Intervention de S.E.M. Michal Fleischmann

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 juillet 2022 à 8h50
Audition de s.e.m. michal fleischmann ambassadeur de la république tchèque en france sur les priorités de la présidence tchèque du conseil de l'union européenne

S.E.M. Michal Fleischmann, ambassadeur de la République tchèque en France :

Commençons par les eurosceptiques. Effectivement, depuis que l'Union européenne existe, nous avons du mal à expliquer aux populations les avantages que procure une appartenance à l'UE. De ce point de vue, nous pouvons remercier la Russie de nous avoir aidés à faire comprendre que l'Union européenne est un espace de sécurité, de liberté et d'unité face à un occupant que les Tchèques, les Polonais et les Hongrois connaissent bien. J'évoquerai simplement l'entrée des chars soviétiques dans Prague en 1968, mettant un coup d'arrêt au « Printemps ».Les sondages le montrent, le taux de confiance dans l'Union européenne a largement augmenté dans tous les pays frontaliers de l'Ukraine et de la Biélorussie. Il faut saisir cette chance. J'ai travaillé pendant trente ans dans le secteur de la communication et des médias privés. Je puis vous dire qu'il existe des techniques de communication. Les institutions gouvernementales et européennes devraient parfois se tourner vers les spécialistes et leur demander une aide pour convaincre. C'est ce que nous allons essayer de promouvoir au sein de l'Union européenne. Nous devons cesser de vivre sous la menace des eurosceptiques, qui ne cherchent finalement qu'à servir leurs intérêts politiques dans leurs pays respectifs. Certes, il y aura toujours des personnes pour affirmer que les directives européennes sont incompréhensibles et rédigées par des technocrates, mais ces personnes sont minoritaires, car nos institutions sont tout à fait capables de trouver des thèmes d'action intéressants pour l'avenir de nos concitoyens.

Vous m'avez interrogé sur l'élargissement de l'Union à l'Ukraine, à la Moldavie et à la Géorgie. En ce qui concerne la Géorgie, elle doit donner des assurances à l'Union européenne. Et il est important de donner de l'espoir aux Géorgiens. Il est vrai que le partenariat oriental, dans son ensemble, souffre énormément. La Biélorussie en est sortie. La Russie fait pression sur les autres États. De quelle manière concevoir aujourd'hui le partenariat oriental ? Cette question sera certainement mise sur la table du Conseil de l'Union européenne par la République tchèque.

Les pays des Balkans de l'Ouest ont été évoqués. La priorité de la République tchèque est d'organiser à Prague, au cours des six prochains mois, une conférence sur la question. Il ne faut pas les laisser de côté et se focaliser uniquement sur l'Ukraine et la Moldavie, voire la Géorgie. L'adhésion de ces pays à l'Union est un projet européen. Si les pays de l'Europe centrale insistent pour accélérer la procédure d'adhésion de la Macédoine du Nord et de l'Albanie, c'est pour contrer l'influence continue et de plus en plus forte de la propagande russe, sans parler de la présence économique russe et des investissements chinois...

Ces dernières années, la France a renouvelé les conseillers économiques dans les ambassades en Croatie, en Macédoine du Nord, etc. C'est le bon chemin, mais il faut aussi investir dans ces pays, comme la France et la République tchèque le font. En tout état de cause, ne prenons pas le risque de décevoir les Balkans de l'Ouest.

Nous avons beaucoup apprécié le non paper de la France relatif au conflit entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord. On espère qu'il sera accepté, mais cela peut faire tomber des gouvernements. Il faut en avoir conscience !

Quoi qu'il en soit, il est très difficile pour la République tchèque de régler le problème entre ces deux pays ; nous ne sommes pas les mieux placés pour agir ; nous partageons un même espace, avec des difficultés et un historique presque communs. De ce point de vue, l'initiative française est bonne et nous la soutenons, mais il pourrait être contre-productif que la République tchèque soit placée à la tête des négociations...

Idem pour Visegrad : il est très difficile pour les Tchèques de peser sur la Hongrie. Je rappelle que le groupe de Visegrad a été créé par Lech Walesa, Jozsef Antall et Vaclav Havel pour faire face à la résistance de l'Allemagne et de la France à l'égard de l'intégration de l'Europe centrale dans l'Union européenne. Trente ans après, tout cela n'est plus d'actualité. À présent, Visegrad 4 est un bon moyen de pression lorsque nos quatre pays sont d'accord entre eux, ce qui est de plus en plus rare ces derniers temps. Le conflit entre la Pologne et la Hongrie, par exemple, est grand. Mais nous ne pouvons pas perdre cet axe qui est encore utilisable, car il traduit une certaine unité de pensée.

Dans le cadre de la guerre en Ukraine, l'attitude polonaise est formidable et courageuse. Nous soutenons la Pologne dans son effort et nous l'invitons à profiter de ce moment de bonne entente dans l'Union européenne pour régler ses problèmes en matière d'État de droit.

Pour la Hongrie, c'est très compliqué. Viktor Orban est un personnage unique, intelligent et fort. Comme pour la Bulgarie, il nous est très difficile de peser sur la Hongrie. Viktor Orban, à l'occasion d'un grand discours, a annoncé que la Hongrie reviendrait un jour dans ses frontières d'origine : cela nous concerne ! Il faut tourner la page : de tels élans nationalistes ne font plus partie de l'Union européenne. La République tchèque est-elle en mesure d'apporter une solution par rapport à la Hongrie ? Je l'ignore, mais nous devrons travailler de concert avec les autres pays de l'Union européenne.

Quant au volet asile-immigration, il est évident que la situation ukrainienne a changé les esprits. À l'avenir, nous serons plus ouverts. Quid des Ukrainiens qui ne voudraient plus partir ? Toutes les aides prévues par l'Union européenne vont jusqu'à la fin de l'année, tout en s'atténuant progressivement. C'est à l'Union européenne de trouver des solutions pour l'année 2023 si la situation devait perdurer. Ne nous mentons pas, la République tchèque souffre d'un manque énorme de main-d'oeuvre. Nous avons un taux de chômage de 2,3 % : les entreprises, notamment françaises, ne peuvent pas s'y développer, et les salaires augmentent, etc. Il y a un changement d'état d'esprit dans la population. C'est ce qui explique l'élan national qui a conduit à récolter 40 millions d'euros de dons pour l'aide humanitaire en Ukraine.

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