Nous avons effectivement constaté que seules les administrations en charge de la conduite de la réforme lui étaient favorables, et ce malgré les aménagements obtenus par le MEAE.
Une partie de l'incompréhension, rappelons-le, tient à la quasi-concomitance de la réforme avec la mission de réflexion et de proposition sur l'organisation des carrières diplomatiques de Jérôme Bonnafont. Insistant sur la spécificité du métier de diplomate, celle-ci a abouti au premier semestre 2021, ce qui a renforcé l'impression des personnels qu'une voie tangente à la réforme générale était possible.
Cet espoir déçu, le précédent ministre, M. Le Drian, a néanmoins obtenu des aménagements notables à la réforme. Le concours d'Orient restera une voie d'accès directe et spécifique au Quai d'Orsay, ce dont nous nous sommes assurés dans le cadre de nos auditions. La revalorisation des parcours des secrétaires des affaires étrangères (SAE) est engagée. Un droit d'option pour les conseillers des affaires étrangères et les ministres plénipotentiaires est affirmé. Il leur permet de ne pas être versés dans le corps des administrateurs d'État. Des restrictions d'accès des conseillers des affaires étrangères à un poste d'ambassadeur ont également été levées. Enfin, la rémunération indemnitaire du MEAE a été alignée, au 1er janvier 2022, sur la fourchette haute des pratiques antérieures des ministères.
Dans ces conditions, pourquoi de tels mécontentements et pourquoi la grève ? Force est de constater que cette gestion moderne et entrepreneuriale de l'État ne parvient pas à convaincre. Mais est-ce si étonnant ? Quel PDG nommerait son directeur des affaires financières au marketing, sa directrice de la logistique à la communication ? Qui peut envisager de faire d'un ambassadeur un directeur d'administration pénitentiaire, d'un consul général un inspecteur des impôts ; d'un directeur de maison de santé un ambassadeur dans un pays riche en matières premières stratégiques ?
Les aménagements de la réforme ne sont pas à la hauteur des attentes de la diplomatie française. Celle-ci s'est adaptée à la pandémie mondiale en temps réel, ramenant 370 000 compatriotes bloqués à l'étranger. Le Quai d'Orsay a organisé la périlleuse évacuation de 2 805 personnes d'Afghanistan en août 2021. Il négocie, en pleine présidence française de l'Union européenne, la stratégie indopacifique de l'Union européenne et oeuvre en même temps au rétablissement du joint comprehensive plan of action (JCPOA). Il fait face au quotidien aux défis et aux dangers d'un monde de plus en plus instable et caractérisé par des crises protéiformes : guerre en Ukraine, coup d'État en Birmanie, menaces de mort au Pakistan, etc.
Jean-Pierre Grand et moi-même - au nom de nous tous et toutes, je pense - voulons réaffirmer ce matin notre haute estime envers tous les personnels du ministère.
Face à ces vocations se déployant dans des conditions extrêmement difficiles, l'inclusion des personnels diplomatiques dans la grande fusion interministérielle des corps de l'État est une très mauvaise nouvelle. Se formant de poste en poste au prix de sacrifices personnels importants, les agents du corps diplomatique voient leur système de rotation entre les postes en France et à l'étranger perturbé par la concurrence des candidatures de tous les administrateurs d'État. Là où il pouvait y avoir 10 à 15 candidats du MEAE pour un poste jusqu'à présent, il pourra désormais y en avoir 80 en provenance de tous les ministères. Certains diplomates ont ainsi le sentiment que l'institution a rompu le contrat qu'ils avaient conclu ensemble lors de leur réussite au concours d'entrée.
Les agents du Quai d'Orsay ressentent cette concurrence accrue comme illégitime pour les trois raisons suivantes : il est très difficile d'entrer dans un corps du MEAE, toutes catégories confondues ; à catégorie similaire, les responsabilités qui sont confiées aux diplomates sont particulièrement lourdes ; alors que les personnels du MEAE acceptent des postes dans des pays difficiles ou en guerre, espérant ensuite alterner avec des affectations dans des pays moins austères, la concurrence interministérielle les privera de cette possibilité, au profit d'administrateurs de l'État non aguerris à l'expatriation.
Sommes-nous certains, dans ces conditions, de pouvoir compter sur des personnels du même excellent niveau pour embrasser des carrières rendues incertaines par cette concurrence interministérielle ? Sans diplomates professionnels, quel est l'avenir de l'appareil diplomatique français ?
Le risque est avéré de passer d'une diplomatie professionnelle à une diplomatie au service de la carrière de certains administrateurs de l'État.
La qualité professionnelle et l'investissement personnel des agents de toutes les catégories garantissent la performance de l'appareil diplomatique. Sans ces personnels, avec des administrateurs de l'État de passage dans les métiers diplomatiques, c'en sera fini !
Sélectionnés actuellement sur des critères exigeants, les diplomates français ont des compétences solides en droit international et en histoire des relations internationales. La sédimentation des expériences leur permet de se forger une culture et un ensemble de compétences qui les rendent performants. Pour résumer, contrairement aux autres fonctionnaires, un diplomate administre peu et ne régule pas : il n'écrit pas de décret, ni d'arrêté, ni de règle. Il gère l'urgence, la crise, négocie avec des pays étrangers. Enfin, il représente et incarne la France à l'étranger.
Avec une seule expatriation, dans un parcours construit en France, le risque de connaître un échec élevé est avéré, avec la difficulté pour la direction des ressources humaines du MEAE, si elle garde bien la main sur ces sujets, d'identifier dans l'urgence des relèves pour les agents qui décrocheront.