Intervention de Mathieu Plane

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 20 juillet 2022 à 9h00
Inflation et pouvoir d'achat — Audition de Mme Agnès Bénassy-quéré chef économiste à la direction générale du trésor Mm. éric Chaney conseiller économique de l'institut montaigne denis ferrand directeur général de rexecode et mathieu plane directeur adjoint du département analyse et prévision de l'observatoire français des conjonctures économiques

Mathieu Plane, directeur adjoint du département Analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) :

La réponse des politiques économiques à l'inflation est un sujet quand même crucial avec le fameux dilemme des banques centrales : faut-il agir pour éventuellement donner un signal ? Cette inflation peut avoir des effets de second tour et remonter les taux, avec des conséquences sur le coût de refinancement. Les dettes pourraient remonter et il y aurait un risque de casser la croissance, alors que cette inflation est, pour le moment et en grande part, d'origine importée. Actuellement, environ 60 % de l'inflation est liée à l'énergie et à l'alimentaire. L'inflation d'origine domestique reste relativement maîtrisée. Cette inflation importée vient percuter de plein fouet le pouvoir d'achat des ménages car c'est non pas la hausse des revenus qui fait l'inflation, mais la hausse des prix importés, d'où les inégalités et ce choc inflationniste, qui peut être très différent selon les situations - zones rurales, périurbaines, agglomérations...

En mars, l'OFCE avait calculé que sur 5 % d'inflation générale, les 10 % des ménages les mieux lotis face à ce choc subissaient une inflation de 2,5 %. Les 10 % des ménages les plus exposés subissaient une inflation de 8,5 %. L'écart était déjà très fort, et se justifie moins par les revenus que par le lieu d'habitation. Au sein d'un même décile, les situations sont très différentes, d'où la nécessité de l'intervention publique, au lieu d'un simple ajustement en fonction du revenu. Tout dépend du lieu d'habitation, du transport, du mode de chauffage...

Cette inflation est d'abord due à des chocs très spécifiques. La crise mondiale qui dure depuis 2020 est inédite depuis la Seconde Guerre mondiale, avec une reprise également inédite, qui déstabilise les économies : la demande remonte fortement, et les capacités de production ont du mal à suivre. Il y avait déjà des problèmes d'approvisionnement et une hausse des prix de l'énergie avant la guerre en Ukraine, qui a constitué un second choc.

Il y a quelques mois, on pensait qu'il ne s'agissait que de goulots d'étranglement, temporaires, qui disparaîtraient avec le rétablissement des capacités de production. Or nous sommes peut-être en face d'une situation qui n'est pas temporaire : la guerre en Ukraine conduira probablement à une hausse durable des prix de l'énergie, on ne sait pas jusqu'à quand.

Autre nouveauté, les stratégies adoptées par les pays pour répondre à la crise sanitaire : le Gouvernement a présenté son projet de loi de finances en octobre avant l'arrivée du variant Omicron. L'épidémie n'est pas derrière nous ; elle crée de nouveaux chocs sur l'économie mondiale et sur les chaînes de production, et donc des tensions qui ne disparaissent pas. Ensuite, les stratégies sanitaires divergent : la Chine met en place une stratégie zéro covid, contrairement à l'Europe.

La réponse sur les salaires reste jusqu'à présent assez modérée : le salaire mensuel de base au premier trimestre a augmenté d'un peu plus de 2 % alors que l'inflation était déjà supérieure à 4 %. Nous prévoyons une inflation de 3,6 % sur les salaires mensuels de base cette année, avec une inflation à 5,3 % ; les salariés perdront du pouvoir d'achat, hormis ceux au SMIC. Cela interrogera sur la situation des personnes ayant un revenu juste au-dessus du SMIC : en moins d'un an, le SMIC augmentera de près de 8 %, ce qui ne sera pas le cas du salaire des personnes qui sont à 10, 20 ou 30 % au-dessus du SMIC. Cette question sociale devra être traitée.

Les facteurs géopolitiques seront déterminants, ainsi que l'évolution du prix des hydrocarbures, dû aux relations avec la Russie et l'approvisionnement en gaz. Si les prix du pétrole ou du gaz continuent à augmenter, l'inflation augmentera également.

La France a connu moins d'inflation que nos partenaires grâce au bouclier tarifaire, à la remise de 15 centimes, avec un coût budgétaire supérieur aux autres pays. Il n'y a pas de mystère : on met plus d'argent, on protège mieux, on gagne en compétitivité relative. On ne peut pas maintenir ces dispositifs éternellement. On va sortir du bouclier tarifaire ou des remises de 15 centimes, pour choisir des mesures ciblées et réduire la voilure budgétaire, ce qui va créer un choc inflationniste pour les personnes qui étaient jusque-là protégées... En 2023, nous pourrions avoir plus d'inflation que nos partenaires, avec un effet de rattrapage.

La gestion sanitaire par les différents pays est incertaine. La Chine gardera-t-elle durablement cette stratégie « zéro Covid » qui pose problème ?

Enfin, l'épargne accumulée est considérable. Elle va peut-être être rognée par cette inflation, mais au premier trimestre 2022, le taux d'épargne était encore au-dessus de son niveau d'avant-crise. Les ménages sont encore dans une phase d'incertitude et d'inquiétude : ils ne puisent pas dans leur épargne. S'ils se mettaient à désépargner, il y aurait un regain de consommation - mais cela me semble assez peu probable actuellement.

La Banque centrale européenne (BCE) est face à un dilemme : si elle augmente les taux, pour montrer qu'il y a une anticipation des risques inflationnistes et des effets de second tour et que le mandat doit être respecté, cela peut générer un risque, d'autant que la zone euro est assez fragile sur cette question avec un risque de fragmentation. L'Italie est plus exposée en cas de remontée des taux, et en cas d'écart important entre la croissance et les taux d'intérêt. Lorsque la croissance est plus forte que les taux d'intérêt, vous pouvez vous désendetter sans trop d'effort. L'inverse, c'est l'effet boule de neige : votre charge d'intérêt augmente plus que votre recette fiscale. C'est extrêmement important. Le dilemme de la zone euro est assez différent de celui des États-Unis : la remontée des taux crée des écarts entre pays, des spreads, qui peuvent être beaucoup plus forts et que la BCE devra gérer. Elle va mettre en place un outil anti-fragmentation, très attendu, mais le dilemme se rajoute à toutes ces problématiques.

Si les prix de l'énergie restent stables et que la situation sanitaire reste à peu près normale, on ne sera pas pris dans la boucle prix-salaires de la stagflation des années 1970 qui a duré dix ans, en raison de la désindexation : les salaires ne sont pas indexés automatiquement ; la BCE a un mandat très clair et est indépendante ; et les pays sont très ouverts sur le commerce et en compétition. Cela limite les effets de second tour qu'on pouvait observer autrefois. À court terme, cela fait un choc négatif sur le pouvoir d'achat - la question sociale devra donc être traitée.

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