Je partage en partie le diagnostic sur le choc d'offre négatif. En réalité, dans cette affaire, nous avons deux chocs d'offre, l'un sur les matières premières, l'autre sur les produits industriels. Ils ne produisent pas les mêmes effets, y compris sur notre balance commerciale, et n'appellent pas les mêmes réponses.
Dans un cas, nous avons un problème de politique industrielle - je pense aux approvisionnements - que l'on connaît depuis un certain temps et que l'on ne va pas régler du jour au lendemain. Quelles sont les politiques à mener pour être plus performant d'un point de vue industriel ?
Dans l'autre, le choc d'offre négatif lié à au fait que la Russie a écarté du marché mondial des hydrocarbures pose de nombreuses questions car on ne va pas produire ces hydrocarbures. Leur substituer d'autres types d'énergies non fossiles représente un enjeu de moyen et long terme.
Comment répondre à ce choc sur l'énergie ? Quel est son impact sur les ménages et sur les entreprises ? Comment accélérer la transition ? Il faut parvenir à un mix énergétique plus décarboné et à une consommation plus efficace. À court terme, on sait que l'énergie est assez peu substituable, même si l'on va vers davantage de sobriété et qu'on développe le télétravail et le covoiturage... Le choc est différent selon les types de ménages, entre le cadre parisien logé dans un appartement et la famille de la classe moyenne vivant en zone rurale, avec deux véhicules et un logement mal isolé. Il faut limiter l'impact social à court terme. Quand un bien est peu substituable, le reste à vivre diminue directement.
Comment répartir le choc inflationniste ? L'État a en réalité fait beaucoup comparé à d'autres pays, avec des mesures d'abord peu ciblées. Mais si le choc n'est finalement pas transitoire, on ne peut pas maintenir des dispositifs aussi larges. Plus on va aller dans le détail en essayant de cibler les mesures, plus il y aura de perdants. Il faut essayer de garder un signal prix : il n'y a pas de raison de fixer un prix bas de l'énergie si le prix mondial est élevé.
Le ciblage des mesures couvrira des salaires relativement bas, au niveau du SMIC voire un peu au-dessus. Se posera alors le problème de ceux qui sont à 1,2, 1,3 ou 1,5 SMIC. Car la réponse des employeurs peut être très différente en termes de salaires. L'élasticité est de 0,5 : si l'inflation croît de 1 %, les salaires augmentent de 0,5 % dans un premier temps. Certaines entreprises ont des marges de manoeuvre et d'autres beaucoup moins. Les personnes au-dessus du SMIC dont l'employeur n'a pas de marges de manoeuvre pour augmenter les salaires vont passer au travers des mailles du filet : ils seront les perdants de la crise.
L'épargne accumulée est considérable - on parle de 170 milliards d'euros depuis le début de la crise - mais 80 % de cette épargne est détenue par les 25 % des ménages en haut de l'échelle des revenus. Si on cumule le choc macroéconomique et les chocs individuels, on obtient des situations très différentes, entre des ménages qui ont accumulé de l'épargne et ceux qui ont déjà utilisé la leur. Le problème, c'est le choc macroéconomique et le risque de récession, qui dépend largement de ce qui se passera dans les mois à venir avec l'approvisionnement en gaz russe. Mais nous avons aussi un choc microéconomique pour les entreprises et les ménages. Comment les pouvoirs publics peuvent-ils y répondre ? On ne peut pas traiter 30 millions de cas ! On aura forcément des effets de seuil... D'autant qu'il faut aussi être raisonnable. Le choc covid a été massif, avec près de 200 milliards d'euros d'impulsion budgétaire : on ne peut pas continuer indéfiniment ainsi car, à un moment donné, se posera la question du financement, surtout avec la remontée des taux. Une récession, c'est aussi moins de recettes fiscales.
Les macro-économistes s'interrogent sur le nombre important de créations d'emplois. C'est une bonne chose pour le marché du travail, mais le revers de la médaille, c'est que la productivité a baissé depuis 2019, ce qui est historique. Pour produire la même chose, nous avons besoin de plus d'emplois. Cela pose la question des marges de manoeuvre des entreprises pour augmenter les salaires. Soit il y a un peu de croissance, et elles vont augmenter leur productivité mais détruire des emplois ; soit elles augmentent les salaires, mais leur compétitivité risque d'être affectée.
L'équation est malheureusement assez dure, particulièrement dans un monde dans lequel il faut accélérer la transition alors que l'inflation est plus robuste et que nous sommes confrontés à un problème de déficits et de ralentissement de la croissance.
Bruno Le Maire disait que le plus dur est devant nous, je veux bien le croire !