporter des réponses à leurs préoccupations.
Voilà l’esprit dans lequel j’entends travailler en tant que ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je tenais à vous le dire clairement d’emblée, avant de dresser, avec vous, le bilan de six mois de présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE).
Je me réjouis vraiment de ce débat, parce que, pour moi, parler d’Europe, c’est parler de notre souveraineté, de nos valeurs, de notre avenir et de notre capacité à garder, en tant que Français et en tant qu’Européens, notre destin en main ou, pour le dire autrement, à rester les auteurs de notre histoire collective, que personne d’autre ne doit écrire à notre place.
Nommée ministre au terme d’un parcours qui m’a menée, entre autres, de Rome, où fut signé le traité fondateur du 25 mars 1957, à Londres, capitale d’un pays qui a fait le choix de quitter l’Union européenne – c’est une décision que nous devons respecter, même si nous la regrettons –, je sais l’importance capitale pour l’avenir de nos nations et de nos peuples que revêt ce projet politique majeur, j’y insiste, qu’est l’Europe.
Dans ce contexte, je suis particulièrement fière de pouvoir affirmer que les résultats de ce semestre français à la tête de l’Europe sont historiques. Ils le sont par leur portée, mais aussi en raison des circonstances inédites dans lesquelles s’est déroulée cette présidence. Je pense bien sûr à la guerre que la Russie a déclenchée en Ukraine, au mépris de la souveraineté de ce pays, du droit international, de ses propres engagements et de la sécurité de notre continent.
Le 24 février dernier, le choix funeste de l’agression a signé le retour de la guerre sur notre continent, ce qui a bien sûr profondément marqué notre présidence. Nous avons cependant su y répondre collectivement en tant qu’Européens – il était de la responsabilité de la France d’y parvenir en tant qu’État présidant alors l’Union européenne –, sans pour autant, je vais y revenir, perdre le cap de ce que nous avions décidé d’accomplir, à savoir réaliser l’agenda ambitieux que nous nous étions fixé en amont de ces événements.
Ainsi, je crois pouvoir dire que l’Europe de juillet 2022 n’est plus celle de décembre 2021. Elle est plus forte, plus souveraine et plus unie. C’est bien sûr le fruit des travaux de fond que nous avons menés. C’est également la conséquence des urgences que nous avons eues à gérer.
Le premier volet de notre action sur lequel je veux insister concerne la réponse immédiate à la guerre que Vladimir Poutine a pris la responsabilité de déclencher le 24 février dernier, aux portes de l’Union.
L’Europe n’était sans doute pas préparée à affronter une mise en cause aussi brutale de l’ordre international et de ses propres intérêts stratégiques. Pourtant, elle a su réagir avec force et unité à une crise qu’elle a tenté de désamorcer par tous les moyens.
C’est l’honneur de notre pays que d’avoir mobilisé ses partenaires européens et internationaux pour y faire face. Nous l’avons fait à titre national, en prenant toutes nos responsabilités pour soutenir l’Ukraine dans une guerre qu’elle doit gagner. Il y va de son avenir, mais aussi du nôtre : c’est une nécessité pour que l’Europe retrouve la paix et que les principes sur lesquels nous avons bâti notre sécurité collective depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale soient respectés.
Nous l’avons également fait en tant qu’État assurant la présidence de l’Union. Sur l’initiative de la France, l’Europe s’est en effet mise à la hauteur des enjeux. En trois mois, elle a pris à l’encontre de la Russie une série de sanctions sans précédent, au service d’un objectif clair : faire comprendre à la Russie qu’elle a choisi une impasse et asphyxier le financement de son effort de guerre.
On a souvent coutume de reprocher à l’Union européenne sa lenteur ou son manque de réactivité. Or, en moins de quarante-huit heures, le premier paquet de sanctions était adopté à l’unanimité des Vingt-Sept. Et notre main n’a jamais tremblé par la suite, ce qui a permis d’adopter tous les autres « paquets » de sanctions, qu’elles soient individuelles, financières ou commerciales.
Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous en sommes aujourd’hui au sixième paquet de sanctions et nous maintiendrons, voire renforcerons, la pression autant que nécessaire.
Parce qu’il le fallait, les Européens ont aussi brisé ce qui était jusqu’ici un tabou majeur en Europe, en décidant de financer les armements, y compris létaux, dont l’Ukraine a besoin pour se défendre. Là encore, il n’a pas fallu attendre longtemps pour qu’une telle décision soit prise : dès le dimanche 27 février, par une activation de la facilité européenne de paix, mécanisme qui permet de dégager des ressources à cette fin, le message de l’Europe était très clair : le temps de l’innocence stratégique est révolu. L’Europe est prête à faire face et sait le faire.
