Je suis d'accord avec la plupart des propos de mes collègues. J'insisterai sur l'aspect stabilisateur de la conjoncture mondiale, de ce ralentissement de croissance dû au choc d'offre. Le pétrole russe envoyé en Europe, c'est à peu près 4 % de l'offre mondiale ; si la croissance mondiale ralentit de 1 point, un quart du choc est absorbé, si on pense qu'une baisse de 1 % de croissance représente 1 % de demande de pétrole en moins. La situation n'est pas la même pour le gaz, qui est un marché local.
Sur la conjoncture, tous les indicateurs ne sont pas catastrophiques. Il y a encore des motifs d'espoir ! Éric Chaney a insisté sur les spreads, c'est-à-dire les écarts de taux proposés aux différents agents économiques, mais le crédit ne ralentit pas.
Sur la baisse temporaire des charges, j'ai en revanche une petite différence d'appréciation. D'après la théorie de l'incidence, les hauts salaires de ceux qui ont déjà de l'épargne vont augmenter, ce qui ne résoudra pas le problème de l'inflation, même si cela permettra de diminuer les difficultés de recrutement des hauts potentiels. Nous sommes circonspects sur le caractère temporaire de la mesure : en France, les mesures temporaires ont tendance à durer, et elles sont extrêmement coûteuses.
Une partie de ce qu'on produit partira vers le reste du monde, même si elle revient éventuellement sous forme de recyclage : les pétro-euros pourraient financer une partie de notre transition énergétique. C'est une perte pour le pays, qui doit être répartie entre une baisse du pouvoir d'achat des ménages, une baisse des marges des entreprises et le reste pour les contribuables, qui sont de nouveau les ménages et les entreprises. On dit qu'on reporte sur l'État, mais in fine l'État c'est encore nous. La boucle prix-salaires, c'est une sorte de lutte entre les travailleurs et les entreprises pour ne pas supporter la perte. À chaque tour, on répercute à 100 %, ce qui accélère la boucle prix-salaires : il est urgent de la ralentir en faisant supporter une partie de la charge par ceux qui le peuvent, parce qu'ils ont accumulé soit de l'épargne, soit des marges, afin que le contribuable ne soit pas le seul à être mis à contribution, éventuellement de manière très inéquitable.
Si l'énergie décarbonée est aussi chère que l'énergie fossile, l'analyse est tout à fait différente : les entreprises produisent de l'énergie décarbonée à un prix élevé, qui reste dans le pays. D'où l'importance de mettre vraiment les moyens dans la transition écologique.
L'inflation sera-t-elle durable ? Pour 2022, le Gouvernement prévoit, en moyenne annuelle, une inflation de 5 % au sens de l'Insee, c'est-à-dire l'inflation non-harmonisée. L'inflation harmonisée calculée par la Banque de France et Eurostat est un peu supérieure, notamment en ce moment en raison de l'inflation énergétique. Mais on peut se tromper ! Pour 2023, il n'y a pas encore de prévision officielle, mais on s'attend à un reflux de l'inflation avec un changement de composition - davantage d'inflation interne et moins d'inflation énergétique. En revanche, il faut distinguer le niveau, qui peut être permanent - il y aurait une hausse permanente du coût de l'énergie -, et l'inflation qui régresserait de manière graduelle. Cela pose la question de la fin des boucliers : il va bien falloir que le prix du gaz et celui de l'électricité rattrapent la marche que l'on a, en quelque sorte, volontairement ratée. Cela peut entraîner une inflation plus basse et plus durable, mais cela peut in fine conduire à des prix plus bas que s'il y avait eu une inflation très forte pendant une période plus courte grâce au maintien d'anticipations relativement ancrées et à une boucle prix-salaires contrôlée.
Quelle réaction budgétaire peut-on avoir ? Nous sommes assez d'accord sur le fait qu'il vaut mieux éviter de faire un plan de relance générale en cas de choc d'offre. Il faut préserver l'offre, notamment d'énergie, et les ménages modestes, d'où l'idée de cibler davantage le soutien budgétaire qu'aujourd'hui. Il a fallu mettre en place des dispositifs généraux dans l'urgence, car faire des choses intelligentes prend du temps.
