Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ces six mois de présidence française du Conseil de l’Union européenne ont été lourdement marqués par un tragique imprévu.
La guerre russe contre l’Ukraine n’est pas seulement l’attaque contre un pays souverain, contre un peuple courageux qui défend ses droits, sa liberté et sa démocratie. C’est aussi le plus grand défi lancé à la sécurité commune en Europe depuis mai 1945 ; c’est une attaque délibérée contre les principes et le mécanisme de coopération et de sécurité en Europe.
La réponse solidaire et déterminée de l’Union européenne a pu surprendre ceux qui misaient sur son inertie et sa mollesse. Concrètement, elle se traduit à la fois par des sanctions et par une aide militaire, financière et humanitaire.
Madame la ministre, cet imprévu tragique a sans doute contribué à renforcer l’esprit de consensus qui marque le bilan du semestre écoulé.
Tant avec le Conseil qu’avec le Parlement européen, de nombreuses avancées ont bel et bien été enregistrées. Pour autant, il ne faudrait pas que ce débat d’évaluation sans vote, auquel le Gouvernement invite les deux chambres, au titre de l’article 50-1 de la Constitution, gomme les aspérités problématiques, les blocages, voire les régressions et les sujets sur lesquels on peine encore à discerner de franches orientations européennes.
Tout d’abord, je déplore les insatisfactions provoquées par certaines absences notables de ministres français. Nous savions que l’articulation de notre calendrier électoral national et de l’agenda de la présidence française pourrait poser problème. De fait, lors de certains débats thématiques du Parlement européen concernant directement la PFUE, la place de plusieurs ministres français est restée vide. Or il était question de sujets majeurs, comme l’État de droit !
Cette absence a produit un effet regrettable, à l’heure où les gouvernements hongrois ou polonais tentent de profiter de la forte tension internationale pour que s’émousse notre vigilance sur la pratique de l’État de droit. Le Président de la République considère pourtant cet héritage comme un « trésor », fondé sur « nos valeurs d’Européens, qui font notre unité, notre fierté et notre force »…
En revanche, avec l’accord sur le paquet Climat, notre pays a incontestablement joué, peu avant de passer la main, un rôle positif pour faire avancer les dispositifs correspondant au rehaussement de l’ambition climatique européenne.
Cela étant, les objectifs 2030 de progression des renouvelables ou de l’efficacité énergétique ne sont pas encore assez nettement dans la trajectoire de 1, 5 degré Celsius fixée par les accords de Paris.
Surtout, au-delà de l’affichage d’objectifs, le plus compliqué reste devant nous. Il s’agit de faire bifurquer en conséquence les politiques publiques, par exemple par la fin des subventions aux fossiles et la suppression des quotas gratuits des grands émetteurs industriels, qui ne saurait traîner indéfiniment.
Il faut aussi que les territoires – le Sénat le demande à chaque occasion – aient les moyens de décliner efficacement ces politiques climatiques. Je pense tout particulièrement aux enjeux d’adaptation.
Je souligne à quel point les élus de mon groupe déplorent que la France n’ait pas appuyé la proposition du Parlement européen pour que les ménages soient exclus du marché carbone des transports routiers et du chauffage des bâtiments, et à quel point ils s’inquiètent du rétrécissement du fonds social pour le climat.
Nous savons l’importance décisive des dispositifs d’accompagnement et de réduction des inégalités sociales et territoriales face à ces transitions. La gestion difficile des conséquences énergétiques de la guerre en Ukraine, avec le renchérissement des coûts, pourrait être l’occasion de hâter l’indispensable fin de notre dépendance aux énergies fossiles. Il s’agit là d’une perspective claire ; mais telle n’est pas l’orientation qui se dégage des décisions européennes.
Pour faire face à la hausse des prix de l’énergie, sans doute aurait-il fallu reprendre cette proposition de la Commission européenne : taxer les superprofits des multinationales de l’énergie.
La fin des voitures thermiques neuves, à présent programmée pour 2035, nous oblige à déployer enfin massivement les stratégies industrielles d’innovation, de reconversion et de formation. Ce sont les seules à même d’éviter le désastre social et économique qui nous attend si nous n’anticipons pas, si nous n’entendons que ceux qui s’obstinent à maintenir le plus longtemps possible un modèle industriel périmé.
