Intervention de Thomas Fatome

Commission des affaires sociales — Réunion du 20 juillet 2022 à 9h05
Présentation du rapport « charges et produits » – Audition de M. Thomas Fatôme directeur général de la caisse nationale de l'assurance maladie

Thomas Fatome, directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie :

– S’agissant des perspectives financières, nous étions tout proches de l’équilibre en 2019 et dans les premiers mois de 2020, après une décennie de maîtrise des dépenses et d’affectation de recettes à l’assurance maladie qui avait permis un redressement après la crise financière de 2008-2009. Nous sommes, en quelques mois, repartis sur des déficits historiques. Ces déficits sont en réduction rapide, puisqu’ils sont passés de 30 milliards d’euros à moins de 20 milliards d’euros, en perspective, en 2022, mais ils constituent évidemment un défi pour la soutenabilité de l’assurance maladie. Je ne pense pas que le maintien durable de déficits de ce niveau de l’assurance maladie soit soutenable. Chaque année de déficit représente une augmentation de la dette et, même si une partie des « déficits covid » est, d’une certaine manière, d’ores et déjà financée par l’allongement de la durée de vie de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) à l’horizon 2033, il est bien évident que cet allongement ne couvrira pas les déficits cumulés que nous connaîtrons dans les années à venir.

Cette situation justifie fondamentalement l’engagement déterminé de notre institution dans les programmes d’action en matière d’efficience et de pertinence des soins. 1,2 milliard d’euros de mesures pour 2023, c’est faible compte tenu du montant du déficit, mais, si nous parvenons déjà à mettre en œuvre l’ensemble de ces mesures, je crois que nous aurons fait œuvre utile. Cela dit, aucune d’entre elles n’est complètement facile à mettre en place à court ou moyen terme, et, dans le contexte actuel, un plan massif d’économies en matière de santé serait évidemment totalement hors de propos.

Par ailleurs, il est clair que le pilotage des dépenses, des finances et de l’équilibre de l’assurance maladie s’inscrit dans le cadre plus général des finances sociales, et d’abord des finances publiques au sens large. Le Gouvernement aura, dans les prochaines semaines, au travers à la fois du programme de stabilité qu’il va bientôt adresser à Bruxelles et de la présentation, à la rentrée, des projets de loi de finances et de financement, l’occasion de préciser la programmation des finances publiques pour les prochaines années. L’assurance maladie et les retraites connaissent un déficit élevé et appelé à durer ; d’autres branches de la sécurité sociale connaissent une situation plus favorable. Notre mission est de garantir que, dans ce contexte de déficit élevé, chaque euro dépensé du côté de l’assurance maladie le soit de façon efficace. Nous savons – le rapport le montre encore cette année – que nous avons des champs et des leviers pour lutter contre cette inefficience.

J’aurais du mal à procéder à une évaluation ex ante du coût des mesures d’urgence : il est évidemment extrêmement dépendant des conditions dans lesquelles les acteurs vont se saisir des différents dispositifs, qu’il s’agisse de l’amélioration de la rémunération de la régulation ou des 15 euros par médecin effecteur de soins non programmés. Par ailleurs, c’est le ministère de la santé qui consolide l’ensemble de ces chiffres.

Les dépenses les plus importantes ne sont pas forcément là où on les attend. Ainsi, l’un des principaux postes de dépenses pour l’assurance maladie est le maintien, dans les trois prochains mois, de la prise en charge à 100 % de la téléconsultation : avec environ 1 million de téléconsultations par mois, la prise en charge du ticket modérateur représentera, sur la période, une dépense de 18 millions d’euros. Il y a aussi, du côté de l’hôpital, des dépenses que nous ne mesurons pas, notamment liées aux mesures sur la nuit qui ont été décidées.

Bien évidemment, nous participerons, sous l’autorité du ministre, au suivi précis de l’impact des mesures et au bilan ex post. En revanche, je ne dispose pas d’éléments consolidés permettant de procéder de manière satisfaisante à un chiffrage ex ante.

Pour ce qui concerne les mesures d’accès aux soins, nous considérons qu’il y a, dans le champ de l’assurance maladie, de nombreux leviers à activer. Nous n’avons pas du tout le sentiment d’être impuissants par rapport aux déserts médicaux.

