Le projet de loi a été adopté à l'Assemblée nationale le 27 janvier 2022. Nous sommes donc saisis en seconde chambre.
Cet accord, signé à Genève le 29 juin 2021 constitue une avancée majeure dans la collaboration entre nos institutions judiciaires et ce nouveau Mécanisme, mis en place faute de pouvoir déférer à la Cour pénale internationale les crimes qui se sont déroulés en Syrie depuis 2011.
Le conflit syrien, qui a commencé par la répression, par le régime syrien, d'un mouvement de contestation populaire, a connu plusieurs rebondissements tragiques faisant de très nombreuses victimes. Le rapport de la commission d'enquête dite « Pinheiro » a conclu en 2021 à la perpétration des plus odieuses violations des droits internationaux humanitaires et des droits de l'homme, « susceptibles de constituer des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre, et d'autres crimes internationaux, y compris de génocide ».
Il faut rappeler que plus de la moitié des Syriens ont dû quitter leur foyer et que des dizaines de milliers de personnes sont encore portées disparues. La situation humanitaire est encore, à ce jour, déplorable. La France a fermé sa représentation diplomatique à Damas en 2012 et a rejoint la coalition internationale contre Daech, lors de sa création en 2014. Elle considère que la lutte contre l'impunité est une condition du rétablissement de la paix en Syrie. Les faits sont connus, mais la Cour pénale internationale n'est pas compétente pour en connaître, étant donné que la Syrie n'a pas ratifié la Convention de Rome et que les veto russe et chinois bloquent toute résolution de saisine du Conseil de sécurité.
C'est dans ces circonstances que l'Assemblée générale des Nations unies a créé, en décembre 2016, le Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie. Il s'agit d'un instrument juridique inédit : ni tribunal ni organe judiciaire, il n'a pas vocation à juger lui-même les auteurs des violations, mais à aider les juridictions compétentes à y parvenir. À cette fin, ses missions consistent, d'une part, à centraliser les éléments de preuves relatives aux atrocités commises en Syrie et, d'autre part, à les transmettre, après analyse, aux tribunaux qui ont compétence pour juger de tels faits.
Ce Mécanisme est opérationnel depuis 2018, et dispose à sa tête d'une magistrate française, Mme Catherine Marchi-Uhel, que j'ai auditionnée. Ses moyens sont croissants, au fil de l'augmentation des demandes d'assistance qui lui parviennent, d'ailleurs souvent de la part de juridictions françaises.
Le Mécanisme n'ayant pas accès au territoire syrien, la mise en oeuvre de son mandat dépend de la coopération des juridictions nationales enquêtant sur cette zone en raison de leur compétence universelle. Or le droit français, comme d'autres, n'autorise pas, en l'absence de convention, la transmission d'informations des juridictions vers une entité non juridictionnelle.
Il était donc essentiel d'aboutir à la convention qui vous est présentée aujourd'hui. Elle a été négociée en deux ans, aboutissant à un cadre juridique de coopération qui permettra au Mécanisme de bénéficier des informations qui auront été recueillies par les juridictions françaises, afin d'alimenter son « répertoire central ». Le partage d'informations ne sera donc plus à sens unique.
Bien sûr, des précautions juridiques ont été prises : la convention reprend en partie les exclusions et les restrictions habituellement prévues par les conventions d'entraide pénale internationale bilatérales. S'agissant du transfert de données à caractère personnel, le Mécanisme ne peut les communiquer que si le niveau de protection de la vie privée et des libertés et droits fondamentaux des personnes concernées est garanti au regard des dispositions de la directive du 27 avril 2016, dite directive « Police-justice ».
À propos d'un sujet connexe, la France a transposé le statut de Rome, introduisant dans son droit une compétence dite « universelle » des juridictions françaises pour connaître des crimes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes et délits de guerre commis à l'étranger, par un ressortissant étranger, à l'encontre de victimes étrangères. Toutefois, cette compétence est soumise à des réserves importantes, en particulier celle de la « double incrimination » qui rend, en pratique, l'aboutissement des poursuites incertain. Ce principe du droit français subordonne la compétence universelle des juridictions françaises à l'exigence que les faits poursuivis soient également punis par la législation de l'État où ils ont été commis.
Un récent arrêt de la Cour de Cassation du 24 novembre 2021 a déclaré les juridictions françaises incompétentes, du fait de ce principe, pour connaître des poursuites engagées à l'encontre d'un ressortissant syrien mis en examen pour faits de complicité de crimes contre l'humanité commis en Syrie. La Cour de Cassation procède ici à une lecture stricte de la loi : la Syrie ne reconnaît pas le crime contre l'humanité stricto sensu.
Cette difficulté est connue de longue date, puisque nos collègues Jean-Pierre Sueur et Alain Anziani avaient défendu une proposition de loi tendant à modifier l'article 689-11 du code de procédure pénale relatif à la compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la Cour pénale internationale. Ce texte, adopté à l'unanimité par le Sénat le 26 février 2013, n'a jamais été examiné par l'Assemblée nationale. Lors des débats sur la loi de programmation de la justice en 2018, le Sénat avait de nouveau voté à l'unanimité l'amendement proposé par Jean-Pierre Sueur, mais celui-ci n'a été repris que partiellement par l'Assemblée nationale, limitant l'exclusion du principe de double incrimination aux crimes de génocide.
Cette récente jurisprudence de la Cour de Cassation n'a néanmoins pas été suivie par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, le 4 avril 2022. Il faut rester vigilant quant à l'évolution de la jurisprudence, et, le cas échéant, envisager une évolution la législation, afin d'éviter que la France devienne un refuge pour les auteurs de crimes de guerre perpétrés en Syrie ou ailleurs dans le monde. Je rappelle d'ailleurs que la France est l'un des seuls États européens à limiter ainsi la compétence universelle de ses juridictions.
En tout état de cause, la convention en cours de ratification ne porte pas sur ce point particulier. Elle constitue une avancée notable dans la coopération réciproque entre le Mécanisme et nos juridictions, qui permettra en particulier au Mécanisme de profiter des informations recueillies par les juridictions françaises, en alimentant son répertoire central. Cela est tout à fait conforme aux engagements de la France, réaffirmés régulièrement, de lutter contre l'impunité des auteurs de crimes durant le conflit en Syrie. L'Organisation des Nations unies a d'ores et déjà accompli les procédures internes requises pour l'entrée en vigueur de la convention.
En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en deuxième. Son examen en séance publique est prévu le mardi 19 juillet, selon la procédure d'examen simplifié, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.