Cette affaire est selon moi d'une extrême gravité. J'observe d'ailleurs que Mme Amélie de Montchalin, qui a porté cette réforme, n'a pas été réélue. Il se dit qu'elle serait peut-être la première bénéficiaire, puisque des bruits insistants courent sur sa nomination comme ambassadeur dans un très grand pays européen, alors qu'elle n'a jamais servi en poste diplomatique...
Je me suis pour ma part joint à la manifestation des diplomates devant le Quai d'Orsay et j'estime que notre commission, qui apparaît dans le monde diplomatique comme le principal défenseur du corps, doit très fortement marquer sa position.
Les rapporteurs ont réalisé un excellent travail ; ils ont reçu les plus hautes personnalités, et les avis sont unanimes contre cette réforme.
Nous avons tous pu mesurer le niveau de compétences de nos diplomates. Ces postes ne peuvent pas être attribués à n'importe qui, ils exigent énormément de connaissances. Il s'agit d'un métier très spécifique, dans lequel on ne s'engage pas le nez au vent.
M. Le Drian lui-même était hostile à cette réforme faussement moderne : s'il y avait une diplomatie européenne efficace, on le saurait depuis longtemps.
J'invite nos collègues de la majorité présidentielle à peser de tout leur poids pour revenir sur cette réforme, reposant sur une perception complètement fausse du métier de diplomate.
Au début de la crise du covid, 370 000 Français ont été rapatriés : c'est l'un des nombreux tours de force de notre corps diplomatique. L'ambassadeur de France au Pérou a même réussi, pour la première fois dans l'histoire de ce pays, à faire atterrir un avion civil sur une base militaire.
De plus, l'exécutif doit pouvoir s'appuyer sur le vaste travail d'analyse mené dans l'ombre par nos diplomates. À cet égard, la négation des compétences spécifiques du corps diplomatique est proprement calamiteuse. Elle aura des conséquences sur les carrières, en désespérant les uns et en donnant de fausses espérances à d'autres. Ce métier est d'une richesse et d'une complexité telles qu'il exige des compétences particulières. Ainsi, dans toutes les résolutions de l'Organisation des Nations unies (ONU), l'on retrouve la patte française : nos diplomates doivent peser chaque mot, dans plusieurs langues, et défendre leurs différents dossiers nonobstant les baisses de moyens.
Si cette réforme aboutit, notre diplomatie se trouvera déclassée, et notre pays avec elle. Loin de fermer des ambassades, l'Allemagne en crée de nouvelles et renforce ses équipes. De même, la Turquie, la Chine et la Grande-Bretagne réinvestissent fortement dans leur diplomatie, et pour cause, nous avons plus que jamais besoin des diplomates, notamment en Afrique. Or les entretiens que j'ai menés m'ont permis de constater une profonde démobilisation dans leurs rangs.
Nous ne pouvons pas nous associer à cette réforme. Il faut le dire, non avec violence, mais avec clarté, d'autant que notre commission semble la seule à pouvoir s'exprimer ainsi.
Peut-être le Président de la République va-t-il se lancer à la recherche d'un compromis. Dans cette perspective, je propose qu'un certain nombre de nominations soient soumises à l'avis consultatif des commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. C'est une disposition inspirée des États-Unis : l'ambassadeur des États-Unis en France reçoit systématiquement l'aval du Congrès. Seraient concernés les ambassadeurs des pays du G20 - à tout le moins ceux des pays du G7 - et ceux des organisations internationales, où les nominations de complaisance sont les plus fréquentes, tous gouvernements confondus. Les commissions parlementaires devraient a minima auditionner les candidats aux postes d'ambassadeur qui ne sont pas issus de la carrière.
J'y insiste, à l'instar des rapporteurs, je n'ai pas vu l'ombre du début du quart d'une raison permettant de justifier une telle réforme. Vous le savez, le poids du Sénat s'est considérablement accru depuis les dernières élections législatives. Les équilibres politiques sont même appelés à s'inverser en commission mixte paritaire (CMP). Le rôle du Parlement sera, lorsque c'est nécessaire, de manifester son désaccord pour que les réformes soient revues.