Je laisse les questions très techniques aux autres intervenants ! (Sourires.)
L'enquête trimestrielle de l'Insee date des années 1970 ; depuis 1990, une question est posée sur les difficultés de recrutement. Deux pourcentages crèvent aujourd'hui tous les plafonds des résultats récoltés depuis ces dates : celui sur l'incapacité à produire plus en raison de goulots de production - la pénurie de semi-conducteurs en fait partie - et celui sur les difficultés de recrutement. Nous avons donc bien affaire à un choc d'offre dans le sens où les entreprises ne peuvent pas produire plus. Le paradoxe de stimuler la demande alors que l'offre est contrainte est évident. Mais cela peut permettre de limiter les enchaînements inflationnistes suivants, ce qui est intéressant à moyen et long terme - en plus de répondre à des impératifs politiques de court terme.
Soutenir la demande a donc un certain sens à condition que cette politique soit temporaire et qu'elle vise bien à réduire les enchaînements salariaux. Comment financer les baisses de charges ? Par le déficit budgétaire, il n'y a pas d'autre moyen !
Je veux ensuite insister sur la situation extraordinairement difficile de l'Italie, qui est un cauchemar pour ce pays évidemment mais aussi pour la Banque centrale européenne. La croissance y est nulle depuis très longtemps. La politique budgétaire italienne est restrictive, mais sans croissance on peut se demander comment le pays remboursera sa dette - celle-ci est habituellement achetée par la BCE. La situation fragile de l'Italie est ancienne, mais elle se conjugue avec le choc covid qui touche particulièrement l'industrie touristique, importante pour ce pays, et avec le choc énergétique. C'est la raison pour laquelle les réponses que la BCE apportera aujourd'hui sur son outil anti-fragmentation sont attendues. Les transferts de l'Union européenne dont bénéficie l'Italie pourraient ne pas être suffisants.
Il ne faut pas mobiliser l'épargne excédentaire, dont Denis Ferrand nous a expliqué qu'elle avait été rognée à 40 ou 50 % par l'inflation, pour la consommation puisque nous avons une contrainte d'offre. En revanche, il serait bien de l'orienter vers l'investissement - une autre manière de soutenir l'économie que l'enchaînement habituel pouvoir d'achat-consommation-emploi - afin d'augmenter l'offre à long terme de produits dont nous manquons, comme l'énergie décarbonée.
La politique monétaire américaine a été en retard sur l'évolution de l'inflation aux États-Unis qui avait commencé par une accélération des coûts salariaux avant même la crise du covid. L'économie était déjà au plein emploi. La Fed est restée de côté jusqu'à ce que les chiffres de l'inflation l'obligent à réagir. Ne nous en plaignons pas, car si l'on a de l'inflation aux États-Unis, on en a partout ! Évidemment, on assiste par définition à un jeu non coopératif des politiques monétaires : en relevant ses taux d'intérêt, la Fed contribue à faire monter le dollar. Mais la principale raison de cette hausse est l'augmentation du prix du pétrole, lequel conduit à un recyclage des pétrodollars vers des actifs américains, ce qui augmente la demande de dollars. De plus, les États-Unis sont maintenant exportateurs nets d'énergie, notamment grâce au gaz de schiste.
De mon point de vue, ce n'est pas tant l'euro qui est faible que le dollar qui est hyper fort. Cette situation pose un grave problème pour le crédit d'un grand nombre de pays émergents qui dépendent de la politique monétaire américaine.
La zone euro est, en quelque sorte, une victime collatérale. Pour compenser en partie la politique monétaire américaine, il faudrait avoir une politique monétaire équivalente, mais les dégâts seraient plus importants que l'avantage que nous retirerions d'une monnaie plus forte. En cas de récession, les mécanismes sur le dollar et les anticipations sur les taux d'intérêt s'inversent, le prix du pétrole baisse et le dollar aussi. Ne nous préoccupons donc pas trop de cette baisse de l'euro par rapport au dollar, c'est un phénomène transitoire.