Intervention de Pascal Allizard

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 6 juillet 2022 à 9h30
Grandes orientations de la politique étrangère américaine — Examen du rapport d'information

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard, rapporteur :

Deuxième bémol ou réserve que nous formulons, l'approche américaine de l'Europe - qu'il s'agisse de l'OTAN ou de l'Union européenne (UE) - n'est pas dénuée d'arrière-pensées et s'inscrit pleinement dans la stratégie de compétition avec la Chine.

C'est particulièrement explicite dans le cadre de l'OTAN, où les États-Unis redoublent d'efforts depuis des mois pour que la Chine soit prise en compte comme une menace. Au final, si le nouveau concept stratégique de l'OTAN adopté à Madrid renforce la caractérisation de la menace russe, qualifiée de « menace la plus importante et la plus directe pour la sécurité des Alliés et la stabilité dans la région euro-atlantique », il mentionne aussi, pour la première fois, la Chine et les défis posés par celle-ci.

Washington ne déconnecte pas la guerre qui se déroule en Ukraine de la rivalité stratégique avec la Chine mais lie au contraire étroitement les deux dossiers. Le soutien des États-Unis à l'Ukraine est aussi un message vis-à-vis de Pékin et une mise en garde contre toute tentation de la Chine de s'en prendre à Taïwan.

De la même manière, l'intérêt porté par l'administration Biden aux institutions européennes pourrait être aussi lié à la perspective de développer avec l'UE des coopérations renforçant le positionnement américain face à la Chine.

Il s'agit là d'une différence essentielle avec l'administration Trump, qui privilégiait une approche unilatérale. L'objectif de l'administration Biden est d'amener l'UE à former un front commun avec les États-Unis face à la Chine.

Cela transparaît tout particulièrement dans la manière dont les États-Unis perçoivent le Conseil du commerce et des technologies, qui pour eux doit surtout servir à faire pression sur Pékin et à contrer l'influence économique chinoise, par exemple par une approche commune de l'Union européenne et des États-Unis sur la question des normes et standards en matière de nouvelles technologies.

Par ailleurs, les États-Unis s'impliquent particulièrement dans les dialogues avec l'UE sur l'Indo-Pacifique et sur la Chine et se montrent désireux d'avancer dans la recherche de synergies entre l'initiative américaine « Build back better for the world » et l'initiative européenne « Global Gateway », qui se présentent toutes deux comme des alternatives à l'initiative chinoise « One Belt, One Road » (OBOR).

Le dernier bémol que nous voyons dans les relations transatlantiques actuelles se rapporte au volet économique.

Certes, les relations économiques entre l'Union européenne et les États-Unis sont particulièrement denses, non seulement au plan commercial, puisqu'elles représentent 42 % du commerce mondial, mais plus encore en termes d'investissements directs croisés : les investissements directs à l'étranger (IDE) réalisés aux États-Unis représentent environ 60 % du total des IDE européens, et réciproquement.

Cependant, les tensions et déséquilibres perdurent, en particulier ceux liés au protectionnisme. Le marché américain reste ainsi difficile à pénétrer pour les entreprises européennes et la tendance se durcit, notamment en ce qui concerne l'accès aux marchés publics. Le contrôle des exportations exercé par l'administration américaine constitue un autre sujet difficile. S'il vise en principe les entreprises exportatrices américaines, il fait l'objet d'une application extraterritoriale pénalisante pour les entreprises européennes. C'est particulièrement vrai en matière d'exportations de biens sensibles, avec les réglementations américaines ITAR pour les matériels d'armement et EAR (pour Export Administration Regulations) pour les biens à double usage, qui sont une source régulière de frictions avec la France.

Un autre irritant majeur de nos relations est, bien entendu, celui des sanctions extraterritoriales, qui tendent à empêcher des entreprises étrangères de commercer avec les pays qu'elles visent. Ces sanctions, on le sait, donnent lieu au paiement d'amendes très élevées. En 2015, BNP Paribas a dû payer 9 milliards de dollars pour avoir violé des embargos. À cela s'ajoutent la perte d'opportunités commerciales et le coût croissant des dépenses de conformité, destinées à réduire l'exposition au risque. Au-delà de leurs objectifs de politique étrangère, ces sanctions sont aussi souvent un moyen de pénaliser des entreprises concurrentes des entreprises américaines.

Enfin, de manière générale, les lois extraterritoriales américaines, qui permettent aux États-Unis de capter de l'information à l'étranger, sont une préoccupation pour les Européens. Cela vaut dans tous domaines : économique, militaire et spatial, numérique...

Il y aurait bien d'autres sujets à aborder, notamment la domination du secteur numérique européen par les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et la question de la souveraineté numérique : je vous renvoie pour cela au rapport.

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