À mon sens, c’est le même état d’esprit dépassé qui a, hélas, permis aux tenants du gaz fossile et du nucléaire d’obtenir un vote très politique, et si peu scientifique, pour labelliser « durables » ces énergies dans le référentiel pour la finance verte. De ce fait, la fameuse taxonomie va perdre une bonne part de sa crédibilité.
Si le Pacte vert et les ambitions européennes pour le climat et la biodiversité ont besoin du levier de la finance, ils ont également besoin du levier décisif des pratiques agricoles.
Or la présidence française n’a guère fait preuve de volontarisme pour l’actionner, bien au contraire : notre gouvernement s’évertue encore et toujours à obtenir une déclinaison nationale « à la carte » de la politique agricole commune (PAC). Dans le contexte du drame ukrainien, il pèse pour que soient rabotées les ambitions environnementales de la stratégie européenne pour l’agriculture.
Chers collègues de majorité sénatoriale, nos discussions viennent de le prouver une fois de plus, cette question fait débat au sein de notre assemblée. En la matière, votre résolution européenne va dans le sens du Gouvernement ; mais, pour les élus de mon groupe, vous faites fausse route.
Pour ce qui concerne l’accord commercial avec la Nouvelle-Zélande, je tiens à opérer une autre mise au point : non, nous n’en sommes pas encore à la nouvelle génération d’accords annoncée, celle des accords commerciaux vertueux. Pour les normes environnementales, le compte n’y est pas.
Certes, la directive sur les salaires minimums a bien été gérée dans les temps, et ce cadre commun permettra de lutter un peu mieux contre le dumping social. En revanche, les membres de mon groupe déplorent le rôle joué par la France pour ce qui concerne le statut des travailleurs des plateformes.
L’actualité toute récente – je pense à l’enquête menée par le journal Le Monde et ses partenaires – met au jour la nécessité d’une loi de séparation des lobbies et de l’État. Pour la reconnaissance du salariat des Uber et autres Deliveroo, pour l’inversion de la charge de la preuve, la France pèse-t-elle vraiment du bon côté en Europe ? Non. Pour reprendre l’expression de notre collègue Olivier Jacquin, elle freine plutôt des deux pieds.
Pour achever ce tableau des six mois de présidence française, j’insisterai sur trois enjeux déterminants face auxquels l’action de notre gouvernement n’a manifestement pas permis de progresser.
Tout d’abord, je pense à l’enjeu budgétaire. Beaucoup le savent, il serait contre-productif de revenir aux règles budgétaires que Romano Prodi qualifiait de « stupides » et que les années de covid ont achevé de disqualifier. Qui envisagerait sérieusement de mener les investissements de la décarbonation et de l’adaptation dans le carcan du pacte de stabilité ? Le Président de la République envisageait une réforme significative de ces fameux critères : où en est-elle ?
Ensuite, je pense à l’enjeu des ressources propres. Nous savons que l’emprunt commun de la relance s’appuie sur une série de ressources propres à mettre en place. Plus que d’autres États membres, La France avait sans doute la carrure pour faire avancer concrètement ce chantier. L’Union européenne aurait ainsi pu être la première à entériner le projet de taxe sur les multinationales résultant de l’accord de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
L’échec face au blocage hongrois vient, hélas, renforcer l’impression que l’on traîne encore et toujours. Or ces ressources propres sont indispensables si l’on ne veut pas que le remboursement futur de la dette européenne se fasse au détriment des programmes européens et du budget existant.
Enfin, même si elle n’a pas tout à fait rencontré l’écho populaire espéré, la Conférence sur l’avenir de l’Europe, notamment la manière dont des citoyens et des forces vives s’y sont investis, oblige à sortir du statu quo. Il faut bouger pour plus et mieux d’Europe. À l’issue de la présidence française, les conditions sont-elles en place pour que les responsables européens engagent des réponses adaptées à la hauteur des recommandations et des suggestions de cette conférence, qui impliquent de modifier le cadre fixé par les traités ?
Madame la ministre, voilà, dans les quelques minutes qui nous sont imparties, notre contribution au débat relatif à cette PFUE. Si elle vous semble manquer de mesure, en pointant davantage les insatisfactions, c’est parce qu’elle est portée – soyez-en assurée – par des aspirations fortes au renforcement européen.