Intervention de Claude Kern

Réunion du 12 juillet 2022 à 14h30
Bilan de la présidence française de l'union européenne — Suite d'une déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Claude KernClaude Kern :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de sa conférence de presse du 9 décembre 2021, le Président de la République avait présenté un programme ambitieux pour la présidence française du Conseil de l’Union européenne, fondé autour de trois mots d’ordre : une Europe plus souveraine, une Europe plus humaine et une Europe fondée sur un nouveau modèle de croissance.

Malgré l’irruption sur notre vieux continent de la guerre, qui a bouleversé le programme que la France s’était fixé, les objectifs définis lors de la conférence du 9 décembre ont pour la plupart été atteints.

Nombre d’observateurs avisés qualifient donc cette présidence de « réussite », car 97 % des objectifs annoncés en décembre ont été atteints. Je pense premièrement à l’accord final sur les textes DMA et DSA, fournissant de nouvelles armes face aux GAFA. Ces deux textes permettront de mieux anticiper les dérives, les abus et les distorsions de concurrence des GAFA.

Les avancées sont réelles sur de nombreux thèmes, tout d’abord sociaux, grâce à l’accord trouvé sur la directive relative aux salaires minimaux adéquats ou celui sur la proportion de femmes dans les conseils d’administration des entreprises cotées en Bourse au sein de l’UE, qui devra atteindre 40 % à l’horizon de 2026.

Les avancées sont réelles également sur le thème de la consommation, avec la mise en place d’un chargeur unique et compatible avec toutes les marques de smartphones, de liseuses ou de casques.

Enfin, je salue les accords trouvés à la toute fin de la présidence française sur les cinq textes phares du plan climat, ayant pour but de réduire de 55 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.

Le tournant qu’a connu votre présidence à partir du 24 février dernier a permis de donner du corps à l’idée française de souveraineté stratégique. L’autre succès à mettre à votre crédit est le maintien de l’union des 27 États membres face à la mise en place des sanctions contre la Russie.

Les Vingt-Sept ont fait preuve de solidarité avec l’Ukraine en sanctionnant Moscou à six reprises, avec des embargos sur le charbon, le gaz et le pétrole. Ils ont également acté les livraisons d’armes à Kiev via la Facilité européenne pour la paix. L’Union européenne a offert un refuge aux Ukrainiens fuyant les bombes russes, grâce à l’activation d’un mécanisme d’accueil d’urgence, utilisé pour la première fois depuis sa création, voilà vingt ans.

C’est également dans ce contexte de guerre aux portes de l’Union européenne que les États membres ont réussi à trouver un accord, le 25 mars, sur leur boussole stratégique en matière de défense. L’accord initial a d’ailleurs été « musclé », au regard des événements auxquels notre continent fait face.

L’un des enjeux derrière ce projet était de parvenir à définir un consensus entre les 27 États membres de l’Union européenne, tant sur la perception des menaces pesant sur leur sécurité que sur les moyens d’y faire face ensemble.

En raison de leur histoire, les pays européens disposent de cultures stratégiques différentes et n’ont pas nécessairement la même analyse des menaces et des priorités en matière de sécurité et de défense. La boussole stratégique consiste donc à identifier les priorités sur lesquelles les Européens sont prêts à s’investir collectivement, à la fois sur le plan géopolitique et en termes opérationnels.

Ce texte, qui sera notre fil conducteur de la politique de sécurité et de défense européenne jusqu’en 2030, constitue donc une véritable avancée pour un esprit européen de la défense.

Enfin, nous avons accordé à l’Ukraine et à la Moldavie le statut de pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne, le 23 juin, dans un délai particulièrement court. Je me félicite de cette décision – signal fort envoyé autant à la Russie qu’à l’Ukraine et à son peuple –, même si, personnellement, je ne suis pas un adepte de l’élargissement trop rapide. Je regrette qu’il n’ait pu en aller de même pour la Géorgie, mais je pense que nous en reparlerons…

La guerre en Ukraine a replacé la sobriété énergétique au sommet des priorités. À ce titre, la question énergétique est en tête des objectifs de la République tchèque, qui occupe la présidence tournante de l’Union européenne depuis le 1er juillet.