Les pays européens ont également été au rendez-vous de la solidarité et de la fraternité, en accueillant les millions d’Ukrainiennes et d’Ukrainiens chassés par le conflit, auxquels a été accordée l’autorisation de se mettre à l’abri dans un pays de l’Union et de bénéficier de droits très concrets, comme le droit au logement, au travail, à la scolarisation des enfants et aux prestations de santé.
Pour ce faire, nous avons recouru pour la première fois à une directive de 2001 permettant d’accorder à ces personnes déplacées et à ces réfugiés ce que l’on appelle « la protection temporaire ».
Nous avons par ailleurs mis en place un très vaste pont logistique pour apporter à l’Ukraine l’aide humanitaire dont elle a besoin. Nous avons également soutenu la Moldavie voisine, directement touchée par les répercussions du conflit.
Nous avons enfin doté l’Union européenne des moyens de collecter des preuves sur les exactions et les crimes commis par l’armée russe en Ukraine, en renforçant le mandat d’Eurojust, l’agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale, parce qu’il ne saurait y avoir d’impunité en ce qui concerne les crimes de guerre. Ce travail indispensable est venu compléter l’engagement des États qui, comme le nôtre, ont soutenu et soutiennent encore le travail des autorités judiciaires ukrainiennes et de la Cour pénale internationale.
La réalité, c’est que ces circonstances inédites et tragiques ont confirmé à la fois la pertinence et l’urgence de l’agenda de souveraineté, auquel le Président de la République avait donné l’impulsion dès 2017, depuis l’amphithéâtre de la Sorbonne, et qui a constitué le fil d’Ariane de toute notre présidence.
Le deuxième volet de la présidence française de l’Union européenne a consisté à tâcher de tirer toutes les conséquences de la guerre en Ukraine pour continuer à renforcer notre souveraineté. Notre action a ainsi contribué à consolider l’indépendance, la sécurité et la stabilité de l’Europe.
Je voudrais dire quelques mots à ce sujet. Au sommet de Versailles, en mars dernier, l’Europe a affirmé sa volonté de rester maîtresse de son destin, c’est-à-dire pleinement libre de ses choix.
L’Union européenne veut rester libre de ses choix énergétiques. C’est l’ambition qui sous-tend la décision prise par les chefs d’État ou de gouvernement européens de sortir rapidement de notre dépendance au pétrole, mais aussi, car il le faudra également, au gaz russe. La France a pour sa part toujours considéré – il est inutile d’y insister – que son indépendance énergétique était indispensable pour garantir sa souveraineté et ne peut que se féliciter des choix qu’elle a réalisés par le passé.
Elle veut aussi rester libre de ses choix économiques. La politique industrielle européenne ne se réduit plus aujourd’hui au droit de la concurrence. Avec des programmes paneuropéens dans le domaine de la santé, de l’hydrogène ou encore des semi-conducteurs, nous bâtissons notre indépendance dans des domaines cruciaux pour notre avenir.
Du fait de crises qui, parfois, nous bousculent, soulignent nos vulnérabilités, et, de ce fait, nous poussent à réagir, la prise de conscience progresse jour après jour.
L’Europe ne peut pas être un grand marché de consommateurs qui achèteraient des produits fabriqués ailleurs. Si l’on veut être indépendant, il faut aussi être capable de produire soi-même, en particulier dans les secteurs critiques, mais pas seulement : chacun se souvient des difficultés qui étaient les nôtres à nous procurer ne serait-ce que des masques ou du gel hydroalcoolique au début de la pandémie de la covid-19.
Au sommet de Versailles, toujours au mois de mars dernier, l’Europe s’est mise à parler le langage de la puissance. C’est la condition de notre sécurité collective.
En effet, nous avons décidé de remédier au sous-investissement des Européens dans leurs capacités collectives et individuelles de défense et de nous doter d’une boussole stratégique, véritable « Livre blanc de la sécurité et de la défense européenne » pour les dix ans à venir. Celle-ci, adoptée par le Conseil européen des 24 et 25 mars derniers, fixe des objectifs très concrets, de sorte que l’Union européenne puisse conduire plus facilement des opérations plus efficaces, améliore sa résilience, investisse davantage dans sa défense et renforce encore sa coopération avec l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
Par ailleurs, au Conseil européen des 23 et 24 juin derniers, l’Union s’est affirmée comme une puissance de stabilité sur le continent. Il faut mesurer le caractère véritablement historique de la décision prise à l’unanimité par le Conseil européen d’octroyer à l’Ukraine et à la Moldavie le statut de candidat à l’Union européenne.
