L'activité partielle peut créer un trompe-l'oeil sur les salaires, car les salariés ont bien reçu des rémunérations en 2020. Le calcul du taux de croissance de la masse salariale dans le compte d'exploitation des entreprises en est rendu plus complexe.
Faisons très attention au décrochage de productivité par rapport à fin 2019 et à la tendance pré-covid. Le recul serait de 5 %, ce qui est tout à fait important. Si l'on prolongeait l'évolution des salaires réels constatée lors de la période pré-covid, la compétitivité décrocherait. On s'attend aujourd'hui à une réduction des marges, ce qui n'est pas alarmant car elles étaient hautes en 2021. Elles devraient revenir à un niveau proche de celui de 2018.
L'État intervient sur les salaires quand il y a une faille de marché, ce qui est le cas pour les travailleurs non qualifiés. En effet, la négociation est asymétrique, dans un marché local, entre quelques employeurs dominants et des travailleurs peu coordonnés. L'État impose un salaire minimum pour empêcher les salaires de tomber trop bas. En revanche, pour les salaires plus élevés, la concurrence entre les entreprises est vertueuse, surtout quand il y a des difficultés de recrutement. Rien n'empêche les entreprises d'attirer à elles les meilleurs travailleurs en augmentant les salaires. C'est bon pour la dynamique de la productivité.
En France, on souffre d'une échelle de salaires très comprimée autour du SMIC, ce qui désespère les personnes rémunérées juste au-dessus, dont le salaire n'évolue pas beaucoup et se fait même rattraper par le SMIC.
Le déficit commercial de notre pays a augmenté pendant la pandémie et n'a pas été rattrapé depuis. Certes, des revenus tirés des actifs situés à l'étranger rattrapent ce déficit sur le compte courant. Toutefois, les grosses divergences d'inflation entre les pays européens sont peut-être l'occasion pour la France de réaliser son ajustement de prix relatifs, ce à quoi elle ne parvenait pas lorsqu'il n'y avait pas d'inflation.
En 2009, lors de la crise financière, la productivité a baissé, mais les salaires ont continué sur leur lancée. L'écart a été rattrapé par le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), créé par le gouvernement de l'époque. Attention ! L'état actuel des finances publiques empêche de créer un nouveau CICE pour rattraper ce décrochage.
Le soutien au pouvoir d'achat des ménages vient, d'une part, des différents dispositifs de blocage des prix, et, de l'autre, du soutien aux revenus. En 2022, le soutien total serait de près de 3 % en France, ce qui est massif. Dans les autres grands pays européens, il va de 1 à 2 %.
Si la situation du pouvoir d'achat est meilleure en France qu'ailleurs, c'est grâce à un soutien public. Comment celui-ci évoluera-t-il ?
On pense que l'augmentation des prix accroît les recettes budgétaires, que l'on pourrait donc dépenser. Effectivement, l'inflation entraîne des recettes de TVA accrues. Par ailleurs, la dette est fixée en euros, et 90 % de la dette n'est pas indexée. Le produit intérieur brut (PIB) augmentant en valeur, les finances publiques devraient s'en retrouver allégées.
En réalité, c'est plus compliqué. À court terme, l'indexation des dépenses étant moins rapide que celle des recettes, on a un effet positif, à quantité donnée. Mais on a un choc des termes de l'échange, et c'est là le plus important. Nous subissons une hausse de notre énergie importée. L'inflation vient non pas d'un boom de la demande, mais des importations. En soutenant l'achat de produits pétroliers, on a favorisé les revenus des pays du Golfe. Cet argent manquera dans les caisses de l'État. On ne peut pas avoir un pays qui s'appauvrit et des finances publiques florissantes. Ce n'est pas possible.
En volume, les assiettes fiscales diminuent, par rapport à avant le choc énergétique.
Les révisions à la baisse de la croissance se retrouvent dans les finances publiques. Une partie est masquée, en 2022, par des recettes exceptionnelles dont une partie vient du rebond de l'activité en 2021. Le rebond des profits de 2021 a engendré un rebond de l'impôt sur les sociétés en 2022, mais cela va disparaître.
En cas de choc de termes de l'échange - c'est-à-dire un choc sur le rapport entre les revenus tirés des exportations et le coût de nos importations - les prix à la consommation augmentent plus vite que les prix à la production. Or les recettes fiscales sont plus ou moins indexées sur les prix à la production, puisque c'est la valeur ajoutée qui est ensuite partagée entre le travail et le capital. Par contre, les dépenses publiques sont largement indexées sur les prix à la consommation. Normalement, les deux prix progressent de manière similaire, mais ce n'est pas du tout le cas actuellement. Nous avons donc une perte.
À court terme, une partie de la dette est indexée sur l'inflation : pour 30 % de l'inflation française et pour 70 % de l'inflation en zone euro. Comme elle progresse plus vite, il y a un surcoût sur la dette à court terme.
À plus long terme, c'est naturellement la hausse des taux qui l'emporte. Si le taux de rendement du capital augmente et le taux de croissance de la production également, tout va bien. Mais avec un choc des termes de l'échange, il y a un risque que les taux d'intérêt augmentent et que la croissance diminue, avec un effet boule de neige.
Concernant les inégalités, l'Insee a calculé le choc d'inflation pour les différents types de ménage. Les habitants en zones rurales sont plus exposés - d'environ un point de plus - à l'inflation. L'inflation atteignait 4,9 % en glissement annuel pour la France entière, mais 5,9 % pour les zones rurales. Par contre, l'inflation était inférieure d'un point pour les jeunes. C'est intéressant, mais il faut regarder en parallèle les soutiens au revenu et les mécanismes d'indexation. En août, le SMIC aura augmenté de presque 8 % en un an. Les revenus inférieurs sont relativement bien protégés avec les minima sociaux. En zone rurale, il faut tenir compte qu'il y a un grand nombre de retraités.
Les mesures de soutien au pouvoir d'achat représentent à peu près 6 % du revenu pour le premier décile et 1 % pour le dernier décile, donc tout le monde est gagnant, hormis l'État - mais c'est en pourcentage du revenu. En euros courants, c'est différent : le revenu du premier décile est plus bas, par définition.
Pour l'instant, les anticipations d'inflation ne sont pas ancrées, et la boucle prix-salaires n'est pas totalement enclenchée ; c'est un peu mystérieux... Nous sommes mieux armés que dans les années 1970 : il y a moins d'indexation, moins de dépendance aux énergies fossiles, les banques centrales sont indépendantes, les salaires réels sont moins rigides.
Mais il y a aussi des éléments négatifs par rapport aux années 1970 : le taux d'endettement, privé et public, est très élevé ; les tensions sur le marché du travail peuvent alimenter la boucle prix-salaires. On peut s'interroger sur la surépargne accumulée ; si elle est dépensée, elle soutiendrait l'inflation...