Je veux vous en donner un exemple chiffré. Aujourd’hui, en France, un médecin traitant prend en charge un peu plus de 1 000 patients. Les médecins généralistes travaillent plus de 50 heures, dont plus de 45 heures devant les patients, mais ils prennent moins de patients en charge que leurs confrères des autres pays européens, parce qu’ils n’ont pas d’équipe autour d’eux. Un calcul purement théorique montre que, pour que chaque Français ait un médecin traitant dans les prochaines années, la patientèle moyenne doit monter à 1 220. Ce n’est pas hors de portée : il suffit de regarder l’évolution de l’activité des médecins traitants qui ont choisi d’avoir un assistant médical... On gagne du temps médical en mettant auprès des médecins des professionnels qui leur permettent de prendre en charge plus de patients.

Que se passe-t-il là où il n’y a pas de médecin traitant ? Nous pensons que la structuration des équipes de soins autour des médecins traitants peut à la fois consolider l’offre sur les zones territorialement fragiles et ramener potentiellement des médecins là où ils ne s’installent pas par peur d’une activité déraisonnable. La structuration des CPTS, la structuration d’appuis aux cabinets généralistes, la simplification des tâches administratives, l’amélioration des outils numériques, la téléconsultation, l’envoi de médecins spécialistes en zones sous-denses constituent un ensemble de leviers qui peuvent prendre le relais du médecin traitant.

Pourquoi y a-t-il un déficit de médecins traitants, par exemple dans le département de la Manche, que je connais bien ? Parce qu’il n’y a pas de médecins spécialistes. Si demain, des demi-journées de consultations avancées – de dermatologie, de gynécologie, de cardiologie... – sont organisées, on donnera aux médecins les conditions pour qu’ils puissent s’installer avec une équipe de soins.

Je pense que nous ne mesurons pas assez collectivement l’impact des changements démographiques des professions de santé qui ont eu lieu depuis vingt ans et qui vont advenir dans les dix prochaines années. En vingt ans, le nombre d’infirmiers libéraux a doublé : il est passé de 50 000 en 2000 à 100 000 aujourd’hui. Il a augmenté beaucoup plus vite que la population protégée, que le vieillissement de la population, que le nombre d’affections de longue durée (ALD). C’est une bonne nouvelle. Les projections de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS), du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCaam) montrent qu’il y aura 30 000 à 50 000 infirmiers libéraux de plus dans notre pays à l’horizon 2030. C’est considérable.

Nous pouvons donc construire des équipes de soins auprès des médecins, comme cela se fait dans d’autres pays.. Cela doit se faire dans un double mouvement, avec davantage de délégations de tâches, mais de manière organisée, en en tirant les enseignements en termes de modèle économique. C’est la raison pour laquelle nous sommes en train de finaliser avec les syndicats d’infirmiers libéraux une négociation sur les IPA. Aujourd’hui, le modèle économique pour les IPA en libéral ne fonctionne pas bien. Nous voulons les valoriser davantage, augmenter les forfaits de suivi, accroître leur file active, leur permettre de suivre des patients ponctuels et leur donner les moyens d’avoir une activité pérenne, en lien avec les médecins traitants, avec un modèle économique plus stable.

Nous pensons que nous pouvons agir. Bien évidemment, certains leviers ne sont pas dans notre main : d’autres types de mesures relèvent du législateur et du Gouvernement. Je me situe, à ce stade, dans un champ conventionnel conforme à ce qui existe aujourd’hui.

Vous m’avez interrogé sur la réforme de la nomenclature. Le Haut Conseil des nomenclatures est désormais totalement installé. Il est au travail, avec près d’une quarantaine de comités par famille d’actes, qui ont commencé à travailler à construire la nouvelle hiérarchisation, avec pour objectif que la nouvelle nomenclature soit plus souple. Ce travail est extrêmement lourd et sera sans doute complexe techniquement et financièrement. La nouvelle hiérarchisation montrera que certains actes coûtent aujourd’hui beaucoup moins cher que d’autres ; à l’inverse, il faudra prendre en charge des actes innovants qui, potentiellement, coûteront plus cher. Il faudra avoir en tête cet équilibre à construire dans la discussion avec nos partenaires conventionnels.

Je rappelle que l’assurance maladie n’est évidemment pas en première ligne sur le sujet de la réforme du financement de l’hôpital. C’est avant tout le ministère de la santé qui pilote les réformes du financement. Vous savez que la réforme de la psychiatrie est déjà implémentée et que celle des soins de suite et de réadaptation (SSR) est prévue pour 2023. Pour notre part, nous travaillons, dans le cadre de l’article 51, à différentes expérimentations pour faire bouger les règles du jeu du financement à l’hôpital. Je pense notamment aux travaux d’expérimentation sur le financement à l’épisode de soins pour certaines prises en charge – prothèse de hanche programmée, prothèse de genou… La réflexion avance sur ces sujets.

