Intervention de Philippe Tabarot

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 6 juillet 2022 à 9h15

Photo de Philippe TabarotPhilippe Tabarot, rapporteur :

Il me revient de vous présenter le dernier axe de notre rapport, qui est peut-être le plus central : comment mieux encadrer la gestion des produits à base de nitrate d'ammonium dans les infrastructures fluviales ?

D'emblée, nous avons constaté d'importantes disparités dans l'appréhension des matières dangereuses entre les ports maritimes et fluviaux.

Dans le secteur maritime, la gestion des produits à base de nitrate d'ammonium fait l'objet d'une réglementation stricte et étoffée. Les ammonitrates haut dosage étant considérés comme une matière dangereuse par le droit international, leur transport par voie maritime est rigoureusement encadré par la réglementation issue de l'Organisation maritime internationale (OMI).

S'agissant des ports, les opérations de manutention sont encadrées par un règlement national, le règlement pour le transport et la manutention des matières dangereuses dans les ports maritimes, dit « RPM », publié en 2000. Ce texte réglemente notamment les opérations de chargement et déchargement et, surtout, les dépôts à terre, qui peuvent être autorisés à condition de respecter des règles strictes de sécurité. Le règlement national doit être précisé et adapté localement, par l'intermédiaire de règlements élaborés dans chaque port maritime.

Bien que déjà satisfaisante, la réglementation applicable aux ports maritimes a encore été renforcée récemment, par un arrêté publié en février 2022, lequel a rehaussé la distance minimale à respecter entre deux îlots d'ammonitrates haut dosage, désormais comprise entre 8 et 14 mètres, selon la quantité considérée, au lieu de 4 mètres auparavant. Il a aussi renforcé l'obligation de gardiennage des îlots et en a abaissé à 250 tonnes la taille maximale, contre 600 tonnes auparavant.

Dans les ports fluviaux, la situation apparaît plus inquiétante et lacunaire : s'il existe un règlement international - l'accord dit « ADN » - pour encadrer les opérations de transport de matières dangereuses par voie terrestre, celui-ci comprend peu de dispositions concernant les opérations de manutention. En audition, l'un des auteurs du rapport du CGEDD avait d'ailleurs qualifié la situation des ports fluviaux d'« artisanale » en comparaison des ports maritimes. Ce constat est d'une certaine façon confirmé par l'administration centrale, un représentant de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) ayant indiqué, lors de l'audition organisée en février dernier devant notre commission, que, en matière de gestion des matières dangereuses, nous ne disposions pas de « matrice réglementaire » dans les ports fluviaux.

Ces constats ne doivent pas conduire à l'alarmisme. Lors des déplacements effectués avec mes collègues rapporteurs, que ce soit dans le petit port d'Elbeuf ou dans les ports plus imposants de Metz et de Neuves-Maisons, nous avons observé des pratiques particulièrement professionnelles et responsables. Par ailleurs, les flux d'ammonitrates haut dosage demeurent modestes dans les ports fluviaux par rapport aux ports maritimes.

Toutefois, nous estimons que le transport de matières dangereuses par le fleuve présente des perspectives de développement, ne serait-ce que grâce au canal Seine-Nord Europe, qui, d'après VNF, permettrait de multiplier par quatre le trafic fluvial sur l'axe nord-sud d'ici la fin de la décennie.

Notre commission soutient avec constance le report modal vers la voie d'eau. J'ai d'ailleurs été à l'origine de l'article 131 de la loi « Climat et résilience », qui fixe l'objectif d'augmenter de moitié le trafic fluvial dans le transport intérieur de marchandises d'ici à 2030.

Surtout, l'accidentologie liée aux ammonitrates haut dosage démontre que même une faible quantité de cette matière, si elle est stockée dans de mauvaises conditions ou prise dans un incendie, peut occasionner des dégâts importants.

Afin d'accompagner un développement du fret fluvial respectueux des conditions nécessaires de sûreté et de sécurité, il est donc de notre responsabilité de mettre en place un cadre réglementaire clair et précis auquel les acteurs fluviaux puissent se référer en matière de gestion des matières dangereuses.

