Intervention de Denis Ferrand

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 20 juillet 2022 à 9h00
Inflation et pouvoir d'achat — Audition de Mme Agnès Bénassy-quéré chef économiste à la direction générale du trésor Mm. éric Chaney conseiller économique de l'institut montaigne denis ferrand directeur général de rexecode et mathieu plane directeur adjoint du département analyse et prévision de l'observatoire français des conjonctures économiques

Denis Ferrand, directeur général de Rexecode :

Pourquoi les hypothèses d'inflation étaient-elles relativement basses à la fin de l'année dernière ? Parce que nous pensions que l'inflation était de nature temporaire, et non qu'une mécanique inflationniste s'enclenchait. Il faut réviser ce diagnostic, quand bien même, jusqu'à présent, l'inflation - qui est de 5,8 % - reste très déterminée par l'évolution des prix de l'énergie et des produits alimentaires, qui en représentent 60 %, alors qu'ils ne constituent que 25 % du panier de consommation des ménages. L'inflation est surdéterminée par des chocs plutôt exogènes, qu'il s'agisse de l'énergie ou de l'alimentaire.

Pour autant, des signaux montrent que l'on a changé de régime d'inflation. Si l'on compare les contributions en points à l'inflation, pour chacune des quatre grandes composantes - énergie, alimentation, produits manufacturés et services -, à l'heure actuelle et en moyenne sur longue période, on constate un écart : les contributions actuelles sont bien supérieures à la moyenne, pour chacune des composantes.

On est passé d'un choc d'inflation très concentré sur l'énergie à une diffusion sur les prix des produits manufacturés, avec la hausse des prix des matières premières hors énergie, mais aussi sur les services, avec un début d'accélération de l'ensemble du système de prix. Cette diffusion de l'inflation ne semble pas devoir s'arrêter. Les chefs d'entreprise anticipent une hausse de prix très marquée, de quatre points au-dessus de l'écart type, ce qui est tout à fait exceptionnel, pour le commerce de détail. Cela vaut aussi pour la construction, l'industrie et les services.

Comment cela ampute-t-il le pouvoir d'achat des ménages ? En formulant l'hypothèse qu'il n`y ait plus de nouvelle accélération des prix à partir de juin, sur l'ensemble de 2022, relativement à 2021, le choc représenterait, toutes choses égales par ailleurs, 66 milliards d'euros, soit environ 1 000 euros par habitant de France, et 4,3 % du revenu des ménages. L'énergie, à elle seule, représente la moitié de cette somme, soit 500 euros par habitant. C'est en France que ce choc est le plus amorti, puisque la moyenne, pour l'ensemble de la zone euro, est de 1 288 euros par habitant - et de 1 450 euros par habitant en Allemagne.

Quand on regarde sur une plus longue période, avec une prévision d'inflation annuelle un peu supérieure à 5 %, et une progression du revenu des ménages de 4 %, on anticipe une baisse de pouvoir d'achat sur l'ensemble de l'année. Néanmoins, la France sera la seule des quatre grandes économies de la zone euro à afficher un niveau de revenu réel de l'ensemble des ménages supérieur à l'avant-covid, en 2019. L'Allemagne sera cinq points en dessous, l'Italie, deux points en dessous et l'Espagne, cinq points en dessous.

Toutefois, on se rend compte qu'il y a une perte du revenu disponible brut réel par ménage, c'est-à-dire chacun pris individuellement, puisqu'il y a une progression du nombre de ménages deux fois plus importante que la progression du nombre d'habitants. Ainsi, en 2022, il est probable que le niveau de revenu disponible brut réel par ménage soit inférieur à 2019 mais aussi à 2010.

Pour résumer, le pouvoir d'achat de l'ensemble des ménages est supérieur au niveau de 2019, et dix points au-dessus du niveau de 2010, mais, pour chacun des ménages individuellement, il est inférieur.

Que représente ce choc d'inflation par rapport à la surépargne constituée par les ménages pendant la crise du covid, lorsqu'ils étaient empêchés de consommer et que leurs revenus étaient plutôt préservés ? On supposait que cette épargne supplémentaire pourrait être réinjectée dans le circuit pour stimuler la consommation. Or, 43 % de la surépargne de 2020-2021 se trouve limée par le passage de l'inflation. Cette surépargne est bien réintroduite dans le circuit, mais pour maintenir le niveau de dépense des ménages, et non sous forme de dépenses additionnelles. Les dépôts réels des ménages sont en train de s'éroder.

Que peut-on imaginer pour la progression des revenus salariaux ? On constate que les entreprises subissent un choc de prix en amont, sur les matières premières et sur l'ensemble de leurs coûts. Il y a un recul du prix relatif des entreprises, relativement à leurs coûts d'approvisionnement. Les comptes nationaux montrent que dans le secteur de la construction, le prix à la production ne suit pas du tout l'évolution des prix à la consommation intermédiaire. Un amortisseur est pris sur les marges des entreprises.

Compte tenu des évolutions de la structure de coûts des entreprises, le niveau du résultat d'exploitation des entreprises rapporté à la valeur de leur production recule, pour rejoindre les points bas de 2012 et 2013. Oui, en 2021, différentes aides ont été déployées, mais elles n'ont plus cours, et le choc de prix des matières premières, en amont, n'est pas intégralement répercuté.

Le salaire mensuel de base progresse faiblement. Dans les entreprises, le salaire moyen par tête, incorporant les primes, connaît une progression de 6,7 % sur un an - 3 % en termes réels. Par rapport à 2019, il progresse, au premier trimestre 2022, de 5,1 %, soit 0,2 % en termes réels. C'est donc une stagnation.

De manière générale, la progression des salaires à long terme est rendue possible par les gains de productivité. Or, quand on met en regard la productivité horaire réelle et le salaire horaire réel, on constate que les gains de productivité sont très en deçà de la progression du salaire réel. Les salaires sont allés un peu au-delà de ce que le fondamental économique permettrait.

La Banque de France a publié une note très intéressante en mai sur les accords de branche. À la fin de l'année 2021, les négociations sur les minima de branche ont donné une augmentation comprise entre 2,5 et 3,5 % en 2022 contre 1 % en 2021, avec des clauses de revoyure bien plus fréquentes qu'habituellement. Les évolutions du SMIC ont fait passer les minima de branche en dessous de son niveau, dans de nombreux secteurs.

L'inflation est vraiment déterminante pour l'évolution des minima de branche. Avec une inflation à 1 point, l'augmentation des minima de branche est de 0,6 point. Il est probable que la progression des salaires se poursuive, sans pour autant annuler complètement l'inflation.

La dispersion d'inflation est tout à fait exceptionnelle à l'intérieur de la zone euro. Cela nous posera problème à un moment. La moindre inflation en France est directement liée aux interventions sur les prix. Cela pourrait induire une redistribution des cartes de la compétitivité salariale au sein de la zone euro. Cette compétitivité salariale étant permise en France par une intervention budgétaire extrêmement importante, nous allons connaître un déséquilibre budgétaire plus dégradé que beaucoup d'autres pays européens.

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