Pour aboutir à cette décision du Conseil européen, le Président de la République, le Chancelier allemand Scholz, le président du Conseil italien Draghi et le président roumain Iohannis se sont déplacés à Kiev, le 16 juin, à la veille de l’avis que devait rendre la Commission sur les demandes de ces pays. Ce déplacement a certainement contribué à forger un consensus.
L’Union européenne a fait le choix d’envoyer à l’Ukraine un message de solidarité vital pour elle, comme elle l’a fait pour la Moldavie, dont on sait qu’elle est fragile et exposée. Il était aussi dans notre intérêt stratégique d’agir ainsi – je veux le souligner devant vous –, car il n’y a plus de demi-mesure possible, dès lors que la Russie a décidé de se couper des principes du droit international et de s’isoler.
Pour autant, nous le savons tous : une fois ce statut de candidat reconnu, la perspective d’adhésion ne répond pas, à elle seule, au défi d’accueillir l’Ukraine et la Moldavie dans la famille européenne. Ni ces pays ni les nôtres ne peuvent attendre s’ils veulent renforcer une cohésion plus nécessaire que jamais.
C’est l’une des raisons pour lesquelles le Président de la République a proposé de créer une Communauté politique européenne.
Au sein de ce forum, qui ne se substituera pas aux organisations existantes que sont l’OTAN, le Conseil de l’Europe ou encore l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), nous pourrons non seulement développer des coopérations concrètes dans de nombreux domaines avec les pays candidats, mais aussi approfondir les discussions en matière de sécurité entre tous les pays européens qui partagent une même géographie et les mêmes valeurs.
L’organisation d’une première réunion des chefs d’État ou de gouvernement par la présidence tchèque, en octobre prochain, donnera le coup d’envoi de cette nouvelle communauté.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons bien sûr mis en œuvre cet agenda de souveraineté dans le cadre du programme législatif ambitieux que nous nous étions fixé à l’origine et que nous avons mené à bien dans tous les domaines. C’est le troisième volet de notre présidence.
La tentation aurait pu être grande de considérer qu’à partir du 24 février il n’y avait plus, pour les Européens, qu’un seul sujet : la guerre en Ukraine, ses conséquences et la manière d’y répondre. Nous avons au contraire estimé que cette guerre au cœur de l’Europe ne faisait que valider notre priorité : faire en sorte que l’Europe soit plus souveraine, plus unie et plus proche de ses citoyens.
Aussi, malgré la guerre, nous avons accéléré nos efforts.
Tout d’abord, nous avons agi dans le domaine de la transition écologique, qui est pour nous tous un impératif stratégique. L’accord obtenu entre les États membres au Conseil environnement du 28 juin, presque au terme de notre présidence, sur le paquet Climat – Fit for 55, comme on l’appelle souvent à Bruxelles –, est une avancée majeure, qui doit nous permettre, au sein de l’Union européenne, de réduire de 55 % – telle est en effet notre ambition – d’ici à 2030 nos émissions de CO2 par rapport à 1990.
Cet accord confirme que l’Europe entend continuer à être sur la scène internationale à l’avant-garde du combat pour répondre à l’urgence climatique. Car tout est lié : la transition écologique, qui contribue à réduire la dépendance de l’Europe vis-à-vis des énergies fossiles, est également indispensable pour que notre continent gagne en souveraineté énergétique.
Cet agenda écologique se traduira par des bénéfices concrets pour nos concitoyens dans leur vie quotidienne. Je pense, par exemple, à la mise en place de chargeurs uniques à compter de 2024 pour tous les smartphones, ordinateurs portables et autres objets connectés.
Cette mesure n’est pas anecdotique, parce que le fait d’utiliser un même chargeur pour tous les appareils certes facilitera notre vie quotidienne, mais aussi permettra d’éviter des milliers de tonnes de déchets électroniques chaque année – 11 000 tonnes selon les ONG.
Enfin, les États membres ont trouvé un accord en vue de mettre en place un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, pour que nos efforts écologiques ne viennent pas donner un avantage concurrentiel à ceux qui n’en font pas.