Intervention de Didier Marie

Réunion du 12 juillet 2022 à 14h30
Bilan de la présidence française de l'union européenne — Suite d'une déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Avant toute chose, madame la ministre, je vous souhaite la bienvenue au Sénat et vous assure de l’engagement européen sans faille de mon groupe.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sortons de six mois de présidence française du Conseil de l’Union européenne et nous restons quelque peu sur notre faim, malgré des avancées notables sur lesquelles je reviendrai.

Cette présidence, que M. Emmanuel Macron voulait exceptionnelle pour l’Europe, pour la France et, peut-être aussi, pour sa campagne électorale, l’aura été, mais pour une tout autre raison. En effet, le 24 février, la Fédération de Russie déclenchait la guerre, que certains n’avaient pas voulu voir venir, et agressait sauvagement l’Ukraine.

Cette nouvelle donne géopolitique a confirmé, comme la crise sanitaire avant elle, la capacité des Européens à réagir rapidement, efficacement et en restant unis, ce qui a pu susciter la surprise de nombreux observateurs extérieurs, à commencer par les Russes.

Cette situation a levé les réticences de certains États membres à l’égard des objectifs stratégiques d’autonomie et de souveraineté européennes, devenus centraux et naturels. Du jour au lendemain, le terrible imprévu de la guerre a joué un rôle moteur et permis des avancées dans de nombreux domaines. Paradoxalement, M. Vladimir Poutine aura fait plus pour l’Europe en quelques semaines que les dirigeants européens au cours des dernières années.

La solidarité des Vingt-Sept avec l’Ukraine n’a eu aucune difficulté à s’imposer et s’est concrétisée par un soutien humanitaire, économique et militaire massif. Nous saluons à cet égard la décision de conférer le statut de protection temporaire aux 4, 7 millions de réfugiés ukrainiens, tout en nous interrogeant sur les suites qui lui seront données en cas d’enlisement du conflit.

De même, nous nous félicitons de la mise en œuvre, pour 2 milliards d’euros, de la Facilité européenne pour la paix, qui a permis de fournir les armes défensives nécessaires à la résistance ukrainienne.

L’unanimité s’est aussi rapidement faite pour décider des six trains successifs de sanctions visant à faire pression sur les dirigeants et à assécher les sources de financement de l’effort de guerre russe, sans, malheureusement, que cela produise à ce jour les effets escomptés.

De même, les orientations de la boussole stratégique ont été adoptées, actant un réinvestissement militaire. Mais, faute d’anticipation, elles le sont sous parapluie américain, au sein d’une OTAN renforcée, organisation que le Président de la République estimait pourtant « en état de mort cérébrale ». Reste à savoir qui en sera bénéficiaire : la défense européenne, ou seulement les États-Unis et leur industrie d’armement ?

Cette recherche de souveraineté et d’autonomie s’est aussi imposée dans le champ de l’énergie, l’Europe, dépendante des hydrocarbures russes, s’accordant sur le boycott du charbon et du pétrole, mais échouant malheureusement à se mettre d’accord sur un embargo du gaz.

Pour le reste, la France a accompli le travail normal d’une présidence ; endossant le costume de médiateur, elle a pu faire progresser les textes législatifs.

Au nombre des satisfactions, on peut noter, comme vous l’avez fait, madame la ministre, l’accord sur le numérique, avec l’adoption du DMA et du DSA, la réciprocité de l’accès aux marchés publics au sein du commerce international, l’adoption du salaire minimum, l’équilibre entre femmes et hommes dans les conseils d’administration des grandes entreprises ou des progrès sur l’intelligence artificielle.

D’autres succès ont été mis en avant, mais, en examinant ces accords de plus près, nous restons circonspects. Je pense au paquet climat, avec un fonds social pour le climat rétréci, à l’espace Schengen sur les aspects défensifs, aux droits sociaux et à d’autres sujets que mon collègue Jean-Yves Leconte évoquera.

Enfin, notons les échecs, en particulier celui qui concerne la taxation des grandes entreprises à hauteur de 15 % de leurs bénéfices et celui de la réforme du marché de l’électricité, toujours indexé sur le cours du gaz. Remarquons que rien n’a été engagé face à la menace de stagflation et qu’aucune feuille de route n’a été dressée pour un agenda rural, comme le demande la résolution du Sénat dont mon ami et collègue Patrice Joly est à l’origine.

Avant de conclure, madame la ministre, permettez-moi quelques mots sur l’avenir de l’Europe.

Nous nous félicitons que l’Ukraine et la Moldavie aient obtenu le statut de pays candidats à l’Union européenne et que la Géorgie n’ait pas été ignorée. Nous saluons l’initiative à l’égard des Balkans occidentaux, les rassurant sur leur avenir européen. Nous notons avec satisfaction la levée du veto à l’engagement des négociations avec la Macédoine du Nord par le Parlement bulgare, même si cela reste à confirmer.

Toutefois, s’il est opportun d’avancer dans le processus d’élargissement à ces pays que les pressions extérieures menacent, rappelons que celui-ci ne peut se réaliser que dans le cadre des critères de Copenhague et, tout particulièrement, de la primauté de l’État de droit.

Or, à cet égard, l’approbation par la Commission et le Conseil du plan de relance de la Pologne, sans que toutes les garanties sur l’indépendance de la justice aient été données, inquiète. L’unité de l’Europe repose certes sur le dialogue politique, mais aussi, et avant tout, sur le respect de nos valeurs.

S’agissant de nos relations avec les pays candidats et ceux de notre environnement proche, la proposition du Président de la République d’une communauté politique européenne a reçu un accueil allant du glacial au tiède. L’avenir sous présidence tchèque nous dira si cet objet européen non identifié prospérera. Pour ma part, je m’interroge sur son périmètre et sur son contenu.

Plus largement, c’est le fonctionnement même de l’Union européenne qui doit être interrogé. À cet égard, on ne peut que regretter l’absence de prise en compte des conclusions de la Conférence sur l’avenir de l’Europe et des appels du Parlement européen pour ouvrir le chantier d’une révision des traités pour une gouvernance renouvelée de l’Union, dans laquelle les citoyens auraient tout leur rôle à jouer.

Madame la ministre, la France a rempli sa mission, et il convient de féliciter les diplomates qui y ont travaillé. Mais cette présidence s’est terminée assez loin des slogans enthousiastes qu’Emmanuel Macron lançait en décembre 2021 : « Relance, puissance, appartenance ». Le Président de la République parle beaucoup d’Europe et ne manque pas d’idées, mais il y a encore loin des paroles aux actes !

Cette présidence en demi-teinte aura plus été portée par les événements qu’elle ne les aura provoqués. Elle restera malheureusement dans l’histoire comme celle qui aura vu la guerre revenir sur notre continent.

Ces six mois nous auront aussi rappelé que l’Europe est un collectif forgé par la culture du dialogue politique, la recherche du consensus et une action résolue fondée sur nos valeurs : la liberté, la démocratie, la justice sociale et la responsabilité environnementale.

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