Dans le rapport, nous proposons notamment de renforcer la place du financement de la qualité dans le financement hospitalier comme dans celui des soins de ville, d’avoir les mêmes indicateurs pour les dispositifs de financement de la qualité en ville et à l’hôpital, d’expérimenter des logiques de bonnes pratiques pour mieux valoriser le financement de la qualité, via le recueil d’indicateurs.

S’agissant de la prise en charge des enfants et des familles, nous souhaitons fortement essayer de resserrer les liens avec les équipes de la protection maternelle et infantile et voir sous quelles modalités – juridiques, financières, conditions de systèmes d’information... – nous pouvons accompagner cette activité. Nous pensons qu’un renforcement de la coordination entre les équipes de la PMI et les soins de ville est de nature à améliorer la qualité de la prise en charge des enfants.

Sur le 100 % Santé, je ne vais évidemment pas parler à la place des équipes ministérielles, mais, comme vous l’imaginez, nous n’avons pas totalement sorti de notre chapeau les propositions de « charges et produits » : nous avons discuté avec les équipes en charge de ces thématiques. Et je crois que, compte tenu du succès du 100 % Santé, l’objectif de diminuer les restes à charge et d’identifier les champs dans lesquels on pourrait engager une démarche qui s’en inspire, sans forcément la reproduire strictement, est assez largement partagé dans les équipes de François Braun et d’Agnès Firmin Le Bodo.

Nous assumons de plus en plus de dossiers de gestion de la C2S « payante » : l’assurance maladie gère aujourd’hui 61 % des bénéficiaires – 820 000, sur 1,3 million. Cette part est en assez forte augmentation depuis dix-huit mois, un certain nombre d’organismes complémentaires ayant décidé de ne pas poursuivre leur participation à la gestion de la C2S.

S’agissant de la « grande sécu », s’inspirer, là aussi, du 100 % Santé, avec une articulation organisée des assureurs public et privés, nous semble une voie cohérente. Celle-ci avait d’ailleurs déjà été évoquée dans le rapport du Hcaam. Nous continuerons à diminuer les effectifs, donc à baisser significativement les frais de gestion de l’assurance maladie obligatoire, ce que n’ont pas fait les organismes complémentaires ces vingt dernières années.

Je vous confirme notre forte mobilisation sur le contrôle des centres de santé dentaires et ophtalmologiques. Plus d’une vingtaine de dépôts de plainte ont déjà été enregistrés s’agissant des centres visuels. Des dépôts de plainte, des procédures ordinales ou de déconventionnement sont également engagés à l’encontre de centres dentaires. Nous avons significativement augmenté notre volume de contrôle ces derniers mois. Nous avons construit une cellule nationale dédiée aux seuls centres dentaires ; plus d’une quarantaine de contrôles sont en cours et des contrôles coordonnés entre l’agence régionale de santé (ARS) et l’assurance maladie sont programmés pour le second semestre.

Pour ce qui est des centres de santé visuelle, nous avons à la fois engagé une démarche de contrôle sur les centres où les soupçons de fraude étaient les plus importants et réenclenché une sensibilisation avant contrôle, puisque nous avons écrit à plus d’une soixantaine de centres pratiquant des tarifs moyens élevés pour les inciter vivement à ajuster leurs pratiques, faute de quoi nous engagerons des contrôles. Nous avons par ailleurs enrichi l’avenant que nous avons signé avec les centres de santé voilà quelques mois d’un renforcement du cahier des charges : il s’agit de mettre en place le conventionnement explicite qui a été voté par la loi, de lui donner davantage de contenu sur les contrats de travail et l’activité des professionnels, et de marquer notre capacité à engager des sanctions plus rapidement dès lors que nous enregistrerions des dérives.

Pour autant, je ne pense pas que nous soyons complètement au bout d’une régulation plus efficace de l’installation des centres de santé visuelle et dentaire – une partie des dispositifs avaient été censurés par le Conseil constitutionnel au motif qu’ils constituaient des cavaliers législatifs –, qui, aujourd’hui, s’installent de façon trop dynamique, sans relation avec les besoins de santé de la population et sans que ces créations ne soient toutes motivées par une amélioration de l’accès aux soins.

Nous allons continuer à amplifier nos actions de contrôle. Nous sommes extrêmement déterminés sur ce point, mais sans doute faudra-t-il, avec le Gouvernement et le Parlement, essayer d’aller plus loin dans les mécanismes de régulation.

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