Les tensions de recrutement existent particulièrement dans certains secteurs. Des hausses de salaire peuvent débloquer de l'offre de travail, c'est-à-dire inciter des personnes à prendre un emploi, par exemple dans l'hôtellerie-restauration ou la construction. Le fait que les salaires augmentent de manière différenciée ne conduira pas forcément à plus d'inégalités : il peut y avoir un rattrapage par rapport à des situations antérieures inéquitables. Je pense notamment aux travailleurs de deuxième ligne pendant la crise du covid.
Quels problèmes découlent d'une concentration au niveau du SMIC ? Le Groupe d'experts sur le SMIC répète année après année qu'il existe un problème d'indexation du SMIC qui conduit à un rattrapage progressif des salaires qui sont au-dessus. La France est peut-être le pays de l'OCDE qui a les salaires les plus concentrés. En période de chute de la demande, ce qui n'est pas le cas actuellement, le marché du travail s'ajuste par du chômage plutôt que par des baisses de rémunération ; aujourd'hui, de nombreux salariés sont autour du SMIC sans qu'il y ait la différenciation dont on aurait besoin pour s'ajuster à l'hétérogénéité des contraintes de recrutement et des marges des entreprises.
S'agissant de la balance commerciale, si l'on regarde le compte courant, la situation n'est pas si grave puisque l'on rattrape avec des revenus ce que l'on n'a pas en commercial. En revanche, si l'on examine les performances à l'export, elles ne sont pas bonnes pour des raisons sectorielles - je pense aux difficultés de l'automobile et de l'aéronautique.
Quelles mesures spécifiques pour les territoires ruraux ? Le projet de loi sur le pouvoir d'achat contient des mesures pour les gros rouleurs, ceux qui doivent obligatoirement prendre la voiture pour aller au travail : elles concernent principalement les territoires ruraux dépourvus de transports en commun. Dans ces zones, le logement est moins cher, et si les mécanismes du marché fonctionnent, les loyers devraient baisser : les individus voudront se rapprocher des villes pour avoir moins de coûts de transport.
Sur les loyers, un arbitrage doit être fait entre prix et quantité. Quand on interroge les entreprises sur leurs difficultés de recrutement, elles évoquent les questions de logement : les salariés ne viennent pas s'ils ne trouvent pas de logement. Il faut faire attention à ne pas décourager l'offre de logement avec des mesures de blocage des loyers. Par exemple, il y a, dans les grandes métropoles, une concurrence entre la location de longue durée et la location touristique. C'est aussi vrai pour le livret A : il ne faut pas non plus décourager le logement social. Tout se tient ! Dans le projet de loi sur le pouvoir d'achat, il est proposé de plafonner à 3,5 % les hausses de loyer entre octobre 2022 et octobre 2023 : c'est moins que l'inflation, mais ce n'est pas rien.
En agrégé, la surépargne n'est pas consommée, puisque le taux d'épargne est encore au-dessus de son niveau d'avant-crise. Les deux premiers déciles ont consommé leur surépargne, mais ils sont les principaux visés par les mesures d'indexation. Ce sont eux qu'il faut protéger, comme le fait le projet de loi. La surépargne ne doit pas être regardée uniquement au travers du livret A : la loi Pacte a conduit à une réorientation de l'épargne vers de l'épargne longue - l'assurance vie a en partie basculé sur les unités de compte qui ont été plus dynamiques, notamment pendant la crise du covid.
De nouvelles législations européennes ont été adoptées pendant la présidence française de l'Union européenne : elles améliorent les dispositifs pour l'investissement à long terme, en particulier pour la transition écologique.
La Chine produit deux effets sur l'inflation : un effet offre, avec la perturbation des chaînes de valeur et les problèmes de fret, ce qui est inflationniste, mais aussi un effet demande, avec le pétrole. Le jour où la Chine se réveillera du covid, la demande de pétrole au niveau mondial augmentera. J'ai entendu un économiste chinois assurer avec aplomb que la contribution de la Chine à l'inflation est négative : j'ai quelques doutes...
Quant à la parité euro-dollar, elle nourrit l'inflation, mais c'est un phénomène de second ordre aujourd'hui.