Intervention de Hélène Conway-Mouret

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 6 juillet 2022 à 9h30
Grandes orientations de la politique étrangère américaine — Examen du rapport d'information

Photo de Hélène Conway-MouretHélène Conway-Mouret, rapporteure :

Au regard de ces grandes tendances, comment évoluent les relations transatlantiques, qui étaient devenues très compliquées sous la présidence Trump ?

De manière générale, on constate une amélioration des relations avec les pays européens, Joe Biden ayant, là encore, joué la carte de l'apaisement. Après un sommet entre l'Union européenne et les États-Unis le 15 juin 2021, plusieurs différends commerciaux, très envenimés, avec des sanctions dans les deux sens, ont trouvé une solution, notamment le contentieux entre Airbus et Boeing et la question des importations d'aluminium et d'acier. Les États-Unis ont aussi renoncé à nous appliquer des sanctions en réaction aux taxes nationales sur les services numériques, en contrepartie d'un accord international négocié au sein de l'OCDE pour taxer les multinationales. Certes, cette dynamique positive a failli s'enrayer lors de deux épisodes de tensions survenus à la fin de l'été 2021, le premier lié au retrait précipité d'Afghanistan, qui a placé nos voisins européens dans une situation inconfortable, le second causé par l'annonce du partenariat Aukus impliquant la dénonciation par l'Australie du fameux « contrat du siècle » français pour la fourniture de sous-marins conventionnels et qui a déclenché une crise diplomatique inédite entre Paris et Washington.

Heureusement, la France, qui a légitimement protesté, avec le soutien de l'Union européenne, a su mettre à profit cette crise pour relancer la relation bilatérale. Elle a en effet obtenu, outre des excuses, la mise en place d'un dialogue nourri sur différents sujets parfois constitutifs d'irritants, comme le contrôle export, à la fois au niveau national mais aussi au plan européen, dans le cadre du Conseil du commerce et des technologies (CCT), qui s'est imposé comme un outil privilégié de dialogue transatlantique, auquel les États-Unis accordent une grande importance. En outre, la France a obtenu l'inscription dans la Déclaration conjointe de Rome du 29 octobre 2021, adoptée en marge du G20, d'une reconnaissance de la contribution positive de la défense européenne à la sécurité transatlantique, en complément de l'OTAN, ce qui est une avancée notable.

Mais c'est surtout la guerre en Ukraine qui, depuis février dernier, a contribué à rapprocher les États-Unis et l'Union européenne, que ce soit pour l'adoption et l'application du plus sévère régime de sanctions jamais mis en place, ou pour les échanges quotidiens rendus nécessaires par la gestion de la crise, à l'occasion de laquelle, pour la première fois, l'Union européenne a décidé de financer une assistance militaire.

De fait, ce conflit a aussi entraîné un réengagement politique et militaire des États-Unis sur le continent européen, sans doute au-delà de ce qu'ils auraient imaginé.

Ce réengagement s'effectue de deux manières. D'abord, par un soutien massif à l'Ukraine, d'un montant total de 43 milliards d'euros, dont au moins la moitié d'aide militaire directe. Ensuite, par un renforcement de la posture de l'OTAN, pour dissuader la Russie, ce qui se traduit notamment par une hausse inédite depuis la fin de la Guerre froide du nombre de soldats américains en Europe - qui s'est accru de 20 000 hommes, pour un total de 100 000 - et l'appui aux mesures décidées au récent sommet de Madrid, comme le renforcement des groupements tactiques multinationaux sur le flanc est, de la force de réaction rapide et des forces à haut niveau de préparation.

Malgré cet assouplissement des relations avec l'Union européenne et ce rapprochement imposé par l'agression russe de l'Ukraine, nous voulons souligner que les relations des États-Unis avec l'Europe demeurent teintées d'ambivalence, voire sont déséquilibrées, pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, si la demande de partage du fardeau, thème récurrent des relations transatlantiques, n'a pas disparu, le projet de défense européenne, qui vise pourtant à répondre à cette exigence, continue à susciter de la méfiance. Il est vrai qu'à ce jour, seuls neuf des 30 pays membres de l'OTAN ont atteint les 2 % du PIB consacrés à la défense. La France en est proche, à 1,9 %, mais l'Allemagne, par exemple, n'est encore qu'à 1,44 % - avant l'annonce récente des 100 milliards d'euros d'investissement.

Dans le même temps, malgré le début d'ouverture dont feraient preuve certains responsables dans l'administration, l'état d'esprit dominant, notamment au Pentagone et à l'OTAN, est que l'effort de défense des Européens ne peut se concrétiser autrement que dans le cadre de l'OTAN, et de préférence au travers de l'achat de matériels américains. Les États-Unis vendent ainsi avec une grande facilité leurs armements à des alliés qui s'octroient en même temps la garantie de sécurité de l'article 5 du traité de Washington. Entre 2007 et 2016, près des deux tiers des achats européens d'armes ont été effectués hors de l'Union européenne, principalement aux États-Unis. Cette concurrence exacerbée que les États-Unis nous livrent pour les contrats d'armement est très préjudiciable aux grands projets structurants pour l'avenir de la défense européenne, comme le système de combat aérien du futur (SCAF) et le système principal de combat terrestre (MGCS). Elle est un obstacle majeur à la construction d'une défense européenne, qui nécessite de prendre appui sur une base industrielle et technologique de défense (BITD) solide et autonome.

Il est vrai que Washington a toujours manifesté de la réticence à l'égard de ce projet, considéré comme concurrent de l'OTAN. Les États-Unis se montrent ainsi très méfiants à l'égard des initiatives européennes de défense comme le Fonds européen de défense (FED), qu'ils soupçonnent de viser à leur restreindre l'accès au marché européen de défense et dans lesquelles ils cherchent absolument à entrer. C'est ainsi qu'ils ont obtenu récemment une perspective de coopération avec l'Agence européenne de défense (AED), dont il ne faudrait pas qu'elle soit une nouvelle porte ouverte à l'application de la réglementation ITAR (International Traffic in Arms Regulations). De fait, le marché européen de la défense reste ouvert, peut-être trop, et l'est en tout cas beaucoup plus que le marché américain.

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