Dès le sommet des chefs d’État et de gouvernement de Versailles, qui s’est tenu en mars 2022, la question de l’énergie avait été centrale et les États s’étaient engagés à réduire notre dépendance énergétique, tout en maintenant l’objectif de neutralité climatique d’ici à 2050.

Presque quatre mois après ce sommet, les inquiétudes demeurent. L’invasion de l’Ukraine a un lourd impact sur l’augmentation des prix énergétiques, et l’action perturbatrice de la Russie sur le marché du gaz contribue également à l’augmentation du prix des denrées alimentaires et des matières premières. Les conclusions du dernier Conseil européen sur ce sujet ne sont pas rassurantes. De nombreux constats ont été dressés et plusieurs pistes pour atténuer la hausse des prix énergétiques étudiées, sans que certaines soient définitivement arrêtées.

Alors que les réductions de livraison de gaz russe aux pays de l’Union européenne s’enchaînent, près de 12 États sont désormais touchés par des coupures unilatérales de gaz de la part de la Russie. L’Allemagne restant dans une totale incertitude quant à la réactivation de son gazoduc Nord Stream, nous sommes incapables de proposer des solutions efficaces et efficientes.

La seule avancée que nous pouvons saluer à ce stade est la décision du Parlement européen du 6 juillet dernier d’inscrire le nucléaire et le gaz parmi les énergies « vertes » dans l’Union européenne, afin d’attirer dans ces secteurs les investissements publics et privés.

On nous dit que la Commission travaille à un plan d’urgence de réduction de la demande d’énergie, sans être en mesure, semble-t-il, d’arrêter des décisions.

Dès lors, plusieurs questions s’imposent à nous. Quelles pistes seront privilégiées par la France, notamment le 26 juillet prochain, lors du sommet des ministres de l’énergie ? Comment éviter une fragmentation de nos 27 États membres sur cette question ? Quelles actions sont menées pour nous préparer dès maintenant à une réduction, voire à une coupure complète des approvisionnements russes cet hiver ?

Les réductions de livraison de gaz vers l’Europe opérées au cours des dernières semaines par Moscou laissent craindre le pire. Elles doivent nous inciter à nous préparer dès maintenant à une rupture complète de l’approvisionnement. En cas d’interruption totale, un rationnement pourrait être prononcé dès cet hiver, ce qui entraînerait une destruction de la demande aux conséquences désastreuses pour nos économies.

Dès lors, deux questions se posent. Quels nouveaux partenaires l’Union européenne favorisera-t-elle pour sécuriser ses apports ? Les objectifs de neutralité carbone sont-ils toujours tenables dans ce contexte ?

Par ailleurs, la présidence française de l’Union européenne a enfin vu aboutir la Conférence sur l’avenir de l’Europe, avec un an de retard, crise sanitaire oblige. Cet exercice inédit de réflexion et de débat sur l’avenir de l’Europe, largement encouragé par la France et plus particulièrement par le président Macron, a fait émerger 49 propositions pour rapprocher les institutions européennes des citoyens.

Si, lors de la remise du rapport, le 9 mai dernier, un élan s’était fait ressentir, le sujet n’a été que brièvement abordé au dernier Conseil européen, ne laissant pas présager d’évolutions rapides. Les députés européens avaient pourtant voté une résolution saluant et approuvant ces conclusions, et le travail de cette Conférence sur l’avenir de l’Europe avait été salué par la présidente Ursula von der Leyen.

L’évolution de nos institutions est une nécessité pour répondre aux défis auxquels l’Union européenne est confrontée.

Quels leviers allez-vous activer, madame la ministre, pour soutenir la volonté de mettre fin à la règle de l’unanimité pour certaines décisions prises au sein du Conseil de l’Union européenne, par exemple en matière budgétaire, fiscale ou concernant la politique étrangère et de sécurité commune ?

Ce mode de vote très lourd peut freiner l’action de l’Union européenne. L’idée de le remplacer par un système de vote à la majorité qualifiée pour une partie des décisions prises jusqu’ici à l’unanimité sur des domaines précis paraît inéluctable, surtout si l’Union européenne continue d’accueillir de nouveaux États membres.

Soyez assurée, madame la ministre, que nous resterons très attentifs aux suites qui pourront être données à ces sujets.

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