Intervention de Mickaël Vallet

Réunion du 19 juillet 2022 à 14h30
Accord entre la france et le qatar relatif au statut de leurs forces — Adoption définitive d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Mickaël ValletMickaël Vallet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, adopté par nos collègues députés, pour technique ou formel qu’il puisse paraître, ne saurait être examiné en nous contentant d’une simple étude de texte et sans nous interroger sur le contexte. J’avais déjà tenu le même discours à cette tribune à propos de l’accord similaire relatif à l’organisation de la prochaine Coupe du monde de football.

Sur le texte et ses effets juridiques, le propos est assez simple. La France et le Qatar ont établi de longue date un partenariat militaire stratégique. Cette relation privilégiée se traduit concrètement par la vente d’avions de combat à l’armée de l’air qatarienne et par la formation de ses pilotes de chasse.

On notera ainsi que, sur la décennie 2010-2020, le Qatar est tout de même le deuxième client de la France en matière d’armement, sans compter les autres achats que ce pays effectue auprès de pays européens. On souhaiterait que certains de nos partenaires de l’Union en fassent autant quand ils décident de se réarmer de façon importante… Comme Mme le rapporteur, je n’oublie pas l’aide du Qatar pour l’évacuation de nos ressortissants d’Afghanistan, sans compter les nombreux autres apports de cette coopération.

Néanmoins, ce partenariat stratégique va bien au-delà des seuls aspects commerciaux. Nos deux pays organisent régulièrement des exercices militaires, et la France a pu compter sur le soutien des forces armées qatariennes dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamique au Sahel et au Levant.

L’approfondissement de ce partenariat impose une convention bilatérale protégeant les droits et libertés fondamentales des membres de nos forces de l’ordre lorsque ceux-ci se trouvent en territoire qatarien. L’accord sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer aujourd’hui répond à cet impératif, puisque, ainsi que l’ont rappelé M. le ministre et Mme le rapporteur, si les personnels des forces de l’ordre sont tenus de respecter la législation qatarienne, ils ne peuvent être privés du droit à un procès équitable et ne peuvent encourir la peine de mort.

Toutefois, mes chers collègues, comme je l’ai déjà expliqué lors de l’examen de l’accord relatif à l’organisation de la Coupe du monde, autour du texte, il y a le contexte, et la question de la crédibilité de la France dans le choix de ses coopérations militaires se pose. Voilà une question précise qui appelle une réponse claire, car, chacun le sait, il faut aller vers l’Orient compliqué avec des idées simples.

Aussi, disons les choses simplement : les droits et les libertés fondamentales pour lesquelles la France a payé un lourd tribut au cours de son histoire sont régulièrement bafoués par le Qatar. La Coupe du monde dite « de la honte », dont les conditions d’attribution sont entachées de corruption, jette une lumière crue sur la réalité de l’État de droit dans l’émirat et interroge sur l’opportunité d’un tel niveau de coopération et sur sa signification politique.

Il convient de rappeler à cette tribune que le processus d’attribution de l’événement fait en ce moment même l’objet de procédures judiciaires lourdes. Les magistrats du parquet national financier ont ouvert une information judiciaire pour « corruption » et « recel et blanchiment ». Des procédures similaires sont en cours aux États-Unis et en Suisse. Et c’est à très haut niveau que ces faits de corruption sont présumés dans l’entourage des plus illustres supporters français du Paris-Saint-Germain qatarien.

Interrogent également, et même scandalisent, les conditions de travail épouvantables des milliers de travailleurs étrangers sur les chantiers de construction des stades. Pas un de nous ici ne pourrait les supporter plus de quarante-huit heures, et sans doute bien moins longtemps en réalité ! Si l’Organisation internationale du travail (OIT) et plusieurs ONG saluent certaines avancées, comme l’ouverture récente d’un bureau de l’OIT ou l’abolition de la kafala, nombreuses sont les organisations de défense des droits de l’homme qui continuent de les trouver profondément insuffisantes et qui mettent en doute le nombre de « morts au travail ».

Or c’est dans une perspective internationaliste, nous semble-t-il, que doivent toujours être défendues les conditions de travail des ouvriers. J’ajoute que construire des stades climatisés lorsque l’on est dans le peloton de tête mondial des pays producteurs de carbone – six fois plus que la Chine par habitant – ne vient pas améliorer le tableau…

Vous avez parlé d’interrogations légitimes, madame le rapporteur. Elles existent, comme je viens de les exposer. Il est donc aisé de comprendre que, au regard du décalage constaté entre cet accord de coopération accepté par le Gouvernement et la réalité de l’État de droit au Qatar, notre groupe ne pourra voter ce texte.

Seule la protection, nécessaire, offerte à nos forces de l’ordre nous empêche de voter contre ce projet de loi. Nous ne nous l’interdisons que pour elles, et pour elles seules.

En conséquence le groupe socialiste s’abstiendra.

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