Nous proposons donc que soit élaboré un règlement national sur le transport et la manutention de matières dangereuses par voie fluviale, qui serait le pendant du règlement qui existe aujourd'hui dans le secteur maritime. Ce texte encadrera mieux les dépôts à terre d'ammonitrates haut dosage, mais également d'autres matières dangereuses, en fonction des quantités de marchandises en cause.

Le Gouvernement a lancé en mars dernier des travaux en vue d'élaborer un tel règlement. Si nous regrettons que le Gouvernement ait attendu la publication du rapport du CGEDD en mai 2021 pour aborder ce sujet, nous saluons cette initiative et souhaitons qu'elle aboutisse dans les meilleurs délais.

Afin de tenir compte des configurations locales, le règlement national doit être décliné dans les ports fluviaux, que ce soit pour le préciser ou pour l'adapter. Cette souplesse étant prévue dans les ports maritimes, il nous semble nécessaire d'en faire également bénéficier le secteur fluvial. Nous souhaitons que ces règlements locaux ne soient toutefois que facultatifs, à l'inverse de ce qui est pratiqué dans le secteur maritime, pour ne pas alourdir les contraintes pesant sur les ports fluviaux et pour tenir compte des importantes disparités existant entre eux, en termes de trafics de matières dangereuses et d'organisation interne.

Il est urgent de mettre au point une véritable politique de maîtrise des risques liés à la manutention de matières dangereuses dans le secteur fluvial et de pallier les carences actuelles de notre réglementation. Afin de permettre aux ports fluviaux d'anticiper cette évolution, nous proposons toutefois une date butoir pour la parution du règlement national au 1er janvier 2024.

Par ailleurs, nous avons constaté la non-transposition dans notre droit d'une mesure issue de l'accord ADN, qui impose l'identification dans les règlements locaux relatifs à la police de la navigation fluviale des lieux sur lesquels les chargements et déchargements de matières dangereuses sont autorisés.

Nous appelons donc les préfets à se mettre en conformité avec la réglementation internationale sans tarder. Cette mesure permettra également aux services de l'État de disposer d'une vision plus précise des flux d'ammonitrates constatés sur la voie fluviale et de faciliter les contrôles.

En complément, nous souhaitons améliorer les contrôles effectués avant la mise sur le marché des ammonitrates haut dosage issus de l'importation. Ces engrais doivent respecter un ensemble de prescriptions prévues par la réglementation européenne, visant à garantir non seulement l'absence d'effets indésirables pour l'homme ou l'environnement, mais aussi le respect de caractéristiques physico-chimiques et la réalisation de tests de détonabilité. Le contrôle de cette réglementation est organisé par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) au niveau de l'administration centrale ; il est effectué, au niveau local, par les directions départementales de la protection des populations (DDPP), qui effectuent une douzaine de prélèvements par an dans les ports maritimes.

Nous souhaitons toutefois que la transmission d'informations entre les ports et l'administration déconcentrée soit davantage formalisée - la mission du CGEDD avait, en effet, identifié des lacunes à ce niveau entre les capitaineries et les services déconcentrés - et que les ports fluviaux soient intégrés à ces contrôles lorsqu'ils accueillent d'importantes quantités d'ammonitrates.

Nous proposons ainsi de définir un programme de contrôle annuel, concernant à la fois les ports maritimes et fluviaux et visant à cibler les importations d'ammonitrates qui présentent les plus importants enjeux de conformité avec la réglementation européenne, et de clarifier les modalités de coopération entre les différents services locaux. Une telle évolution permettrait de mieux garantir la qualité des ammonitrates haut dosage dès leur entrée sur le marché et, ainsi, de réduire à la source les risques d'incidents au sein de nos infrastructures.

Mes chers collègues, nous avons tenté d'apporter des réponses concrètes afin d'assurer la sécurité de nos ports. Nous avons veillé à ne pas ajouter de contraintes ou normes supplémentaires et de charges financières pour l'État. Nous ne voulons en aucun cas freiner le développement du fret maritime et fluvial, que notre commission appelle de ses voeux.

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